Le génie dans l'art selon Kant
Publié le 02/06/2022
Extrait du document
«
Le génie dans l'art selon Kant
Quand je dis que quelque chose est beau, j’énonce un jugement de goût, jugement dont la
nature est aussi paradoxale qu’étonnante.
S’il prétend être universel, le jugement de goût
ne peut pourtant pas être démontré.
Si devant un tableau que je juge beau, quelqu’un me
dit ne pas approuver mon jugement, je ne puis lui prouver qu’il se trompe comme je ne
peux démontrer que j’ai raison.
Si je le pouvais, ce ne serait plus un jugement de goût
exposant un plaisir personnel mais un jugement de type scientifique.
Il n’en demeure pas
moins que je reste persuadé que mon contradicteur devrait trouver beau ce tableau.
Ce
dernier point est intéressant.
Car si le jugement de goût prétend à l’universalité, c’est que
l’œuvre d’art n’est pas le produit d’une pure fantaisie déréglée.
Toute œuvre d’art obéit à
des règles qu’il n’est certes pas toujours facile d’expliquer mais qui fondent le sentiment
d’unité qui s’en dégage.
Ainsi l’objet de notre étude sera-t-il de découvrir l’origine de
l’œuvre d’art et plus précisément de cette espèce de régularité interne à l’œuvre et dont la
singularité
tient
à
son
inexplicabilité.
En affirmant, c’est le titre même du § 46, que « les beaux-arts sont les arts du génie », on
pourrait croire que Kant définit les beaux-arts, autrement dit ce que nous nous appelons
l’art.
Je crois qu’il n’en est rien car à ce moment-là du déroulement de l’analyse kantienne,
chacun tient pour entendue la nature de l’art que Kant a jusque-là opposé à la nature, à la
technique et à la science.
Ce dont il est ici question, c’est du génie, et la définition qu’en
donne Kant a pour but d’en expliciter la nature.
Il est d’ailleurs à noter que le nom de «
génie » apparaît ici pour la première fois dans l’ouvrage.
Et le problème qui est alors posé
peut se formuler clairement : que doit être le génie pour qu’il puisse être considéré comme
l’origine de la production des œuvres d’art ? Last but not least, est-il tellement certain que
le caractère exceptionnel du grand artiste soit affaire de génie et non de technique ?
« Le talent qui donne les règles à l’art »
En premier lieu, écrit Kant, il faut considérer le génie comme le « talent naturel qui donne
ses règles à l’art ».
Le génie est donc bien défini à partir de l’art.
Chaque œuvre obéit à des
règles, l’expérience esthétique le montre.
Mais ces règles, au premier abord et
contrairement aux règles techniques qui peuvent être enseignées parce qu’on peut les
expliquer, ne sont pas démontrables.
Tout le monde peut, par exemple, apprendre les
règles de la menuiserie et fabriquer, en s’exerçant et en s’appliquant, un tabouret ou une
table.
Et tout le monde peut, semble-t-il, apprendre les règles de l’harmonie classique.
Mais même la connaissance la plus approfondie des règles de l’harmonie ne fait pas le
compositeur.
Car il faut pour cela avoir la capacité de créer, d’inventer quelque chose qui
ne soit pas seulement conforme aux prescriptions des traités de composition mais qui
possède une cohérence interne à ce point parfaite qu’on puisse parler d’œuvre d’art, et
non de simple exercice scolaire.
Ainsi les grands compositeurs sont-ils ceux qui peuvent
inventer de nouvelles règles sans les avoir au préalable défini, et les inventer de façon
immanente, de telle sorte qu’elles seront reconnues et suivies par leurs successeurs.
Le génie, don de la nature.
»
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