La technique peut-elle garantir le bonheur ?
Publié le 10/12/2021
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« La nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale et qu'il ne participe à aucun autre bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu'il s'est créés lui-même, libre de l'instinct, par sa propre raison. La nature, en effet, ne fait rien en vain et n'est pas prodigue dans l'usage des moyens qui lui permettent de parvenir à ses fins. Donner à l'homme la raison et la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, c'est déjà une indication claire de son dessein en ce qui concerne la dotation de l'homme. L'homme ne devait donc pas être dirigé par l'instinct ; ce n'est pas une connaissance innée qui devait assurer son instruction, il devait bien plutôt tirer tout de lui-même. La découverte d'aliments, l'invention des moyens de se couvrir et de pourvoir à sa sécurité et à sa défense (pour cela la nature ne lui a donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement les mains), tous les divertissements qui peuvent rendre agréable la vie, même son intelligence et sa prudence et aussi bien la bonté de son vouloir, doivent être entièrement son oeuvre. La nature semble même avoir trouvé du plaisir à être la plus économe possible, elle a mesuré la dotation animale des hommes si court et si juste pour les besoins si grands d'une existence commençante, que c'est comme si elle voulait que l'homme dût parvenir par son travail à s'élever de la plus grande rudesse d'autrefois à la plus grande habileté, à la perfection intérieure de son mode de penser et par là (autant qu'il est possible sur terre) au bonheur, et qu'il dût ainsi en avoir tout seul le mérite et n'en être redevable qu'à lui-même ; c'est aussi comme si elle tenait plus à ce qu'il parvînt à l'estime raisonnable de soi qu'au bien-être. Car dans le cours des affaires humaines, il y a une foule de peines qui attendent l'homme. Or il semble que la nature ne s'est pas du tout préoccupée de son bien-être mais a tenu à ce qu'il travaille assez à se former pour se rendre digne, par sa conduite, de la vie et du bien-être. Il reste en tout cas ici quelque chose d'étrange : les générations antérieures ne semblent s'être livrées à leur pénible besogne que pour le profit des générations ultérieures, pour leur préparer une étape à partir de laquelle elles pourront élever plus haut l'édifice dont la nature a formé le dessein ; et seules les plus tardives auront le bonheur d'habiter le bâtiment auquel la longue série de leurs prédécesseurs (certes sans en avoir le dessein) a travaillé, sans pouvoir non plus partager le bonheur qu'ils préparaient. Mais aussi mystérieux que cela soit, c'est pourtant aussi nécessaire, une fois qu'on a admis ceci : une espèce animale doit être douée de raison, et, comme classe d'êtres raisonnables, tous mortels mais dont l'espèce est immortelle, elle doit tout de même parvenir au développement complet de ses dispositions.
« La nature a voulu que l'homme tire entièrement de lui-même tout ce qui dépasse l'agencement mécanique de son existence animale et qu'il ne participe à aucun autre bonheur ou à aucune autre perfection que ceux qu'il s'est créés lui-même, libre de l'instinct, par sa propre raison. La nature, en effet, ne fait rien en vain et n'est pas prodigue dans l'usage des moyens qui lui permettent de parvenir à ses fins. Donner à l'homme la raison et la liberté du vouloir qui se fonde sur cette raison, c'est déjà une indication claire de son dessein en ce qui concerne la dotation de l'homme. L'homme ne devait donc pas être dirigé par l'instinct ; ce n'est pas une connaissance innée qui devait assurer son instruction, il devait bien plutôt tirer tout de lui-même. La découverte d'aliments, l'invention des moyens de se couvrir et de pourvoir à sa sécurité et à sa défense (pour cela la nature ne lui a donné ni les cornes du taureau, ni les griffes du lion, ni les crocs du chien, mais seulement les mains), tous les divertissements qui peuvent rendre agréable la vie, même son intelligence et sa prudence et aussi bien la bonté de son vouloir, doivent être entièrement son oeuvre. La nature semble même avoir trouvé du plaisir à être la plus économe possible, elle a mesuré la dotation animale des hommes si court et si juste pour les besoins si grands d'une existence commençante, que c'est comme si elle voulait que l'homme dût parvenir par son travail à s'élever de la plus grande rudesse d'autrefois à la plus grande habileté, à la perfection intérieure de son mode de penser et par là (autant qu'il est possible sur terre) au bonheur, et qu'il dût ainsi en avoir tout seul le mérite et n'en être redevable qu'à lui-même ; c'est aussi comme si elle tenait plus à ce qu'il parvînt à l'estime raisonnable de soi qu'au bien-être. Car dans le cours des affaires humaines, il y a une foule de peines qui attendent l'homme. Or il semble que la nature ne s'est pas du tout préoccupée de son bien-être mais a tenu à ce qu'il travaille assez à se former pour se rendre digne, par sa conduite, de la vie et du bien-être. Il reste en tout cas ici quelque chose d'étrange : les générations antérieures ne semblent s'être livrées à leur pénible besogne que pour le profit des générations ultérieures, pour leur préparer une étape à partir de laquelle elles pourront élever plus haut l'édifice dont la nature a formé le dessein ; et seules les plus tardives auront le bonheur d'habiter le bâtiment auquel la longue série de leurs prédécesseurs (certes sans en avoir le dessein) a travaillé, sans pouvoir non plus partager le bonheur qu'ils préparaient. Mais aussi mystérieux que cela soit, c'est pourtant aussi nécessaire, une fois qu'on a admis ceci : une espèce animale doit être douée de raison, et, comme classe d'êtres raisonnables, tous mortels mais dont l'espèce est immortelle, elle doit tout de même parvenir au développement complet de ses dispositions.
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