La poésie
Publié le 06/12/2021
Extrait du document
TEXTE A
ALFRED DE VIGNY (1797-1863)
Journal d'un poète (1867), extraits
La perpétuelle lutte du Poète est celle qu'il livre à son idée. Si l'idée triomphe du Poète et le passionne trop, il est sa dupe et tombe dans la mise en action de cette idée et s'y perd. Si le Poète est plus fort que l'idée, il la pétrit, la forme, la met en oeuvre. Elle devient ce qu'il a voulu : un monument. (1837)
Rien n'est plus rare qu'un poète écrivant en vers le fond de sa pensée la plus intime sur quelque chose. Quand on y arrive et que l'on sort de ce que la Poésie a de trop fardé, composé et compassé, on éprouve une secrète et douce satisfaction à la rencontre du vrai dans le beau. (1842)
La Poésie en vers, la seule vraie dans la forme du rythme et de la rime, est un élixir des idées ; mais le choix de ces idées est difficile ; le vrai Poète, seul, a le goût assez exquis pour les frayer et séparer l'ivraie du bon grain. (1843)
TEXTE B
CHARLES BAUDELAIRE – Les Fleurs du mal (éd. 1861)
Le Guignon
Pour soulever un poids si lourd,
Sisyphe, il faudrait ton courage !
Bien qu'on ait du coeur à l'ouvrage,
L'Art est long et le Temps est court.
Loin des sépultures célèbres,
Vers un cimetière isolé,
Mon coeur, comme un tambour voilé,
Va battant des marches funèbres.
Maint joyau dort enseveli
Dans les ténèbres et l'oubli,
Bien loin des pioches et des sondes ;
Mainte fleur épanche à regret
Son parfum doux comme un secret
Dans les solitudes profondes.
TEXTE C
ALAIN BOSQUET (1919-1998)
Un jour après la vie (1984)
Passage d'un poète
Le poète est passé : un remous dans l'argile
se dresse en monument,
avec soudain le bras qui se profile,
la lèvre et l'oeil aimants ;
Le poète est passé : le ruisseau qui hésite,
devient fleuve royal ;
il n'a plus de repos ni de limites ;
il ressemble au cheval.
Le poète est passé : au milieu du silence
s'organise un concert,
comme un lilas ; une pensée se pense,
le monde s'est ouvert.
Le poète est passé : un océan consume
ses bateaux endormis.
La plage est d'or et tous les ors s'allument
pour s'offrir aux amis.
Le poète est passé : il n'est plus de délire
qui ne soit oeuvre d'art.
Le vieux corbeau devient un oiseau-lyre.
Il n'est jamais trop tard
pour vivre quinze fois : si le poète hirsute
repasse avant l'été,
consultez-le car de chaque minute
il fait l'éternité.
TEXTE D
HENRI MICHAUX (1899-1985)
La nuit remue (1931)
Contre-création
Je vous construirai une ville avec des loques, moi !
Je vous construirai sans plan et sans ciment
Un édifice que vous ne détruirez pas
Et qu'une espèce d'évidence écumante
Soutiendra et gonflera, qui viendra vous braire au nez,
Et au nez gelé de tous vos Parthénons, vos arts arabes, et de vos Mings.
Avec de la fumée, avec de la dilution de brouillard
Et du son de peau de tambour,
Je vous assoierai des forteresses écrasantes et superbes,
Des forteresses faites exclusivement de remous et de secousses,
Contre lesquelles votre ordre multimillénaire et votre géométrie
Tomberont en fadaises et galimatias et poussières de sable sans raison...
Oh ! monde, monde étranglé, ventre froid !
Même pas symbole ; mais néant, je contre, je contre,
Je contre et te gave de chiens crevés.
En tonnes, vous m'entendez, en tonnes, je vous arracherai ce que vous m'avez refusé en grammes...
Dans le noir nous verrons clair mes frères.
Dans le labyrinthe nous trouverons la voie droite.
Carcasse, où est ta place ici, gêneuse, pisseuse, pot cassé ?
Poulie gémissante, comme tu vas sentir les cordages tendus des quatre mondes!
Comme je vais t'écarteler !
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