L'ART DE BALZAC
Publié le 15/05/2020
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L'ART DE BALZAC
Balzac a longtemps cherché sa voie, on le sait, et avant d'atteindre soudain sa perfection dans Les Chouans, s'estessayé-dans des œuvres « alimentaires » d'un romanesque ébouriffant : Jane la Pâle, L'Héritière de Birague, etc.
àimiter la littérature à la mode, singulièrement la littérature anglaise et le roman de Walter Scott.
Il voulait, disait-il,être le Walter Scott de la France, plus un architecte.
Il a d'ailleurs été fidèle à cette admiration de sa jeunesse et son jugement sur le grand écrivain est un bonjugement.
Pour lui, Walter Scott élevait le roman à la valeur philosophique de l'histoire et y réunissait à la fois ledrame, le dialogue, le portrait, le paysage, la description, le merveilleux et le vrai, ces éléments de l'épopée.
Molière, La Bruyère, sans doute Diderot (Sur les caractères) marquèrent fortement de leur influence salutairel'imagination du jeune Balzac qui dévorait leurs œuvres.
Ces maîtres dans la connaissance de l'homme et de lasociété trouvaient dans le futur créateur de La Comédie Humaine un disciple parfait.
D'autre part Balzac était singulièrement attiré par les sciences «naturelles.
Il professait pour Cuvier une immenseadmiration, il se disait l'élève de Geoffroy Saint-Hilaire, à qui il dédia Le Père Goriot.
Enfin la lecture passionnée de Lavater et de Gall qui avaient alors établi les premiers fondements de la morphologiedonnait à Balzac la certitude quasi scientifique des rapports qu'il pressentait intuitivement entre les apparencesphysiques et le moral des hommes.
Mais ces influences si diverses, et certainement profondes, très conformes au comportement intime du géniebalzacien, ne devaient s'exercer qu'en surface, à titre justificatif.
L'univers qu'il portait dans son cerveau vivait etévoluait selon une sorte de prédestination, et la création de l'œuvre régie, nous l'avons vu, par un déterminismeinstinctif, naturel et rigoureux, n'a aucunement besoin de s'expliquer par des influences que nous n'avonsmentionnées qu'à titre anecdotique.
L'art de Balzac, — compte tenu des modes de son temps auxquelles personne n'échappe, pas même Stendhal — estun instrument forgé de toutes pièces par lui-même, à sa ressemblance, physique, pourrait-on dire, tel qu'il n'estaucun autre génie littéraire ayant réalisé une pareille unité.
Certains critiques, comme Faguet, ont écrit les pages les plus malveillantes qui se puissent écrire sur la compositionbalzacienne.
Ils lui reprochent en somme de ne pas s'être soumis aux règles énoncées par Boileau, et de ne pasavoir coulé ses romans dans le moule des Trois Unités classiques.
D'autres critiques, comme Alain, comme André Gide, comme Rémy de Gourmont, comme Thibaudet et, avant eux,comme Taine, Brunetière, Bourget, conçoivent que Balzac a inventé le roman des XIXe et XXe siècles, qu'il créaitlibrement, sans se soucier de règles formelles, et que sa composition n'en est pas moins rigoureuse, comparabled'ailleurs, à celle de Shakespeare, si l'on doit absolument trouver un autre exemple de cette liberté de l'artiste vis-à-vis de son œuvre elle-même.
Pourtant, à étudier de près les grandes œuvres : Eugénie Grandet, Le Père Goriot, Une Ténébreuse Affaire, LaCousine Bette, etc., on est saisi par la puissance et la suite de la composition balzacienne dans l'exposition, ledéroulement, le dénouement du drame.
André Gide lisant Mémoires de deux jeunes mariées (en 1906), (il n'achèvera que beaucoup plus tard la lecture de LaComédie Humaine tout entière), commence à trouver le roman « confus, pâteux », puis découvre en continuant : «les linéaments d'un chef-d'œuvre », puis ajoute : « Singulière pression du sujet ».
Enfin le jugement : « Balzac...cette espèce de génie qu'il a pour faire un nœud subit de tous ses fils ; la première phrase, par exemple, de ce livre;voilà ce que ne peut trouver un cerveau qu'élevé à haute température ».
Cette phrase est celle-ci : Ma chère biche, je suis dehors aussi, moi! C'est celle d'une lettre adressée par MlleLouise de Chaulieu à Mlle Renée de Maucombe.
Ainsi donc voici le premier fil que l'on est contraint à suivre : l'une deces deux jeunes filles s'est échappée de quelque part où elle était comme prisonnière, et la seconde lui écrit, et sapremière phrase est un cri de délivrance, d'une délivrance qui ne semblait pas possible.
Pourquoi ? C'est alors qu'àtravers les confidences désordonnées d'une enfant de seize à dix-sept ans, le fil se noue sur la trame, sans arrêt.On apprend en même temps que Louise de Chaulieu devait, par la volonté familiale, prendre le voile chez lesCarmélites; que son caractère est passionné, avide, inquiet; qu'elle pense sans cesse à l'amour; que son amie, aucontraire est raisonnable et capable de résignation.
On entre en même temps, en 1840, au cœur d'une famille noblede l'Ancien Régime, qui en a gardé toute l'armature morale, et tout le décorum; on voit vivre des personnages quicachent tout d'eux-mêmes et» qu'il va falloir deviner, épier, connaître à fond pour se défendre au besoin contre eux.Tout ce qui doit arriver à Louise de Chaulieu est en canevas dans cette première phrase et dans cette premièrelettre.
On ne peut se défendre de quelque angoisse à propos de cette si jeune enfant, si intelligente et déjàdévorée de désirs.
Mais Balzac suit en même temps son propre chemin.
Louise, Renée et leurs amours si différentes, si opposées même,sont au centre d'un monde et ce monde agit et réagit sur elles.
Il compose donc son double roman sentimental en.
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