Lazarillo de Tormes analyse
Publié le 23/12/2023
Extrait du document
«
INTRODUCTION
Dans l’extrait que nous allons étudier, nous sommes au cœur du voyage
initiatique du picaro qui, rejeté par ses deux premiers maîtres, nous amène dans
le chapitre trois, quelques pages après la rencontre entre Lazare et son troisième
et nouveau maître, un écuyer désargenté.
Ce passage reflète les conditions et la
pauvreté de la population espagnole sous le règne de Charles Quint en 1520, où
le pays connait une grande famine.
C’est quelques années plus tard, en 1554, qu’est publié anonymement La Vie de
Lazarillo de Tormès, considéré comme l’un des romans fondateurs du genre
picaresque.
Dans ce contexte, l’extrait de ce chapitre apparait comme une satire de la
noblesse espagnole du 16ème siècle en jouant sur le comique et la caricature, ainsi
que la désolation et l’empathie du lecteur par le biais du principal protagoniste.
Il
s’agit de montrer à travers l’insouciance et la réflexion de Lazare, le portrait d’un
écuyer désargenté méprisant mais non moins sans gentillesse.
Cet extrait a pour
but de rendre compte que les apparences sont parfois trompeuses.
Ce qui nous amène à prendre en considération la problématique suivante :
Comment cet extrait constitue-t-il, par la mise en scène d’une matinée
ordinaire de l’écuyer, un tableau éminemment surprenant et pas moins
indécent de la noblesse espagnole du 16ème siècle ?
Dans un premier temps, nous verrons que Lazare est enfin au service d’un
maître bienveillant.
Ensuite, nous verrons qu’il ne faut finalement pas toujours se fier aux
apparences.
Enfin, nous parlerons de l’aspect réaliste de la société dépeinte à travers le
personnage de l’écuyer.
I.
Lazare entre de bonnes mains
Dès le début de l’extrait, nous voyons que Lazare est au service d’un bon
maître, qui ne le violente pas, tant verbalement que physiquement.
Lazare se trouve chez cet écuyer après avoir fréquenté deux premiers maîtres
(un aveugle et un prêtre) avares et brutaux tous les deux.
De prime abord,
Lazare est finalement bien tombé ; chez un maître non violent, bienveillant (il
partage son lit avec Lazare) d’une propreté méticuleuse (il enlève la poussière de
sa cape avant de la déposer), il se montre d’une extrême courtoisie et reste
humble envers son serviteur : il n’abuse pas de Lazare puisque dans le premier
paragraphe qui est narratif, nous avons la description de leurs habitudes où le
maître nettoie lui-même son équipement, et Lazare ne s’occupe que de petits
services tels que lui laver les mains « je lui versai de l’eau sur les mains » (l.6).
On remarque qu’une complicité s’instaure entre le maître et le serviteur dès le
monologue ligne 9, où l’écuyer montre une volonté de transmission de
connaissance à Lazare.
Ce monologue de l’écuyer s’adressant à son serviteur qui lui, ne réagit que in
petto (dans son for intérieur), s’ouvre avec l’interjection « oh » comme pour
attirer l’attention de son serviteur qu’il appelle par ce nom affectueux « mon
garçon » (l.9).
L’échange est respectueux l’un à l’égard de l’autre puisque
l’écuyer transmet l’histoire de son arme à son serviteur (lui-même utilise le verbe
« savoir » l.9).
Et le picaro, de son côté, est respectueux envers son maître
puisqu’il reste muet face au discours.
Ses pensées ne nous sont pas dites à ce
moment précis, mais nous imaginons bien qu’il a des incompréhensions et des
désaccords vis-à-vis du comportement et des propos que tient son interlocuteur.
Cependant, Lazare se tait, il est bienveillant et respectueux, il va penser en luimême « je me dis en moi-même » (l.18) alors qu’il est affamé « et moi, avec
mes dents, quoi qu’elles ne soient pas en acier, un pain de quatre livres »
(l.18/19/20) Quatre livres représentent un pain d’environ deux kilos.
Ici,
Lazare exprime sa faim qui le fait souffrir mais par estime pour son maître, il ne
se lamente pas.
Il est important de relever la sympathie et le ton civil du maître à l’égard de son
serviteur lorsque celui-ci lui donne des ordres à la ligne 28 : le prénom de
Lazare, disloqué à gauche est d’abord un signe empathique et de considération.
De même que les verbes à l’impératif « veille » (l.28), « fais » (l.29),
« va » (l.29), « ferme-là » (l.31), « laisse-là » (l.32) ne sont pas d’une violence
extrême, l’écuyer n’abuse pas de son pouvoir de maître et demande à Lazare de
réaliser des tâches qui ne sont pas difficiles.
Nous pouvons également relever la manière dont Lazare décrit son maître par
des descriptions se tenant sur trois paragraphes (de la l.1 à 7) puis de la (l.21 à
26) et enfin de la (l.34 à 38) : Lazare fait ici une observation physique de son
maître très détaillé : d’abord dans ses mouvements par le verbe intransitif de la
ligne 4/5 « prenant son temps » ; puis « de forts gracieux mouvements »
(l.24) ; et l’adjectif qualificatif de ses pas qui sont « tranquilles » (l.23) ; nous
avons également une description dans sa posture avec « se tenant droit » (l.23),
« la main droite sur le côté » (l.26), « une si belle et fière allure » (l.34/35) :
c’est une représentation de l’écuyer très approfondi qui montre que Lazare est
attentif, il porte un regard scrutateur vers son maître.
Nous pouvons penser qu’il
y a de la part du picaro, une forme d’admiration ou d’inclination envers lui ; de
même qu’à la ligne 37, Lazare le compare au compte d’Arcos (qui avait été élevé
au rang de duc) donc qui a un haut statut social, ou à l’un de ses valets ;
comparaison dû à sa prestance et son habit.
Jusqu’à ce que l’écuyer quitte la maison d’un air conquérant, pour aller à la
messe à la ligne 38, l’extrait suit une narration au passé simple, et à la première
personne du singulier : nous avons les indications temporelles « au matin »
(l.1), « puis » (l.4), des indications de lieux telles que « et le voilà qui monte la
rue » (l.34), et d’autres groupes de mots telles que « il me dit » (l.8).
Cette
narration sert à implanter le décor, et à apporter des éléments de
contextualisation qui permettront aux lecteurs de comprendre la réflexion de
Lazare lorsqu’il se retrouvera seul, et exprimera sa pensée au discours direct sur
l’attitude de son maître à la ligne 39 et jusqu’à la fin du texte étudié.
C’est dans
ces lignes que Lazare commente l’échange qui vient de se produire au début de
l’extrait, lors du départ de son maître.
Lazare admire la patience qu’à son maître
pour se préparer ; ainsi que son sang-froid à ne pas se plaindre alors que celui-ci
est en manque de nourriture.
On retrouve cette forme d’admiration dans
l’écriture de la lettre à la première personne, lorsque Lazare fait des descriptions
de son maître : avec l’utilisation d’un langage courant, « menus services » (l.4) ;
« qui s’habille fort à sa convenance » (l.5) ; « fort gracieux mouvements »
(l.24) ; et parfois même tirant vers le soutenu « si on ne l’eût point connu »
(l.35/36).
L’œuvre est en général écrite avec un langage familier, parfois
vulgaire, or dans cet extrait, nous avons l’impression que Lazare a fourni un
effort de langage, il se corrige et essaie de se mettre en valeur devant son
maître tel un enfant veut ressembler à la personne qu’il idolâtre.
Nous comprenons que le picaro est déconcerté par l’obsession qu’à son maître
pour l’honneur malgré tout son respect et son attachement envers lui.
Il dispose
d’une vraie capacité réflective sur les différents évènements qu’il a pu vivre, ce
qui explique son empathie à l’égard de l’écuyer.
C’est un passage qui représente un moment important dans la vie de Lazare qui
passe de l’état de naïveté de l’enfant, à la servitude et au statut de conseiller de
l’adulte.
Le lecteur peut rester dubitatif sur le fait que Lazare soit admiratif de son
maître ; ou si notre protagoniste est tout simplement intrigué par le personnage
se tenant face à lui, dont il ne comprend, ni ne conçoit les comportements et
agissements.
Car bien qu’il soit sympathique, l’écuyer représente un type social
à la fois confit de ridicule et de mensonges.
II.
Les apparences sont trompeuses
Lazare a rencontré l’écuyer dans les rues de la cité de Tolède, où se fiant à sa
mine et à son allure avantageuse, il fut de prime abord ravi de trouver le maître
qu’il lui fallait.
Or au cours des jours, et voyant une maison n’ayant pour meuble
qu’un lit en piteux état, et devant demander la charité pour lui-même ET pour
son maître, Lazare change rapidement d‘opinion concernant sa rencontre.
Dès le début de l’extrait, nous apprenons par les descriptions de Lazare, que
l’écuyer consacre tout son temps matinal à s’habiller « secoue ses chausses, son
pourpoint, sa casaque et sa cape » (l.3/4) ; « le voilà qui s’habille fort à sa
convenance » (l.5), il prend également son temps à....
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