LA LOI NON ÉCRITE DES DIEUX
Publié le 30/06/2020
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« On fait communément remonter ou XVIIe siècle la naissance de la notion moderne de " droits de l'homme », en la corrélant avec l'École du droit naturel, dont Grotius ht le précurseur. On a toutefois fait observer que l'Antiquité n'ignorait nullement l'idée d'un droit naturel, surtout si l'on prend cette expression dons le sens de " droit idéal ». Une justice divine Le droit naturel fut d'abord conçu comme un droit divin : la justice est un principe transcendant et le droit est édicté par les dieux. Ainsi, pour la pensée juive, c'est Dieu lui-même qui donne à Moïse les Tables de la Loi, et, pour les Grecs, il existait une déesse de la Justice, Thémis, qui ayant épousé Zeus, le roi des dieux, siégeait près de lui et présidait à l'ordre universel. La pensée religieuse et mythique distinguait donc bien du droit des hommes un droit éternel et surnaturel qui devait en fournir le modèle. Mais un tel droit avait une dimension religieuse, qu'il perd précisément (ou du moins prétend perdre) dans la conception moderne du droit naturel sur laquelle s'appuie la doctrine des droits de l'homme : or une telle dimension religieuse n'autorisait pas l'énonciation de droits de l'homme spécifiques en tant que découlant de la nature humaine: tout au contraire, la justice divine ...»
«
LA
LOI NON ÉCRITE
DES DIEUX
est conçue comme un ensemble de
devoirs impératifs (« Tu ne tueras
point », etc.) plutôt que de droits.
Cependant la notion d'un droit naturel
fut substituée à celle d'une
justice divine par la réflexion phi
losophique, et d'abord par les
sophistes.
On
fait communément remonter ou XVII•
siècle la naissance de la notion moderne
de " droits de l'homme », en la corrélant
avec /'École du droit naturel, dont Grotius
fut le précurseur.
On a toutefois fait
observer que I' Antiquité n'ignorait
nullement l'idée d'un droit naturel,
surtout si l'on prend cette expression
dons le sens de " droit idéal "· LES
SOPHISTES :
Une justice
divine UN
ANTAGONISME
DE LA NATURE ET DE LA LOI
Le droit naturel fut d'abord conçu
comme un droit divin : la justice est
un principe transcendant et le droit
est édicté par les dieux.
Ainsi, pour
la pensée juive, c'est Dieu lui
même qui donne à Moïse les
Tables de la Loi, et, pour les Grecs,
il existait une déesse de la Justice,
Thémis, qui ayant épousé Zeus, le
roi des dieux, siégeait pr�I de lui
et présidait
à l'ordre universel.
La
pensée religieuse et mythique dis
tinguait donc bien du droit des
hommes un droit éternel et surna
turel qui devait en fournir le
mod�6+
Mais un tel droit avait une
dimension religieuse, qu'il perd
précisément (ou du moins prétend
pe rdre) dans la conception
moderne du droit naturel sur
la quelle s'appuie la doctrine des
droits de l'homme : or une telle
dimension religieuse n'autorisait
pas l'énonciation de droits de
l'homme spécifiques en tant que
découlant de la nature humaine:
tout au contraire, la justice divine Aux V
0
et IV0
s.
av.
J.-C., des
sophistes tels Lycophron, Anti
phon, Hippias, ont en effet posé
avec netteté le probl�;+ du droit
naturel en abordant celui des rap
ports qu'entretiennent la nature
(phusis) et la loi (nomos).
En effet,
la loi, font-ils observer, est une
création humaine, une convention,
une alliance, un contrat passé par
les hommes et établi par eux.
C'est
pourquoi la loi change d'un pays,
d'une cité et d'une époque à l'autre.
Cette variabilité est la marque
même de sa fragilité.
La loi poli
tique n'a pas de valeur absolue.
Elle rel�O+ de l'opinion.
En revanche les lois de la nature
sont, elles, absolues: elles sont
universelles et invariables.
La
nature seule peut donc fournir une
norme universelle : la véritable jus
tice, c'est d'obéir à la loi de la
nature, à laq uelle appartient
d'abord l'individu, la société
n'étant qu'une construction.
Antigone face à Créon
Fille d'Œdipe, Antigone,
pour rendre les derniers
honneurs au cadavre de
son frère Polynice, brava
tes ordres de Créon, roi de
Thèbes, qui voutait qu'on
le laissât sans sépulture.
Aussi Antigone fut-elle condamnée à être enterrée vive, mais elle
se pendit.
La figure mythique d'Antigone symbolise la croyance Irréductible en un droit « non
écrit» supérieur au droit édicté par les hommes, ainsi qu'il ressort de ta pièce de Sophocle.
A Créon
qui s'écrie: « Ainsi tu as osé passer outre à ma loi?», Antigone réplique:« Oui, car
ce n'est pas Zeus qui l'avait proclamée ! ce n'est pas la Justice, assise aux côtés des dieux
infernaux; non, ce ne sont pas là les lois qu'ils ont jamais fixées aux hommes, et je ne pen
sais pas que tes défenses à toi fussent assez puissantes pour permettre à un mortel de pas
ser outre à d'autres lois, aux lois non écrites, inébranlables, des dieux ! Elles ne datent, celles
/à, ni d'aujourd'hui ni d'hier, et nul ne sait le jour où elles ont paru.
» (Antigone, 449-557).
(Ph.
Hachette.) «
La justice, explique Antiphon,
consiste à ne transgresser aucune des
règles légales admises par la cité dont
on fait partie.
Ainsi l'observation de la
justice est tout à fait conforme à l'inté
rêt de
l'individu, si c'est en présence de
témoins qu'il respecte les lois ; mais s'il
est seul et sans témoin, son intérêt est
d'obéir à la nature.
Car ce qui est de la
loi est accident ; ce qui est de la nature
est nécessité ; ce qui est de la loi est
établi par convention et ne se produit
pas de soi-même: ce qui est de la
nature ne résulte pas d'une convention,
mais se produit de soi-même.
Ainsi,
celui qui transgresse les règles légales,
s'il le fait à l'insu des hommes qui les
ont établies par leur convention, est
indemne de honte et de châtiment ; s'il
est découvert, non ; tandis que, si à
l'encontre du possible, on violente
l'ordre de la nature, cette violation fût
elle inconnue à tous les hommes, le mal
n'en est pas moindre; et tous en
seraient témoins qu'il ne serait pas plus
grand : car le dommage ici ne résulte
pas de l'opinion, mais de la réalité.
»
(Trad.
L.
Gernet, pp.176-177).
le droit
du plus fort
Mais si la loi civile « est le tyran des
hommes », selon l'expression
d'Hippias, dans la mesure où elle
ne s'accorde pas avec la nature, en
quoi consiste donc cette justice
véritable qu'est la nature ? A cette
question les sophistes apportent,
semble-t-il, deux réponses diver
gentes : pour les uns, comme pour
le Callicl�I de Platon, c'est la vio
lence; le droit naturel est conçu
comme le droit du plus fort, ce que
nous nommerions aujourd'hui la loi
de la jungle -ce qui exclut évi
demment l'existence de droits de
l'homme..
»
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