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Le despotisme est-il encore possible dans le monde moderne ?

Publié le 09/12/2021

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« Pour qui la regarde d'un œil critique, l'Histoire un peu ancienne ressemble beaucoup au Macbett de Ionesco : undespote règne sur un pays, vite renversé et remplacé par un ambitieux qui se montre rapidement plus méchant, pluscruel et plus despotique que lui; quand celui-ci est enfin renversé à son tour et non sans peine, son successeurqu'on espérait bon annonce qu'il mettra toute son énergie à se montrer encore plus méchant, plus cruel et plusdespotique que le tyran qu'il vient de chasser.pourtant la Déclaration des droits de l'Homme affirme que « tous les hommes naissent libres et égaux en droit...

» etun hymne révolutionnaire invite les tyrans à « descendre au cercueil ».

Faut-il en conclure que le despotisme avécu, qu'il a connu avec la Révolution Française le commencement de sa fin et que l'existence actuelle dans lemonde de pouvoirs despotiques ne représente qu'une survivance anachronique que finira par balayer le vent del'Histoire? Tel ne semble pas être l'avis de Tocqueville quand, dès 1840 et les dernières pages de la Démocratie enAmérique il prévoit pour nos siècles démocratiques un autre despotisme, « une espèce d'oppression qui neressemblera à rien de ce qui l'a précédée dans le monde ».

Pouvons-nous, plus d'un siècle après cette prophétie, luiapporter des éléments de réponse, autrement dit, le despotisme est-il, comme l'affirme Tocqueville, encore possibledans le monde moderne? Le pouvoir despotique, comme l'indique l'étymologie grecque du mot despote, est celui du maître de maison dans lesrapports qu'il entretient avec ses esclaves et par extension de tout maître absolu qui exerce son pouvoir sur lesgens comme s'il en était possesseur.

C'est pourquoi les Grecs ou les Romains qui se jugeaient hommes libres parlentvolontiers de despotes orientaux, ceux-ci régnant sur leurs administrés sans aucun égard pour les personnes deceux-ci.On voit donc qu'il peut exister une infinité de despotismes locaux, depuis le pouvoir marital qui peut aller souventjusqu'à se montrer despotique — cela n'a pas encore complètement disparu — jusqu'à la maîtrise absolue exercéesur un certain nombre d'individus, de régions ou de provinces, voire sur un empire tout entier : le mot même dedespotisme évoque facilement, pour un lecteur moderne, celui des empereurs romains, particulièrement de ceux telsCaligula, Néron ou Tibère, dont les caprices irraisonnés ne trouvaient pourtant aucune limite à leur exécution vu lepouvoir absolu dont ils disposaient sur tout et sur tous.Mais c'était là une époque où le pouvoir était issu d'une transcendance divine : l'empereur romain régnait certes parla puissance de l'armée qui l'avait porté au pouvoir, mais plus profondément parce que telle était la volonté desDieux.

De même plus tard le Roi de France était l'oint du Seigneur, doté de pouvoirs miraculeux (guérir les écrouellespar exemple) et choisi tout exprès par Dieu pour assurer les affaires du royaume.

Il était donc théoriquement logiqueet même aux yeux de certains philosophes tout à fait souhaitable, pourvu que le roi fût bon, fût « philosophe », queson pouvoir soit absolu et connaisse le moins d'entraves possibles.

C'est la célèbre théorie du « despotisme éclairé »dont Voltaire fit ses délices, espérant que son royal élève et ami Frédéric II, « le Salomon du Nord » serait enfin le «roi philosophe » que l'Europe attendait.

Il fut vite déçu mais, sans changer de théorie, reporta ses espoirs surl'impératrice de Russie, Catherine II qui avait fort philosophiquement fait assassiner son mari fou pour pouvoir fairetriompher personnellement la Raison dans le pays des Tsars.A vrai dire cette théorie n'avait au xviiie siècle rien de nouveau.

Platon déjà souhaitait que sa Cité idéale soitentièrement soumise aux décisions sans appel des philosophes qui la gouverneraient, la force étant au besoinrequise pour les faire exécuter.

De même, aujourd'hui encore, certains monarques « de droit divin » s'obstinent àfaire le « bonheur » de leurs peuples éventuellement malgré eux et sans hésiter à recourir à la violence.

Mais un teldespotisme, qu'il soit celui d'un homme seul (dictateur), d'une équipe, ou même de toute une race, apparaîtcependant de nos jours comme un désagréable anachronisme.

C'est qu'en effet une des caractéristiques de l'hommemoderne est de situer la source de toute légitimité politique en lui-même, de refuser tout recours à une quelconquetranscendance divine : la volonté populaire en tant qu'expression de la majorité est retenue comme seul critèrepuisque les hommes sont supposés égaux entre eux et que l'avis d'aucun en particulier ne doit donc prévaloir surl'opinion du plus grand nombre.

Mais ce « despotisme de la majorité » peut-il encore être qualifié ainsi, ou n'est-cepas un abus de langage? En fait, dans le monde moderne, ce n'est pas tellement une majorité quelconque qui établit un despotisme, que lastructure même que le système égalitaire crée et développe grâce au principe de la délégation des pouvoirs, l'Étatpuisqu'il faut l'appeler par son nom, « le plus froid de tous les monstres froids » disait Nietzsche.En effet, l'individualiste qu'est devenu l'homme moderne du fait qu'il n'a plus avec ses semblables des rapportshiérarchiques mais égalitaires, manque de goût naturel pour s'occuper des affaires collectives; aussi a-t-il confié cerôle à l'État, à l'administration.

Ainsi comme l'écrit Tocqueville, « la puissance administrative de l'État s'étend sanscesse parce qu'il n'y a que lui qui soi! assez habile pour administrer » et un gouvernement démocratique accroîtdonc ses attributions du seul fait qu'il dure : le temps travaille pour lui.Mais les attributions et l'autorité de l'État s'accroissent aussi pour d'autres raisons : l'homme moderne, égalitaire etindividualiste a un amour croissant du bien-être social.

Sans aller jusqu'à évoquer, la prétendue «civilisation deconsommation » et ses excès, c'est un phénomène qui, outre Tocqueville parlant des « petites passions deshommes de nos jours », frappait déjà aussi les meilleurs esprits de sou époque : Stendhal par exemple prétendaitque le seul mobile des Français était l'argent et les méprisait quelque peu pour cela; il faisait dire par ailleurs à unede ses héroïnes : « Je ne vois que la condamnation à mort qui distingue un homme; c'est la seule chose qui nes'achète pas.

» Baudelaire quant à lui raillait un temps où les.

fils « fuient leur famille, non pas pour chercher desaventures héroïques, non pas pour délivrer une beauté prisonnière dans une tour...

mais pour fonder un commerce,pour s'enrichir, et pour faire concurrence à leur infâme papa ».

Or cet amour du bien-être fait aimer la tranquillité etredouter par-dessus tout te désordre matériel.

(Pour prendre un exemple plus récent, ce qui a le plus inquiété les. »

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