« Le comique, a-t-on dit, est vite douloureux lorsqu'il est humain. »
Publié le 20/12/2021
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«
Introduction
« Le comique, a-t-on dit, est vite douloureux lorsqu'il est humain.
» En d'autres termes,
dès qu'il cesse de s'adresser à l'intelligence pure, dès que pitié, sympathie ou affection
entrent en jeu, le rire s'estompe, perd de sa force ou même disparaît.
C'est ce que veut
dire Bergson par anesthésie du coeur.
I.
— Demandons tout d'abord à la vie même de nous éclairer cette proposition.
Un élève manque une marche et se retrouve assis simplement par terre : ses camarades
sourient ; il tombe maladroitement dans une position comique : on rit plus franchement.
Remplacez le camarade par un professeur : vous imaginez l'éclat de rire.
Supposez un
instant que ce camarade soit un handicapé physique ou que le professeur soit
particulièrement aimé et respecté de ses élèves : pitié et affection entrent en ligne de
compte ; vous n'entendrez plus aucun rire.
Au lieu de voir la position ridicule que la
chute aura donnée au corps humain, ce qui choque l'intelligence, on ne percevra plus que
le handicap du camarade, on ne songera plus qu'au respect dû au maître ; le coeur qui
ne sera plus « anesthésie » ne permettra plus au rire de s'épanouir.
Un chapeau orné de fruits, de fleurs et d'oiseaux est en soi chose ridicule.
Mettez ce
chapeau sur la tête d'une dame d'un âge certain et qui cherche à se rajeunir ; le sourire
fera place à un rire plein de moquerie.
Et si cette dame prend place dans un cortège en
deuil, le volume, le ramage criard et le mauvais goût de l'objet, s'opposant aux toilettes
sombres des assistants, rendront cette femme encore plus ridicule ; le bon sens en sera
violemment choqué ; un rire inextinguible risquera de gagner toute l'assistance.
Mais il y
a lieu de penser que les intimes du défunt, et même ses proches, insensibles à tout ce
qui n'est pas leur douleur, ne verront rien.
S'ils entendent des rires, de la part de ceux
que le deuil ne touche pas suffisamment et qui sont « anesthésiés », ils ne comprendront
pas et en seront même peines.
L'exemple idéal, celui que nous offre à la fois la réalité quotidienne et le théâtre, c'est
celui de la vanité, défaut a la fois superficiel et profond : on le blesse, il ne guérit pas ;
on le flatte et il en résulte une reconnaissance durable ou profonde.
Admiration de soi
fondée sur l'admiration qu'on croit inspirer aux autres, la vanité est plus naturelle encore
que l'égoïsme, et c'est pourquoi, plus qu'Argan, Monsieur Jourdain est foncièrement
comique.
C'est de celui-ci en effet que nous voulons parler.
Ridicule dans ses gestes, ses manières,
son costume, et ses moindres réflexes, ce perroquet des gens de qualité heurte notre
intelligence mais jamais notre sensibilité.
Molière l'a vêtu de rouge, de vert et de jaune,
aux couleurs du perroquet.
Sa vanité est telle qu'il abandonnerait toute sa bourse au
garçon tailleur qui lui donne du Monseigneur; il se ruine pour l'homme qui parle de lui
dans l'antichambre du roi ; il donne aveuglément la main de sa fille au prétendu fils du
Grand Turc.
II.
— Mais son vice n'est ni l'égoïsme profond d'un Argan, ni l'exigente et aveugle
avarice, ni rien de tout cela ; ce n'est qu'une douce maniaquerie dont nous nous
umusons franchement car notre coeur n'est sollicité par
aucun trouble.
Mais imaginons un instant que Dorimène soit un danger pour l'équilibre du
ménage ou que le gendre voulu par cet ancien marchand de drap soit une sorte de
Thomas Diafoirus de cour, avorton ennobli et sordide.
Alors, adieu le comique! Le
spectateur, sollicité par l'inquiétude du sort de Lucile, pris de pitié pour cette charmante
fille que mérite bien l'honnête Cléonte, n'aurait plus le coeur à rire, comme l'on dit — et
l'expression confirme bien la loi bergsonienne ! C'est d'ailleurs ce qui se produit dans
certaines oeuvres telles que les Temps difficiles d'Édouard Bourdet.
C'est ce que nous
prouve On ne badine pas avec l'amour: dès que Musset nous prive de ces pantins que
sont Maître Blazius et Dame Peluche, adieu le comique! Notre coeur s'abandonne tout
entier au drame de Camille et de Perdican.
III.
— Une oeuvre de Molière illustre mieux encore cette proposition : c'est le.
»
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