Le Chofar
Publié le 16/05/2020
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Le Chofar
Lorsque Abraham voulut sacrifier son fils conformément à l'ordre divin, un ange intervint au dernier moment pour arrêter lamain meurtrière et désigna un bélier qui serait sacrifié à la place d'Isaac.
Ce que l'on appelle le sacrifice d'Isaac devient le"non-sacrifice d'Isaac", révolution dans la mentalité des hommes : à partir de ce jour, il ne serait plus jamais fait desacrifice humain.
En souvenir de cet animal qui a sauvé la vie à Isaac, on sonne dans une corne de bélier, ce qui signifiesymboliquement que si un être humain doit mourir, il faut que se produise pour lui le même miracle que pour Isaac.
Oncomprend que le Chofar trouve sa place privilégiée les jours de Roch Hachana et Kippour, jours de jugement et de pardon.
Il existe trois catégories de sonneries.
La première, longue et sans coupure, se nomme Téquia, terme qui signifie "êtrefixé, fiché en terre".
La deuxième catégorie se compose de trois sons d'une durée égale pour chacun au tiers de la Téquia.
Cette catégorie senomme Chevarim, c'est-à-dire "brisures".
La troisième catégorie se compose de neuf sons courts d'un temps égal, pour chacun, à un neuvième de la Téquia ouencore un tiers de chacun des Chevarim.
Cette catégorie se nomme Téroua et signifie "ébranlement, mise en mouvement".Lorsque l'ensemble de ces sonneries a été "joué", on clôture par une nouvelle Téquia (son long).
Téquia ––––––––––––––––––––––––––––––––Chévarim –––––––––– –––––––––– ––––––––––Téroua ––– ––– ––– ––– ––– ––– ––– ––– –––Téquia ––––––––––––––––––––––––––––––––
Le rite du Chofar est symbolique d'une certaine définition de l'homme éthique.
La brisure des Chevarim est là pourrappeler que l'homme échappe à tout emprisonnement dans une définition.
En cela consiste sa liberté, par laquelle il sedistingue des objets fabriqués et des animaux.
Les objets sont des choses définies alors que l'être humain n'est en riendéterminé.
Il n'est pas identifiable, représentable.
Il est porteur de la brisure, refusant de s'attribuer une essence, des'enfermer dans une quelconque définition historique ou naturelle.
En hébreu, le terme qui dit "je" signifie aussi le "néant": Ani et Ayin, afin, d'après le Zohar, d'enseigner à l'homme la capacité et le devoir de s'arracher à toute assignation d'uneessence.
Le Zohar va plus loin en soulignant la coïncidence numérique entre le mot Adam (l'homme) et Ma (quoi ? qu'est-ceque ?).
L'homme est fondamentalement un Ma, une question sur soi-même, exorcisant ainsi le risque d'une identité définitive,qu'elle soit naturelle ou sociale.
L'"homme-quoi ?" se désigne comme le lieu de la question, démarche qui se dit en hébreuZémanne, "voici la question", et qui signifie le temps.
Temps humain, temps infinitif qui s'oppose au temps définitif.
Dans la sonnerie du Chofar résonne l'interdit de la représentation.
Cet interdit ne concerne pas l'idole, mais l'homme lui-même.
Il n'y a pas d'idoles, il n'y a que des idolâtres ! L'interdit de la représentation met en garde contre le risqueincessant pour l'homme de se confondre avec des déterminations particulières.
Il arrive souvent qu'enacceptant, pour un temps ou définitivement, une représentation imaginaire de soi, l'"homme-quoi" devienne un "voilà-l'homme-que-je-suis" s'identifiant à un personnage, à un rôle.
Ce faisant, il cesse d'être "néant", il devient quelque chose.
Dans cette réification, il perd une grande partie de sa liberté.
Devenu image à laquelle il s'est résolu d'adhérer, il abolit ladistance, le néant, sa différence interne, moteur de son devenir, et perd ainsi son pouvoir-être-autrement qui le constituecomme un être éthique.
Pour en revenir aux sonneries du Chofar, on peut se demander pourquoi les Chevarim sont suivis d'une Téroua.
Pourquoile son déjà éclaté doit-il être brisé une seconde fois ? C'est qu'il existe une autre dérive de l'identité, de l'identificationdéfinitive : celle d'une brisure qui peut aussi devenir système.
On rencontrera ainsi des êtres satisfaits de leur imagebrisée.
Or, la cassure dont nous avons parlé doit être dynamique, dynamisante.
La Téroua vient indiquer la nécessitéd'une brisure de la brisure et les retrouvailles momentanées avec un état de recollection du moi.
Il est intéressant de noter que le mot Chofar signifie aussi l'aspect esthétique des choses, dans un processusd'amélioration, d'embellissement.
Les maîtres du Talmud ont toujours analysé l'embellissement éthique dans le sens oùnous le définissons : transformation, mutation continue de l'humain.
Le mot Chofar peut aussi vouloir dire commentaire,interprétation : Pérouch (la langue hébraïque, par un jeu de combinaison des lettres, permet une lecture multiple d'unmot).
La dynamique de brisure, de brisure de la brisure et de recollection entretient des rapports étroits avec l'interprétation destextes et du monde.
La relation de l'éthique et de l'interprétation n'est pas seulement une expérience de lacompréhension des mots et des textes, mais une attitude fondamentalement existentielle, rendant possible l'inventivité desoi.
Interpréter, étudier, c'est s'interpréter….
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