L'art chez Kant
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
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Selon Kant (1724 – 1804), seule « l' Esthétique » permet d'av oir une réflexion philosophique sur l' art, le beau , les formes de la nature ...! Cette discipline, encore naissante à l'époque kantienne, porte bien son nom : il s'agit de philosopher sur la base de tout ce qui possède un caractère esthétique (du grec aisthêsis : impression par les sens mais aussi par l'intellect).
Cette base révèle à coup sûr une propriété spécifiquement humaine, selon Kant : la facultéd'émettre des jugements esthétiques .
C'est justement ce type particulier de jugement qui va intéresser Kant : pourquoi dit-on d'une chose qu'elle est belle et laide ? Pourquoi, lorsque chacun dit cela, il semble y avoir une affirmation quidépasse le strict cadre du simple goût particulier , en tendant vers l' universel ?
Le penseur Allemand effectue d'emblée une distinction entre l'art, la nature ou la science : aucune nécessité, ni aucunmécanisme ne président durant l'activité artistique : l'art est avant tout une production de la liberté ! Il est encore moins réductible au savoir-faire, à la technique de l'artiste : l'artiste n'est pas artisan ! Il est créateur de sens .
Kant pense justement que dans les productions artistiques, il y a bien plus que cette vilaine idée platonicienne de pureimitation de la réalité.
L'Allemand perçoit une faculté artistique précise qui fonctionne comme principe même de l'art : le génie de l'artiste ! Et ce génie est justement caractérisé par le philosophe comme ce « talent qui consiste à produire ce dont on ne saurait donner aucune règle déterminée.
»
Enfin, Kant affirme que l’œuvre géniale de l'artiste a une finalité et que nos sentiments immédiats et pourtant inexprimables en sont la preuve : je ne ressens pas la même chose devant une célèbre peinture, le« Cri » de Munch parexemple, que devant une belle glace à la vanille.
L’œuvre artistique évoque bien quelque chose qui va au-delà du travailtechnique (pourtant présent), du simple goût et du pur principe de plaisir oudéplaisir .
Même si je reste insensible au travail esthétique du peintre, son œuvre me transmet une « Idée », une sorte de sens qui me saisit mais que ne parvient pas nécessairement à exprimer verbalement.
L'art a donc, chez Kant, une portée métaphysique (au-delà du palpable, de l'apparence).
C 'est le l ibre jeu de l'entendement et de l'imagination qui, suprêmement, vient définir l'activité artistique : l'art est alors plus expression que représentation.
« Le génie est la disposition innée de l’esprit par laquelle la nature donne les règles à l’art.
»
Kant, Critique de la faculté de juger
Articulation des idées
1.
Kant établit une distinction entre science et art : Il n'existe entre le plus grand savant qui fait une importante découverte et le plus « laborieux écolier » qu'une différence de degré.
En revanche, il existe entre le grand artiste et le simple imitateur une différence de nature.
2.
Il en donne l'explication : L'invention scientifique s'inscrit dans un progrès graduel, continu, méthodique et sans limite.
C'est pourquoi une découverte scientifique peut toujoursêtre découverte ou redécouverte par un autre esprit : chacun, pourvuqu'il apprenne, qu'il accroisse ses connaissances et se plie à la méthodescientifique est susceptible, du moins théoriquement, de refaire, de redécouvrir ce que les grands savants ont fait.
L'invention géniale de l'artiste est, au contraire, une capacité de produire telle ou telle œuvre d'art absolument originale et exemplaire, capacité qui nepeut être acquise par aucun autre créateur : elle a pour cause un don naturelde créer, don spécifique qui disparaît avec celui qui l'a reçu.
La manifestation d'un tel don chez un autre ne peut donc pas résulter d'un apprentissageméthodique.
Intérêt philosophique du texte
L'intérêt philosophique de ce texte est d'apporter une réponse originale et profonde au problème de la spécificité de l'art (des beaux-arts) en y voyant uneproduction du génie.
Kant définit en effet les beaux-arts comme les arts du génie (cf.
C ritique du jugement, § 46).Le génie est « la disposition innée de l'esprit par laquelle la nature donne ses règles à l'art ».
Il se caractérise par :1.
L'originalité : «le génie est le talent de produire ce dont on ne saurait donner de règle déterminée, ce n'est pas l'aptitude à ce qui peut être appris d'aprèsune règle quel¬conque».2.
L'exemplarité : «ses productions, car l'absurde aussi peut être original, doivent en même temps être des modèles».
Elles «doivent être proposées àl'imitation des autres».3.
L'incapacité à « indiquer scientifiquement comme il réalise son œuvre » ; et pourtant « il donne, en tant que nature, la règle.
Donc l'auteur d'une œuvrequ'il doit à son génie ne sait pas lui-même d'où viennent les idées et il ne dépend pas de lui d'en concevoir à volonté ou d'après un plan, ni de lescommuniquer à d'autres dans des prescriptions qui les mettraient à même de produire de semblables ouvrages ».
C'est cette définition du génie qu'explicite et illustre Kant dans notre texte.Un esprit aussi puissant que Newton n'est pas un « génie » en ce sens que son œuvre ne lui appartient pas en propre : la gravitation universelle, si ellen'avait pas été découverte par lui, aurait été découverte par quelqu'un d'autre.En revanche si Homère n'avait pas écrit l'Iliade ni l'Odyssée, personne n'aurait pu les écrire à sa place.
L'originalité de l'artiste est irréductible, non celledu savant.
Par ailleurs les découvertes de Newton peuvent être « redécouvertes » en ce sens que l'on peut reproduire sa démarche : « on peut apprendretout ce qu'il a exposé ».
Mais on ne peut apprendre à composer des poèmes comme ceux que composait Homère : si nous ne possédons pas son génie (etcomment le posséderions-nous ?), ce génie manquera toujours à nos compositions.
Certes, le génie engendrera une école, mais ses imitateurs ne feront quedes pastiches, à moins qu'ils ne possèdent eux-mêmes du génie.
Or sil'on ne peut apprendre à composer des œuvres comme celles que produit l'artiste de génie, c'est que celui-ci ignore lui-même, contraire ment au savant,selon quelles règles il les produit.
Newton peut rendre compte, dans le moindre détail, de l'enchaînement de ses idées, tandis que Homère « ne peut montrercomment ses idées surgissent et s'assemblent dans son cerveau ».
(Hegel s'opposera ici à Kant, en affirmant : « Il est ridicule de s'imaginer que levéritable artiste ne sait pas ce qu'il fait», Esthétique, coll.
Champs, I, p.
355).Mais si l'on ne peut apprendre à produire une œuvre de génie, comment peut-on alors proposer de telles œuvres à l'imitation ? C'est que les œuvres d'ungénie données comme modèles pourront exciter, révéler d'autres génies :« Les idées de l'artiste éveillent dans l'élève de semblables idées, si la nature a doué celui-ci de facultés équivalentes » (Critique du jugement, § 47)..
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