L'amour courtois dans Perceval ou le Roman de Graal de Chrétien de Troyes
Publié le 15/05/2020
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L'amour courtois dans Perceval ou le Roman de Graal de Chrétien de Troyes
Pour Chrétien de Troyes, le roman, qui accorde à l'amour une place essentielle, est l'occasion de définir les règles d'uneéthique amoureuse.
Le Conte du Graal propose ainsi d'une part une condamnation du « vilain désir », inclination violente digne des gens de peu, d'autre part une illustration de l'« amour courtois », relation raffinée distinctive des gens nobles.
I.
Une condamnation du « vilain désir
L'initiative féminine
À l'homme revient la nécessité de prendre l'initiative, comme le montre la condamnation de l'initiative féminine.
Dans lascène où elle vient, la nuit, toute seule et presque nue, trouver Perceval dans son lit, Blanchefleur fait preuve d'une telleaudace qu'elle commence par s'en justifier : « Ah ! noble chevalier, pitié ! Je vous implore, au nom de Dieu et de son Fils, dene pas me tenir pour vile parce que je suis venue ici.
Si je suis presque nue, je n'ai pas de folie en tête, ni rien de bas ou dehonteux!.
» (p.
70) De même, dans la scène où elle vient, la nuit, toute seule en cachette de son père, trouver Gauvain chezson hôte, la Demoiselle aux Petites Manches commet un écart de conduite que Gauvain n'excuse qu'au regard de son âge : «Elle a dit une trop jolie chose, comme la petite fille qu'elle est.
» (p.
136) Dans les deux scènes, la femme s'efforce demontrer qu'elle est en quête, non pas d'amour, mais de justice.
Elle prend un risque malgré tout, et la différence entre lesdeux situations montre que la Demoiselle aux Petites Manches adopte une conduite qui n'est permise qu'aux jeunes filles, etqui est interdite aux femmes plus âgées comme Blanchefleur.
La violence masculine
À la femme revient la liberté de donner son consentement, comme le montre la condamnation de la violence masculine.
Laviolence masculine est surtout envisagée sous les formes du viol et du siège.
Gréoréas, qui a jadis violé une demoiselle (p.172), est présenté sous un jour négatif.
Au lieu d'abandonner sa vieille rancune contre Gauvain, qui lui a promis de prendresoin de son amie s'il mourait mais qui lui a finalement sauvé la vie, il lui vole son cheval et l'abandonne ainsi dans la lande,lui promettant encore de le tuer plus tard s'il peut.
Clamadeu, qui n'assiège Blanchefleur que pour la conquérir, apparaîtcomme l'auteur d'un énorme désastre.
Non seulement il a causé la ruine de Beaurepaire, mais il risque encore de provoquerle suicide de Blanchefleur : « Clamadeu croit me conquérir, mais quoi qu'il fasse il ne m'aura pas, sinon sans âme et sansvie.
Car je garde dans un écrin un couteau à fine lame d'acier, que je me planterai droit au cceur 2! » (p.
71) La violence masculine est cependant aussi envisagée sous la forme du meurtre.
De même qu'Anguingueron a tué le père deBlanchefleur (p.
75), Guiromelan a tué l'ami de l'Orgueilleuse de Nogres (p.
203).
Ce dernier a bien les apparences de la courtoisie : d'une grande beauté, il s'accompagne d'un épervier et de quatre petits chiens de chasse; d'une grande politesse,il reconnaît en Gauvain un
semblable et l'accueille en ami.
Mais la réalité ne correspond pas à ces apparences : son amour pour l'Orgueilleuse de Nogres commesa haine contre Gauvain prennent des formes meurtrières qui trahissent sa démesure.
Toute forme de violence est donc proscritecontre la femme.
Comme le rappelle Gauvain, le modèle de la courtoisie : « Dans le royaume d'Arthur, les demoiselles sont protégées.Le roi, qui leur a proclamé la paix, leur donne escorte et garantie.
» (p.
172)
Il.
Une illustration de l'« amour courtois » Le mérite masculin
L'homme est dans la nécessité de prendre l'initiative, mais il ne peut le faire que dans la mesure où il fait preuve de mérite.
La relationqui se noue entre Perceval et Blanchefleur en offre un parfait exemple.
Dans l'épisode de Beaurepaire, Perceval, qui vient de passerune nuit chaste auprès de Blanchefleur, espère obtenir son amour s'il la délivre de son ennemi : « Si je le bats, si je l'occis, en retourje vous requiers votre amour.
Je ne veux d'autre récompense.
» (p.
72) Blanchefleur trouve cette récompense toute naturelle : «Monsieur, c'est une bien petite chose que vous m'avez demandée là.
» Dans l'épisode des gouttes de sang, Perceval tombe en étatd'extase amoureuse à la vue d'un spectacle qui lui rappelle le visage de Blanchefleur.
Dans cette rêverie, il jouit en quelque sorte deson seul amour.
Tout montre donc que Perceval, en véritable amant courtois, est maître de son désir.
La droiture féminine
La femme a la liberté de donner son consentement, mais elle ne peut en jouir que dans la mesure où elle fait preuve de droiture.
Lafemme ne peut prendre la liberté de refuser son amour à un homme qui le mérite, ou de donner son amour à un homme qui ne lemérite pas.
Sur le premier point, la relation de Perceval et Blanchefleur donne un exemple à imiter.
Blanchefleur en effet explique elle-même qu'un refus de sa part ne pourrait être interprété que comme une manifestation déplacée : « Si je vous la refusais, vous yverriez de l'orgueil.
» (p.
72) À travers cette déclaration de Blanchefleur, qui fait du mauvais usage qu'elle pourrait faire de sa libertéun péché capital, l'auteur indique clairement quelle limite donner à la liberté féminine.
Sur le second point, la relation de Guiromelan etClarissan offre un exemple à éviter.
Clarissan en effet, alors que Gauvain vient lui remettre l'anneau de Guiromelan, lui avoue en toutenaïveté qu'elle aime Guiromelan sans le connaître : «Si je l'aime en aucune façon, c'est de loin que je suis son amie : nous ne sommesjamais vus, sinon de part et d'autre de cette rivière.
» (p.
213) Or Guiromelan, ennemi mortel de Gauvain, se déclare convaincu queClarissan préférerait voir son frère mourir d'une mort atroce plutôt que son ami souffrir de la moindre blessure.
À travers cettedéclaration de Guiromelan, que Clarissan elle-même qualifie de « sottise », Chrétien de Troyes invite à se méfier de l'« amour de loin» dont la mode marque son époque..
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