L'activité artistique relève-t-elle du travail ou du jeu ?

« Introduction : Les œuvres d'art, à la différence des produits de l'artisanat, ne sont pas réalisées en vue d'une utilité, mais n'ont d'autre finalitéqu'elles-mêmes.

Les œuvres d'art se caractérisent par leur caractère gratuit, c'est-à-dire qu'il semble qu'elles ne servent à riend'essentiel, et c'est pourquoi on dit qu'elles sont purement esthétiques, qu'elles s'adressent à notre sensibilité.

Les œuvres d'art fontl'objet d'une contemplation désintéressée.

L'activité artiste semble alors s'apparenter davantage à une activité ludique qu'à une activitélaborieuse, en vue d'une fin.

Pourtant, l'art est aussi une technique, qui requiert un apprentissage et une pratique.

En outre l'art à unevaleur marchande et l'activité artistique peut être lucrative.

L'activité artistique relève-t-elle du travail ou du jeu ? 1ère partie : L'activité artistique relève du loisir et du jeu. - L'art s'oppose à l'artisanat et à la technique car il consiste en une production désintéressée, qui n'a pas d'autre but que la beauté et leplaisir, tandis que l'artisanat et la technique produisent en vue d'un intérêt pratique, d'une utilité, relativement à un besoin.

« Dèsqu'une chose devient utile, elle cesse d'être belle », écrit Théophile Gautier dans la préface à ses Poésies Complètes .

L'art est inutile et gratuit, il ne vise pas d'autre finalité que lui-même.

L'art semble s'inscrire davantage dans la sphère du loisir et de l'agrément que dutravail et de la contrainte.- L'artiste et souvent considéré comme un rêveur, qui s'échappe dans l'univers qu'il invente, comme un enfant qui joue dans desmondes imaginaires.

L'activité artistique demande une libération de l'esprit.

Ainsi, les personnes qui sont trop occupées à travailler,pressées par les besoins vitaux et les satisfactions primaires, n'ont pas le temps ni la disposition pour se livrer à une activité artistique.L'activité artistique est d'ailleurs mise au rang des loisirs, dans notre société (on s'inscrit dans des club de chant, de peinture, demodelage, etc).

2ème partie : L'activité artistique relève d'un savoir-faire et de règles qui s'apparentent au travail. - L'art, en tant qu'ensemble de moyens mis en œuvre en vue de parvenir à une fin, obéit manifestement à des règles de finalité.L'artiste doit apprendre une technique, expérimenter une pratique, avant de parvenir au résultat escompté.

L'activité artistique requiertun « savoir-faire » (c'est la technê, l'art définit chez Aristote).

L'art comme la technique suppose alors le respect de règles prescrivant les moyens les plus efficaces de parvenir à la fin visée.- La production artistique est régie par des règles : qu'il s'agisse des règles de la métrique définies par Horace dans L'art poétique , des règles de solfège en musique, des règles géométriques de la perspective et de la proportion en peinture ( Traité des proportions d'Albrecht Dürer), des règles de la symétrie en architecture ( De architectura , de Vitruve), de la règle des trois unités dans la tragédie classique (définie par Aristote dans la Poétique ).

Dans tous les cas, l'activité artistique relève d'un travail contraint par un canon auquel il se refère, c'est-à-dire sur un ensemble de normes objectives auxquelles l'artiste accepte de se soumettre en vue de parvenir aurésultat esthétique visé.- Les règles du canon peuvent faire l'objet d'une prescription institutionnalisée.

En France, l'institution des Académies au 17 ème siècle a pour objet de produire une codification expresse des règles de l'art et de leur conférer une authentique autorité.

Cetteinstitutionnalisation de l'académisme implique que l'application ou la non application des règles puisse être accompagnée de sanctions :glorification publique ou mise au ban d'un artiste.

L'activité artistique est donc légiférée, au même titre qu'un travail dans lequel toutn'est pas permis, et où la liberté individuelle est limitée.- L'art fait l'objet d'un jugement critique : des spécialistes instituent une hiérarchie parmi les artistes, en qualifiant les artistes majeurs -les génies - et les artistes mineurs.

On met les œuvres en compétition : dans le cas des Salons de Paris, au 19 ème siècle, ou des festivals aujourd'hui, à l'issus desquels on dresse un palmarès des meilleures œuvres (films, romans, peintures…).

Les critiques d'artfont le même travail que les critiques gastronomiques, en attribuant un nombre d'« étoiles » qui indique le degré de réussite del'œuvre.

Si une telle évaluation objective est possible, c'est qu'il existe des critères bien définis, qui permettent de juger si l'œuvre yrépond conformément à des règles précises.- On comprend alors que l'activité artistique est un travail dès lors qu'elle entre dans une logique de production et de consommation.L'art obtient une valeur marchande, il peut donc faire l'objet d'une rémunération, et est considéré comme un travail pour l'artiste qui envit.

3ème partie : Mais le savoir-faire ne suffit pas : l'activité artistique nécessite une démarche ludique. - Les règles de l'art sont moins contraignantes que dans la production technique : elles sont indicatives plutôt que prescriptives- Le critère de l'art est l'originalité.

L'art doit nous surprendre, nous émerveiller, nous édifier, nous choquer.

S'il obéissait strictement àdes règles, non seulement il ne nous offrirait plus de surprise, mais encore l'œuvre ne serait pas unique et originale, car toute personneappliquant les règles parviendrait à faire la même chose.

Une œuvre d'art n'est réussie que si elle est originale et non pas conforme austéréotype édicté par une règle.

Il faut donc que l'artiste s'amuse en créant, et non qu'il soit un simple exécutant.- L'artiste se caractérise par son caractère créateur, sa capacité à inventer, à se détacher de ce qu'il a appris, de ce qui a déjà été fait,pour donner naissance à de nouvelles formes, un nouveau style.- Certes, l'art possède des règles, qui sont utiles à l'artiste, mais celui-ci ne doit s'en servir que pour les dépasser.

Les règles de l'artont ceci de particulier qu'elles semblent faites pour être transgressées.

Les règles de l'art sont indicatives et non prescriptives.

Ellesguident l'artiste au départ, mais ce dernier doit s'en affranchir, et s'autonomiser pour devenir vraiment créateur.

L'artiste est libre àl'égard des règles : l'exemple de la « licence poétique », nous montre que l'art peut même être fondé sur la liberté de transgresser lesrègles.

L'artiste doit « se jouer des règles », ou « jouer avec les règles ».- L'art exige un talent qui est « opposé à l'esprit d'imitation » et qui ne peut faire l'objet d'aucun enseignement, et ne relève pas d'untravail.

Hegel, dans l' Esthétique , explique que la façon dont l'artiste réalise son produit ne peut être exposée scientifiquement ni même décrite.

« Aucun Homère ou Wieland ne peut montrer comment ses idées riches de poésie et toutefois en même temps grosses depensée surgissent et s'assemblent dans son cerveau, car il ne le sait pas lui-même et aussi ne peut l'enseigner à personne »(Esthétique , 1er vol.) Conclusion : Si l'activité artistique peut être considérée comme un travail, la démarche artistique relève cependant du jeu.

Certes, l'art peut êtrelucratif, et le fait d'entrer sur le marché apporte des contraintes à l'artiste qui peut tenter de répondre à une demande, et de satisfairedes exigences.

Certes, l'activité artistique demande de l'effort, un apprentissage, et une pratique, mais elle ne s'arrête pas là.

Tant quel'artiste ne considérera pas son activité comme un jeu, il restera un artisan, un habile ouvrier.

L'art ne s'enseigne pas comme unsavoir-faire technique, et il ne suffit pas d'apprendre et d'appliquer des règles pour être artiste, il faut s'amuser, se libérer de lacontrainte et déjouer la règle pour être créateur.. »