Le langage ne sert-il qu'à exprimer le réel ?

« Le langage ne sert-il qu'à exprimer le réel ? Introduction : J'entre dans une boulangerie ; après les quelques remarques d'usage sur la météo (« Il ne fait pas chaud aujourd'hui ! »), je commande une baguette (« Une baguette, s'il vous plaît ! »). Le premier énoncé sur la météo cherche à dire quelque chose de la réalité.

Il cherche manifestement à exprimer le réel.

Le second énoncé quant à lui, est d'un autre ordre : certes il renvoie bien à une baguette réelle et l'exprime d'une certaine façon, mais ce n'est pas là, semble t-il l'objectif premier.

Le but est d'abord de déclencher un geste de la part du boulanger, qu'il me vende la baguette.

On voit donc qu'il paraît difficile de réduire le langage à sa fonction descriptive.

Dire que le langage ne sert qu'à exprimer le réel, ce serait ne faire du langage qu'un instrument de constat de ce qui est.

C'est peut-être bien cet usage restreint qui intéresse le scientifique cherchant à décrire correctement le monde – il élabore d'ailleurs un langage bien spécifique pour ce dessein.

En tout cas notre usage courant du langage nous laisse penser que le langage ne nous sert pas seulement à exprimer le réel.

La remarque sur la météo n'a d'ailleurs peut-être pas pour objectif premier de dire la réalité, mais simplement de nouer un contact entre deux individus. En supposant que le langage puisse exprimer le réel, il faut se demander si c'est là sa seule fonction, ou bien s'il n'aurait pas vocation à s'écarter du réel, pour mieux l'interpréter, et peut-être même pour le produire. Nous nous demanderons alors dans un premier temps quelles sont les réalités que le langage permet d'exprimer, avant de nous interroger sur les limites de cette capacité d'expression.

Nous examinerons enfin la fonction transformatrice du langage. I) Quelles réalités le langage peut-il exprimer ? 1°Le langage exprime le monde : Le langage permet aux hommes de se représenter le monde les uns aux autres.

Les dictionnaires sont, dans une certaine mesure, des reflets de la réalité, en l'occurrence, des objets qui les entourent.

La preuve en est que l'on observe d'importantes variations lexicales selon le peuple , la culture, le climat, etc.

(ex des Inuits qui ont une très grande quantité de mots pour dire la « neige »).

Cette variation des lexiques en fonction des variations de l'environnement culturel et naturel permet bien d'attester une certaine capacité du langage à exprimer le réel. Mais quel est donc ce réel que le langage exprime ? 2°Le langage exprime la pensée : Avant de pouvoir être exprimé, le réel doit passer par le filtre de la pensée.

La pensée traduit ce « réel » dans des concepts.

Le langage n'exprime donc le réel qu'à la condition de l'élever au niveau de l'abstraction conceptuelle.

C'est ce qu'a bien vu le linguiste Ferdinand de Saussure : le langage spécifiquement humain consiste en la manipulation de signes linguistiques qui associent, par chacun d'eux (pour chaque mot, ou nom commun), une image acoustique ou graphique (le mot prononcé ou écrit) avec un concept.

Le mot (ou « signifiant ») renvoie au concept (ou « signifié »), et non pas à telle chose sensible et singulière, ici et maintenant. Object 1 Descartes a bien remarqué (dans la Lettre au Marquis de Newcastle ) que c'était d'ailleurs là une spécificité anthropologique décisive : d'une certaine manière, les animaux n'expriment pas le réel ; c'est plutôt le réel qui s'exprime à travers eux.

Quel réel ? Celui du corps et de ses passions (la faim, la soif, la peur, le désir, la joie, etc.).

En outre le contenu exprimé est toujours lié à l'impératif de la survie (de l'individu ou de l'espèce), et les passions s'expriment toujours de façon spontanée (automatique) et immédiate.

Le réel exprimé par l'animal est toujours celui de l'instant présent.

Au 1. »