Databac

Le Parnasse satyrique

Publié le 12/06/2024

Extrait du document

« LE PARNASSE SATYRIQUE Encore marquée par la violence des guerres de religion et ce conflit fratricide, la poésie du XVIIème siècle voit naître de nouvelles pratiques poétiques en rupture avec les codes traditionnels et désireuse de retrouver une profondeur sous le marbre C’est donc dans le terreau de l'instabilité que va fleurir toute une tradition de poésie satyrique aux inspirations vagabondes, ne se souciant plus des modèles antiques et humanistes. Le Parnasse satyrique vient cristalliser les passions et déchaînements des poètes dénonçant et ridiculisant avec fougue les mœurs et tendances de leurs contemporains1. La poésie ne sert plus à chanter l’amour et la beauté de l’être aimé, et devient un lieu de défoulement et d’exutoire dans lequel le lecteur, invité à se faire “foutre par l’oreille”2, pénètre dans un univers carnavalesque où toutes les valeurs sont inversées. En rupture totale avec le modèle pétrarquiste, les poètes du Parnasse Satyrique font brutalement descendre la femme de son piedestal, dévoilant et exposant un corps laid, repoussant, corrupteur. Il faut néanmoins ne pas se contenter d'apprécier le Parnasse comme un recueil de blagues grivoises, obscènes voire immatures.

Bien plus qu’une rébellion masculine, pour ne pas dire phallique, le recueil exprime une forme de résistance à la fois esthétique, poétique et politique.

Aussi, cessons de considérer ces poètes comme de vulgaires obsédés sexuels mais examinons de plus près cette innovation poétique de façon à l’appréhender comme objet de transgression et de remise en cause de l'ordre social.

En plaçant les femmes au centre de notre étude, nous nous demanderons de quelles façons les poètes en font un objet de subversion esthétique et politique. Pour répondre à cette question, nous verrons comment le corps féminin est dégradé au point de devenir un contre-modèle poétique. Nous discuterons ensuite de la façon dont ce corps est remodelé à l’image de la société et du sens que l’on peut donner à cette représentation charnelle dans la critique sociale. Enfin, nous tâcherons de comprendre comment la figure du satyre est ici utilisée pour la promotion de valeurs nouvelles. Pour commencer, regardons la façon dont le corps féminin est traité comme un objet de subversion poétique. En prenant de la distance avec les codes lyriques traditionnels, les poètes apportent une authenticité au recueil qui se manifeste dans le choix des thèmes généralement occultés dans le canon poétique : le corps, la nudité, le sexe. Le titre annonciateur de l’un des premiers poèmes du recueil, “Qu’il faut baiser.

Ode, A Isabelle”3, avise clairement des intentions des poètes et du programme à venir.

Dans ce cas-ci, le poète (anonyme) déroute le lecteur qui s’attend à un enième louange de la femme aimée, 1 Lagarde et Michard, XVIIème siècle, p.34 Le Parnasse satyrique, 1622, p.101 3 idem, p.16 2 comme pourrait le signaler le titre, “Ode à Isabelle”, mais qui se révèle être une entreprise de séduction quelque peu graveleuse dont le but est de convaincre une femme de céder aux avances de celui qui parle.

Le caractère érotique du recueil est signalé dès les premiers vers mais quelques adresses aux lecteurs permettent d’y insister.

Pensons à cette adresse aux lecteurs dans laquelle il est question de se faire foutre par l’oreille.

Outre le fait qu’il puisse s’agir d’une insinuation à l’hypothèse d’une insémination auriculaire de la Vierge Marie4, toujours dans une volonté de subversion, on peut tout à fait le prendre au mot et comprendre une pénétration symbolique par l’activité poétique, et donc transmission.

Par la lecture de ces vers, sans compter qu’il s’agissait sûrement de lecture à voix haute, le lecteur est contaminé et contamine ceux à qui il fait la lecture. La suite du recueil se découpe en une série de saynètes, de portraits et de dialogues dans lesquels la sexualité, mais aussi l’amour, sont au devant de la scène.

Ainsi, nous sommes heureux d’apprécier toute une diversité en termes de : pratiques et positions sexuelles ; sentiments comme le désir ou la tromperie ; de points de vue, homme ou femme ; de maladies sexuellement transmissibles, etc.

Plus qu’un recueil de poésie, c’est une encyclopédie sur le sexe que nous parcourons et qui suscite une palette de sensation tant elle est imagée.

Aussi, la crudité du langage ne laisse pas place à l’implicite mais produit instantanément des images repoussantes, voire sordides, notamment sur le corps des femmes. A l’inverse des imitateurs de Pétrarque qui élèvent l’objet de leur amour, les poètes satyriques le rabaissent : Doux est le front de ma belle maîtresse Doux est le trait que décochent ses yeux Doux est son teint, son ris gracieux Doux est aussi sa bouche charmeresse (...) Doux est sa jambe, et doux son pied joly Doux son nombril, doux son ventre poly Doux est l’attrait de sa grâce divine Mais plus que tout, Amy, je trouve doux Le mouvement de cette belle Alcine, Lorsqu’il advient qu’en secret je le fous5 Dans ce sonnet de Sieur Colletet, les parties du corps de la femme se révèlent de haut en bas : le premier quatrain est concentré sur son visage ; le deuxième quatrain évoque ses cheveux, ses seins, sa main ; le premier tercet, son pied, son nombril ; et le deuxième tercet, plus surprenant, ses fesses foutues.

Le lecteur est dérouté aussi bien par le fond que par la forme. Dédaignant les descriptions élogieuses du corps féminin qui se restreignent le plus souvent au visage, notamment aux yeux, le poète donne l’impression de passer ce corps au scanner avec une certaine volonté d’exhibition et de profanation.

L’usage de la pointe étonne et chasse la banalité, constituant la dernière pièce de cette entreprise de déboulonnage. 4 5 Information que je dois à Monsieur Peureux lors d’un cours. Le Parnasse satyrique, “Du Sieur Colletet, Sonnet”, 1622, p.66 Nous pourrions parler d’un érotisme extrapolé et sans tenir à là.

Néanmoins, cet hyperbolisme tend davantage vers la pornographie plutôt que la sensualité. En effet, dans le portrait d’une “Vieille veuve”6, le poète dépouille la dame de ses artifices pour en révéler la laideur : Mais il survint un grand désordre, C’est que son masque vint à choir Ha ! que j’eus honte de la voir (...) Mais sous ses cheveux sans racines Ecoutez un peu quelle mine Un front jaune et gras comme lard On ne peut plus tenir le fard : Les peaux du visage ridées Comme un châssis de dix années (...) L’oreille pleine de bourbier Comme la boëtte d’un barbier (...) Les dents en fourches de fumier (...) Un menton de roi d'arbalète, Le col comme écorce de hachette, Les seins d’omelette aux oeufs : Les tétons comme de vieux éteufs (...) A travers une régularité parfaite d’octosyllabes, le poète poursuit sa description en suivant le même mouvement descendant dont nous parlions plus haut et isole chaque partie du corps qu’il associe : à un objet, un vieil éteuf ; un aliment, du lard ; ou bien une matière comme du bourbier.

En utilisant la conjonction de subordination “comme” dans certains cas, le poète s’amuse à associer des images totalement loufoques et extravagantes, de manière ludique avec une volonté de surprendre.

Cependant, la suite de ce poème se veut bien plus crue et se focalise sur l’organe sexuel de cette femme.

Il donne à voir un orifice dont les odeurs rendraient “mort un homme à jeun” et que ni les puces, ni les poux ne souhaiteraient habiter. Cette hypertrophie de la partie basse du corps revêt une dimension pornographique mais également horrifique si l’on s’attarde sur les personnifications : “Ce vieux canal, cette gouttière jettes des odeurs (...) distilles tout le long des cuisses des monstrueux immondices” ; “Et quand la crevasse est ouvert, les vents, les eaux de ces quartiers, n'ont les puces à millier”; “Ce n’est plus qu’un creux pour les vots, C’est un marécage pour grenouilles plutôt que pour les pauvres couilles”.

Outre les détails quasi-scatologiques, on peut remarquer que cette personnification de l’organe sexuel tend à réduir la femme à une fonction triviale en la désignant par métonymie. Aussi, ce démembrement crée un corps difforme, hybride où la frontière entre la femme et le monstre se confond.

Le cas de la dame avec un “vie à la joue”7 est également intéressant pour étudier la façon dont est représentée la femme dans ce recueil.

En effet, on perçoit une conception dichotomique de la femme dans la vision masculine : objet de désir ou objet de dégout. 6 7 idem, “Contre une vieille veuve”, 1622, p.112 idem, “Epigramme, D’une Dame qui avait un V..

à la joue”, 1622, p.122 Dans l’exhaustivité des situations mises en scène par les satyriques, les femmes sont des archétypes et le plus souvent passives et assujetties. Dans les stances d’une jeune dame, par exemple, ll est question du désir dévorant d’une femme.

Voici un extrait : Discourant en son coeur toute morne et pensive Se laissait surmonter à son propre désir Alors que de bonheur dans sa chambre j’arrive Où je lui vins offrir d’assouvir son plaisir Car lisant en ses yeux son doux.... »

↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓

Liens utiles