La Justice (cours) - Philo
Publié le 20/03/2024
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«
LA JUSTICE
Nous sommes prompts à dénoncer l’injustice et à revendiquer plus de justice.
Nous reprochons aussi
souvent à la Justice (en tant qu’institution) d’être trop lente ou de ne pas effectuer son travail.
Comme
si nous avions une connaissance intuitive du juste et comme si nous étions autorisés à juger sans avoir
aucune connaissance du droit.
Mais qu’est-ce que le juste ? Chacun peut-il l’invoquer, et ce, sans aucune expertise ? Quels sont les
ressorts de l’esprit de justice ? Devons-nous d’autre part accabler la Justice de tous les maux ?
Devons-nous lui reprocher sa lenteur ou son approximation ? Mais que serait une société sans le droit
ni la loi ? Ne sont-ils pas nécessaires même s’ils sont imparfaits ? D’ailleurs la Justice peut-elle être
parfaite ?
1.
Qu’est-ce qu’être juste ?
a) L’esprit de justice
Le mot juste qualifie quelqu’un à qui l’on attribue une vertu.
Une telle vertu doit se traduire à travers
des comportements.
Mais en quoi consistent ces comportements ? On répond spontanément qu’ils
manifestent le souci de justice.
Il importe dès lors de savoir ce qu’est l’esprit de justice.
Bon à savoir : Platon distingue 4 vertus principales : la tolérance, la prudence, le courage et la justice.
● Commençons par dire ce qu’il n’est pas :
- L’esprit de justice ne consiste pas à aller dans le sens de ses propres intérêts.
Il se peut qu’il soit
juste de réclamer pour soi bien évidemment mais l’esprit de justice n’est pas à confondre avec
l’égoïsme !
- Il ne s’agit pas non plus d’avantager ses proches : sa famille, ses amis, ses voisins, ses collègues,
ses élèves.
Être juste, ce n’est pas par exemple pour un enseignant donner les sujets du bac par
anticipation si par chance il les connaît ! L’esprit de justice se distingue aussi du népotisme qui
consiste à abuser de son pouvoir en faveur de sa famille.
● Nous pouvons désormais dire ce qu’il est :
- L’esprit de justice consiste essentiellement en une prise de conscience qu’il y a des choses à faire et
d’autres à ne pas faire dans la relation avec les autres : il y a des obligations et des interdictions.
- Ainsi être juste, c’est faire ce qu’on doit : j’ai des devoirs parce que les autres ont des droits.
- Être juste c’est donc donner à chacun ce à quoi il a droit, ce qui lui revient.
Une telle définition semble satisfaisante cependant elle pose problème : qu’entend-on en effet lorsque
nous parlons du droit des autres ? Tous les hommes ont-ils les mêmes droits ou certains en ont-ils
plus que les autres (en fonction de leur naissance, de leur statut social par exemple) ?
Nos sociétés sont égalitaires mais l’égalité est une exigence moderne ; ce ne fut pas toujours le cas.
Bien au contraire, on traçait autrefois des frontières a priori entre les êtres humains en fonction de
leur naissance.
Ainsi dans l’Inde traditionnelle, l’appartenance à une caste déterminait la nature des droits de
l’individu.
Dans l’Ancien Régime la société française était divisée en 3 ordres : la noblesse, le clergé et le tiersétat et la noblesse était héréditaire.
Aux États-Unis et en Afrique du Sud, il n’y a encore pas si longtemps les droits et les devoirs
dépendaient de la couleur de la peau.
Et dans la Grèce antique, on naissait libre ou esclave…
Tous ces systèmes sont néanmoins injustifiables.
- On peut estimer alors qu’être juste c’est : ne pas discriminer a priori et dire que tous les hommes se
valent et que chacun doit recevoir autant que les autres.
- Être juste c’est donc affirmer qu’il existe un genre humain et que ce genre humain est composé
d’individus égaux en valeur et en droit.
b) La notion de mérite
Être juste, c’est donner à chacun ce qui lui est dû, sans a priori.
Toutefois, tous les hommes méritentils d’avoir autant les uns que les autres ? Si un travailleur produit plus et de meilleure qualité que les
autres, n’est-il pas juste qu’il gagne plus que les autres ?
On reconnaît dès lors qu’il faut donner à chacun en fonction de ce qu’il mérite et non seulement en
fonction de sa qualité d’être humain.
C’est ce que l’on exprime dans la formule suivante : « Chacun dispose à proportion de ce qu’il fait ».
On distingue ainsi deux formes d’égalité :
- une égalité arithmétique qui donne la même chose à chacun ; cette égalité ne distingue pas entre les
individus,
- une égalité proportionnelle qui distribue à chacun selon son mérite.
Remarque : l’égalité proportionnelle semble plus juste parce qu’elle prend en compte les situations
et les performances ; elle ne distribue pas aveuglément.
Elle pose cependant un problème parce que
le mérite est difficile à identifier et à quantifier.
Sur quel(s) critère(s) peut-il s’établir ?
Il existe par exemple des bourses au mérite pour les étudiants.
Ces bourses au mérite sont établies en
fonction des résultats et on comprend bien qu’un étudiant qui obtient d’excellents résultats a du mérite.
Mais que dire de celui qui travaille dur pour un résultat médiocre.
N’est-il pas lui aussi méritant même
s’il n’est pas brillant ?
2.
Les hommes sont-ils naturellement justes ?
L'anneau de Gygès
Les hommes prétendent que, par nature, il est bon de commettre l'injustice et mauvais de la souffrir,
mais qu'il y a plus de mal à la souffrir que de bien à la commettre.
Aussi, lorsque mutuellement ils la
commettent et la subissent, et qu'ils goûtent des deux états, ceux qui ne peuvent point éviter l'un et
choisir l'autre, estiment utiles de s'entendre pour ne plus ni commettre ni subir l'injustice.
De là prirent
naissance les lois et les conventions, et l'on appela ce que prescrivait la loi légitime et juste.
Voilà
l'origine et l'essence de la justice : elle tient le milieu entre le plus grand bien – commettre
impunément l'injustice – et le plus grand mal – la subir quand on est incapable de se venger.
Entre
ces deux extrêmes, la justice est aimée non comme un bien en soi, mais parce que l'impuissance de
commettre l'injustice lui donne un prix.
En effet, celui qui peut pratiquer cette dernière ne s'entendra
jamais avec personne pour s'abstenir de la commettre ou de la subir, car il serait fou.
Telle est donc,
Socrate, la nature de la justice, et telle son origine, selon l'opinion commune.
Maintenant que ceux qui la pratiquent agissent par impuissance de commettre l'injustice, c'est ce que
nous sentirons particulièrement bien si nous faisons la supposition suivante.
Donnons licence au juste
et à l'injuste de faire ce qu'ils veulent ; suivons-les et regardons-les où, l'un et l'autre, les mène le désir.
Nous prendrons le juste en flagrant délit de poursuivre le même but que l'injuste, pousser par le besoin
de l'emporter sur les autres : c'est ce que recherche toute nature comme un bien, mais que, par loi et
par force, on ramène au respect de l'égalité.
La licence dont je parle serait surtout significative s'ils
recevaient le pouvoir qu'eut jadis, l'ancêtre de Gygès le Lydien (1).
Cet homme était berger, au service
du roi qui gouvernait alors la Lydie (2).
Un jour, au cours d'un violent orage, accompagné d'un séisme,
le sol se fendit et il se forma une ouverture béante près de l'endroit où il faisait paître son troupeau.
Plein d'étonnement, il y descendit, et, entre autres merveilles que la fable énumère, il vit un cheval
d'airain creux, percé de petites portes ; s'étant penché vers l'intérieur, il y aperçut un cadavre de taille
plus grande, semblait-il que celle d'un homme, et qui avait à la main un anneau d'or, dont il s'empara ;
puis il partit sans prendre autre chose.
Or, à l'assemblée habituelle des bergers qui se tenait chaque
mois pour informer le roi de l'état de ses troupeaux, il se rendit portant au doigt cet anneau.
Ayant pris
place au milieu des autres, il tourna par hasard le chaton (3) de la bague vers l'intérieur de sa main ;
aussitôt il devint invisible à ses voisins qui parlèrent de lui comme s'il était parti.
Étonné, il mania de
nouveau la bague en tâtonnant, tourna le chaton en dehors et, ce faisant, redevint visible.
S'étant rendu
compte de cela, il répéta l'expérience pour voir si l'anneau avait bien ce pouvoir ; le même prodige se
reproduisit : en tournant le chaton en dedans il devenait invisible, en dehors, visible.
Dès qu'il fut sûr
de son fait, il fit en sorte d'être au nombre des messagers qui se rendaient auprès du roi.
Arrivé au
palais, il séduisit la reine, complota avec elle la mort du roi, le tua, et obtint ainsi le pouvoir.
Si donc
il existait deux anneaux de cette sorte, et que le juste reçut l'un et l'injuste l'autre, aucun, pense-t-on,
ne serait de nature assez adamantine (4) pour persévérer dans la justice et pour avoir le courage de ne
pas toucher au bien d'autrui, alors qu'il pourrait....
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