LA MISÈRE ET L'ASSISTANCE AU XVIIIe siècle
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
Les historiens qui ont parlé de 1a. société française
au xvxue siècle ont souvent décrit avee complaisance
tout le décor brillant de cette civilisation raffinée, grâce
à laquelle les privilégiés avaient connu • la, douceur
de vivre •· Mais il y a à la médaille un revers qu'on
laisse volontiers dans l'ombre: c'est la misère,qui atteint
si durement une bonne partie de la population des campagnes
et des villes. Or, on ne peut avoir une idée précise
de la vie économique et sociale d'une époque, si
l'on ne considère pas cet élément essentiel de la question. ·
La misère dans· les campagnes. - Contrairement à ce
qui se passe de nos jours, c'est, au ~uxe siècle, dans
les campagnes que la misère est le plus intense. Pour le
comprendre, il suffit de se rappeler ce que nous avons
-dit de la propriété paysanne et de l'agriculture.
Partout, on trouve des paysans aisés, des laboureurs,
mais ils ne constituent qu'une infime minorit/4 de là
population rurale. La plupart des paysans n'ont qu'une
quantité de terre insuffisante pour les faire vivre et
sont même dénués de toute propriété ; ce fait, qui-se
manifeste clairement en Bretagne, apparaît plus frappant
encore dans les provinces du Nord, surtout en
Artois, en Picardie, en Flandre. Ces journaliers n'ont
pour vivre que le travail de leurs bras. Leurs salaires
sont généralement très faibles : ils ne dépassent pas
8 à 10 sous par jour en Bretagne et, même dans les provinces
les plus riches, ils sont toujours inférieurs à
20 ou même à 15 sous. S'il y a eu une hausse sur les
sal~es à la ~ du xvure siècle, elle a été bien moins
considérable que la hausse des pru:.
En temps normal, les travailleurs agricoles peuvent
tout juste suffire à leurs besoins rudimentaires. Mais
vienne une de ces crises si fréquentes encore au xv1118
siècle, une série de mauvaises récoltes, les voilà condamnés
au chômage, précisément au moment où les
vivres renchérissent dans. d'énormes proportions. O'est
pour des milliers de familles la' misère, l'obligation de
demander l'aumône. Les paysans aisés, loin de les secourir,
ne songent qu'à « renchérir leurs grains », comme
le remarque un curé breton en 1775.
La misère dans les villes. - Dans les villes, on cons•
ta.te souvent aus,si l'existence de nombreux pauvres.
Dans une ville comine Rennes, un sixième de là population
est trop dénué de ressources pour être astreint à ·
la capitation, et, parmi ceux qui doivent l'acquitt~r,
il y a de nombreux manoeuvres' et petits marchands
·dont la condition est bien précaire. D'ailleurs, les compagnons
de métiers eux-mêmes n'ont que de très faible.q
salaires, qui ne dépassent guère 12 ou 15 sous par jour.
Une crise industrielle ou une hausse des denrées suffit
pour les réduire à la misère. A Vitro, à partir do 1760,
la dépression économique qui atteint la fabrication
des toiles réduit les trois quarts des habitants à la plus
noire détresse ; ils meurent de faim dans leurs taudis,
comme le montre la lettre d'un subdélégué, en 1762.
Dans les grands centres industriels, dans la Normandie
orientale, en Picardie, en Flandre, en Champagne, la
crise industrie!le qui a été déterminée par le traité de
commerce aveè l'Angleterre, de 1786, produit une misère
extrême parmi la population ouvrière. Puis, beaucoup
de pauvres, qui ne peuvent plus subsister dans les
campagnes, viennent se réfugier dans les villes, où ils
espèrent trouver· du travail ou du moins des aumônes
plus larges qu'aux champs.
Néanmoins, on peut se convaincre que la misère, au
xv1118 siècle, est plus fréquente et plus intense dans les
campagnes que dans les villes. Les épidémies y sévissent
phJs souvènt et y sont plus meurtrières.
Ce sont surtout les pauvres des campagnes qμi constituent
ces bandes de mendiants et de vagabonds que
l'on .voit parcourir les routes en · tous sens, pillan,t les
villages, détroussant les voyageurs, terrorisant les habitants
des fermes et des hameaux isolés,si nombreux dans
l'Ouest. Ce fléau iie fait que s'aggraver à la fin de l'ancien
régime, et les cahiers de 1789 s'accordent tous à demander
qu'on prenne des mesures propres à les _en délivrer.
Impuissance de la charité. - Contre la misère, la
charité privée se montre absolument impuissante. Les
propriétaires · nobles, en général, ne s'acquittent que
très mollement de leurs devoirs de charité, et les décimateurs
ecclésiastiques eux-mêmes ne consacrent que bien
peu d'argent au soulagement des pauvres : c'est ce que
déclarent non seulement les cahiers de paroiBBes, mais .
les subdélégués des intendants et les curés eux-mêmes.
Dans les campagnes, au moyen âge, on constatait
l'existence d'un assez grand nombre d'hôpitaux et
d'aumôneries ; mais la plupart ont disparu au xvxa
siècle. -Quant aux fondations charitables des paroisses
rura.ies, destinées à soulager les pauvres, el.les sont peu
nombreuses et médiocrement dotées.
Dans les villes, l'assistance, en général, laisse aussi
fort à désirer ; M. Chaudron nous dit bien qu'à Troyes
elle était parfaitement organisée,mais son argumentation
ne nous semble pas convaincante. La plupart des villes,
il est vrai, possèdent des Hôtels-Dieu, et ces hôpitaux
jouissent de biens-fonds, de rentes mobilières, de' dons
volontaires, plus ou moins abondants, mais qui ne suffisent
pas pour l'hospitalisation des malades, comme le
prouvent les enquêtes faites par l'autorité royale, au
cours du xvnxe siècle, et, si leurs secours ont quelque
efficacité, c'est surtout grâce aux services que leur rendent
certaines communautés religieuses de femmes qui
les desservent. L'Hôtel-Dieu de Rennes ne contient que
120 lits pour une population de 30 000 habitant11 et il n'a
pas de salle spéciale pour les femmes en couches. Les
hôpitaux de Paris sont organisés de la façon la plus
déplorable; les malades sont entassés pêle-mêle dans
des locaux malsains ; on en couche plusieurs dans le
même lit; la nourriture et les soins médicaux sont également
insuffisants ; c'est ce que montre notamment
l'enquête que fit faire Necker.
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