« Le langage est un pouvoir. Celui qui a un discours construit, qui parle mieux et qui fournit du sens, dispose d’une arme. A l’inverse, l’incapacité à dire le réel, à le classifier à travers le langage, rend vulnérable, prisonnier du monde et réduit aux dimensions d’un leurre l’esprit critique. »
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Le langage est devenu, avec l'évolution de l'espèce humaine, un moyen d'expression perfectionné, non seulement de la pensée mais aussi des sentiments.C'est l'usage et l'adaptation dans le processus de l'évolution qui a créé et développé ce moyen d'expression mais la communication n'est pas restreinte aulangage parlé ou écrit.
Il en existe d'autres, qui font appel aux autres sens.
Le message visuel demeure important surtout chez les animaux qui ont unecapacité sensorielle considérable.
Si nous posions la question de savoir à quoi sert le langage, nul doute que la réponse serait « à communiquer ».
Dans le monde médiatique dans lequel nousvivons il est entendu que le langage, est avant tout voué à la communication.
Ce mot magique est constamment répété : nous vivons à l’heure des nouvellestechnologies de communication.
Cependant, la communication est-elle vraiment la vocation la plus élevée du langage ?
En quel sens le langage est il un outil de communication ? A partir du moment où existe un état social, il faut qu’il y ait un moyen de mise en relation desindividus entre eux, donc un moyen de communication.
Les animaux eux-mêmes disposent d’un système de signaux qui répond au besoin de faire circuler del’information, au minimum dans le but du partage des tâches.
Langage et société vont ensemble ; le dire est énoncer une banalité.
Mais le langage humainn’est pas fondé sur la nature du signal.
Il n’est pas seulement fait pour déclencher des conduites.
Il est un instrument d’information non dans un sensconditionnel, mais dans un sens plus intelligent.
Son objet est la signification grâce à l’usage de signes et non la manipulation des signaux.
Il nous estnécessaire non seulement de nous exprimer, ce que nous faisons de toute manière avec notre démarche, nos gestes etc., mais surtout de communiquer etnous communiquons avec autrui au niveau du sens du message.
La communication, dans le sens humain de langage, est la mise en commun du sens entre plusieurs sujets.
Entre eux s’effectue un partage du sens grâce àune compréhension mutuelle.
Communiquer est bien plus qu’informer.
S’informer veut dire acquérir un savoir ; l’information est reçue et elle est plus oumoins bien comprise et assimilée.
La communication suppose non seulement le fait de transmettre une information, mais encore de l’avoir si bien intégrée,que nous devenons capable de la commenter, de la discuter et de retourner à un interlocuteur un avis intelligent.
La communication donne lieu à un échangevivant de point de vues.
Elle suppose implicitement le dialogue, mais elle n’est pas seulement le dialogue qui ne se construirait qu’à deux ; le motcommuniquer appelle un pluriel qui peut s’étendre au delà de deux, à trois, dix ou cent.
Si nous pouvons dialoguer à deux, on communique à plusieurs.
Tant que la communication est là, chacun tire de l’échange un enrichissement intellectuel, puisqu’il peut accéder à un point de vue différent du sien,susceptible de l’étendre et de le compléter.
Mais la communication n’est pas seulement un processus intellectuel.
Elle est aussi et avant tout une relationaffective.
La communication suppose une unité.
En communicant, nous ne faisons pas que partager des idées, nous partageons aussi des émotions, dessentiments ou un avis, nous partageons une commune présence.
Communiquer, c’est être ensemble, être unis.
L’enrichissement que l’on tire de lacommunication n’est pas seulement fait pour l’intellect, il nourrit aussi le cœur.
Il réalise le sentiment précieux de pouvoir être ensemble, et pas seulementd’être avec des « autres ».
Le but de la communication c’est aussi la chaleur d’une relation humaine.
Derrière le besoin de communiquer, il y a le besoin de larelation.L’idée que le langage est un instrument en appelle une autre : il peut aussi servir à manipuler son objet en vue d’une fin quelconque.
Effectivement, lelangage peut être utilisé comme moyen de pression, de domination et même de manipulation.
Dès que nous posons une fin à réaliser par le langage : vendreun produit, ramener à soi les suffrage de l’opinion publique, assurer devant autrui le bien-fondé d’une croyance, d’un choix, ...
nous prouvons que le langageest un moyen efficace de persuasion.
Bien entendu, aucune forme de langage ne fait exception à cette règle.Nous pouvons prendre comme exemple la rhétorique, qui est l’art de bien parler en vue d’obtenir par la parole les fins que l’on poursuit.
Le rhéteur est celuiqui sait déployer toutes les ressources du langage pour tenter de plier la volonté de celui à qui il s’adresse pour obtenir de lui ce que l’on désire.
On neretient rien de précis d’un discours très rhétorique, on n’y rencontre pas vraiment la conviction de raisons solidement enchaînées, mais seulement desopinions.
Inversement, pour être convaincu de la justesse d’un point de vue, nous n’avons pas besoin de beaucoup de mots, mais d’une parole claire,véridique, munie de raisons.
Le sophiste, face à Socrate, est intarissable, il est l’homme de l’éloquence, l’homme d’esprit qui brille en société.
Il est brillantet il sait de quel pouvoir il dispose à travers la rhétorique.
Platon nous présente au contraire un Socrate volontairement maladroit, mais incisif dans sonquestionnement.
Socrate ne fait pas de longs discours mais assène question après question.
Il y a là deux manières de se rapporter au langage, celle du« beau parleur », du sophiste, qui cultive l’art de parler, et celle du philosophe qui cultive l’art de penser.
L’enjeu entre l’une et l’autre consisteessentiellement dans l’alternative entre se servir de la parole comme d’un outil de manipulation d’autrui ou bien laisser la parole à elle-même comme d’unevoie d’accès à la vérité.
User de la parole pour séduire, persuader ou se faire obéir, c’est en négliger l’humilité devant la vérité et préférer l’arrogance dupouvoir sur autrui que le langage rend possible.
Le bien parler est donc non seulement ambigu, mais aussi parfois trompeur.
Les tournures savantes, lesfigures de style, les jeux de mots, tout cela fait son effet, mais l’effet est faux-semblant, il permet aussi de malmener la langue pour lui faire dire ce que l’onveut bien lui faire dire.
L’effet permet de séduire, tout en sauvegardant l’apparence, y compris l’apparence d’une pensée rigoureuse.Nous vivons spontanément dans le langage, comme le poisson vit dans l’eau et cela depuis l’aube de notre culture.
Nous ne pouvons pas nous distinguer entant que sujet du langage qui ne serait qu’un instrument.
Voir dans le langage un instrument voudrait dire que la pensée pourrait exister sans ce « moyen »d’expression qu’est le langage.
Notre parole nous ressemble, elle est aussi superficielle, frivole, avide, fausse, stupide, bornée, insensible que nous; commeelle peut aussi être innocente claire, franche, forte, et en même temps intelligente, sensible, profonde et délicate; ce que nous sommes quand notre vie estplus vraie.
Le dilemme proposé entre un langage qui "sert" à "penser" ou à "parler" n'est pas du tout gratuit.
Ce qui est en jeu dans notre rapport au langage,c'est au fond notre propre compréhension de l'essence de la Vie.Nous pourrions estimer avoir tout dit sur la vocation du langage en disant qu’il sert à penser.
Et pourtant.
La langue nous apporte beaucoup plus qu’unmoyen de communication, de pouvoir.
Elle possède aussi des qualités esthétiques que la littérature et la poésie développent, car elle permet d’exprimer nonseulement dans le concept mais aussi par l’image.
Le « bien parler » ne se réduit pas à un parler pour tel ou tel résultat.
Il peut avoir aussi la signification debien exprimer, d’exprimer avec beauté, d’exprimer la beauté.
L’alternative n’est pas seulement entre : bien parler pour quelque chose (plaire au peuple,conquérir l’électorat, vendre...), et bien penser (pour ne pas se laisser berner dans l’opinion, bien raisonner en philosophie, être logique dans soncomportement, être rigoureux en mathématique, bien argumenter en histoire, géographie...).
La langue est elle-même une invitation poétique, un langage ducœur autant que de la raison.
Cette valeur sensible est aussi ce qui permet au langage d'exprimer ou de faire pressentir, le sentiment de la beauté.
Lelangage, au lieu d'être trivial et commun, parce que tourné vers l'action, peut être aussi poétique.
Le poète, l'écrivain, font vivre une valeur plus haute dulangage, en lui rendant sa fonction métaphorique, sa musique intérieure, son pouvoir de charmer le cœur et d'appeler l'imaginaire.
On dit parfois que lelangage ordinaire « use » des mots de manière triviale, que la poésie est un « usage » différent, mais c’est faux.
Il faut retourner cette formule.
La Parole estoriginellement poétique.Un langage pour communiquer, un langage pour dominer, un langage pour penser, un langage pour révéler.
La domination de ces différents langages forme,en quelque sorte, notre esprit critique.
Une personne sachant bien communiquer, dominer, penser, esthétiquement possède une arme redoutable.
Il peut trèsbien en profiter négativement, en trompant ses pairs, ou positivement, en ne se laissant pas tromper.
L’esprit critique est l’art de comprendre les réelsmessages, non ceux qu’on aimerait nous faire comprendre.
Nous touchons ici à un sujet malheureusement d’actualité, de par le fait que notre société s’axeirrémédiablement vers l’aspect communicatif du langage, délaissant les autres.
Par conséquent, l’esprit critique de nos contemporains tend à s’affaiblir etles gens sont de moins en moins capables de raisonner convenablement, d’interpréter correctement les messages..
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