LA GRANDE MÉLANCOLIE DU MOYEN AGE - le suicide au moyen âge
Publié le 18/12/2022
Extrait du document
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LA GRANDE MÉLANCOLIE DU MOYEN AGE
Comment appréhender ce que fut la pratique du Entretien avec
suicide à l'époque médiévale? L'Église a-t-elle toujours Alexander Murray
eu, à l'égard des « désespérés », la rigueur qu'on lui P rofesse urd' histoire moderneà l'UniversityCollege
d'Oxford, Alexander Murray est également membre
prête généralement ? Les réponses d'Alexander del'Académieeuropéennedu Moyen Age.
Il apublié
'
C
Reason and Society in the Middle Ages ( R aison et société
Murray, professeur a l'University ollege d'Oxford, auM oyenAge», ClarendonPress, rééd.
1986)etprépare
qui prépare un ouvrage sur le suicide au Moyen Age.
actuellementun ouvragesur lesuicidea uMoyen Age,
à paraître aux éditions Oxford University Press.
«
L'HISTOIRE : Peut-on se faire une
idée exacte de ce qu'était le suicide au Moyen Age ?
Les historiens du
Moyen Age le savent bien : nos sources
sont toujours lacunaires.
Et, pour ce qui
est du suicide, les choses se compliquent
du fait que le sujet était tabou: ceux qui attentaient à leur vie le faisaient aussi discrètement que possible, et leurs familles
ne tenaient pas à ce que cela se sût.
Les
théologiens taisent la chose.
Si les chroniqueurs en parlent, c'est le plus souvent de
façon très allusive.
Il existe toutefois des
exceptions : dans son Enfer, Dante évoque
le cas de Pier della Vigna, le confident de
l'empereur Frédéric II, qui se supprima
après avoir été éloigné de la Cour.
Nous disposons cependant de deux
types de documents qui mentionnent les
cas de suicide.
D'abord les procès-verbaux
des tribunaux : les cours criminelles punissent tous les homicides, dont les suicides.
A la fin du Moyen Age, ces procès-verbaux sont très explicites et informatifs.
Les
autres documents sont les narrations religieuses, hagiographies et récits de miracles : étant donné que le suicide est un
cas d'exception, un saint manifestait sa
sainteté en sauvant un désespéré.
Ces récits parlent donc d'individus conduits au
bord du suicide et miraculeusement épargnés après une prière adressée à un saint.
A .L EXANDER MuRRAv :
L'H.
: Ces deux types de sources juridiques et religieuses renvoient-elles la même image des
suicidés?
Pas du tout.
Les tribunaux ne s'intéressaient qu'aux cadavres, aux faits
bruts, l'heure et le lieu de la mort, l'état de
la fortune du malheureux.
Les minutes
d'un jugement nous apprennent beaucoup
là-dessus, mais rien sur les motivations.
C'est le contraire dans les récits de miracles où l'on a affaire à des gens qui sont
là pour témoigner.
A.
M.
:
L'H.
: Peut-on avoir une estimation
quantitative du phénomène ?
Elle ne sera qu'approximative.
J'ai un dossier contenant plus de cinq
cents cas, répertoriés en France, en Alle-
A.
M.
:
L ' HIS TO IR E N ° 1 89 J U I N 1995
34
Document
magne, en Italie et en Angleterre entre le
XIII° et le XVI' siècle - sur une population
comptant des dizaines de millions d'individus.
Autant dire que ce n'est rien.
pouvait attaquer les recrues et conduire
les moins éprouvées au geste fatal, même
si elles avaient toutes sortes de recettes
pour s'en sortir.
L'H.
: Quelles conclusions tirezvous de cette documentation lacunaire?
L'H.
: Il n'empêche que l'Eglise
condamnait le principe du suicide
et qu'elle vouait à l'enfer l'âme des
suicidés .••
Ce qui apparaît tout de même assez étonnant, c'est que le suicide est
quelque chose d'aussi peu médiéval que
possible.
Prenons les moyens.
En dehors,
bien sûr, des armes à feu que les gens du
Moyen Age n'avaient pas à leur disposition, ils ressemblent à ceux auxquels on recourait à la fin du XIX' siècle : la pendaison, la noyade, le couteau.
Chez les
femmes, la pendaison était ce qu'il y avait
de plus courant ; les hommes préféraient
le couteau.
En outre, les femmes se suicidaient plutôt chez elles ou près de leur domicile, alors que les hommes choisissaient
de mourir loin, dans un bois ou sur les
bords d'une rivière.
Enfin, le suicide masculin est plus fréquent : de l'ordre de deux
à trois fois plus que chez les femmes.
Quant aux motivations, il s'agit essentiellement de la maladie, de chagrins
d'amour, d'une perte d'argent (au jeu par
exemple), d'un échec professionnel, de la
menace d'une condamnation ou de la
condamnation elle-même - je mets de
côté les suicidés qui passent pour «fous ».
A.
M.
:
L'H.
: Y a-t-il, au cours du Moyen
Age, des périodes où les suicides
étaient plus fréquents démies » de suicides ?
des " épi-
Il y eut certes dans la Florence de
la pré-Renaissance, celle de Dante, au
xm' -XIV' siècle, une poussée suicidaire
évidente.
Comme dans l'Angleterre du
XVIII' siècle.
A quoi l'attribuer? Je pense
que l'urbanisation est un élément de réponse.
De la même façon, on relève une
augmentation des suicides dans les dernières années du XV' siècle, notamment en
Allemagne et en Angleterre.
Est-ce une
illusion qui tient à la meilleure qualité des
sources? Ou bien est-ce qu'il y eut vrai ment plus de suicides avant la Réforme
protestante du XVI' siècle ? Les historiens
en sont là de leurs conjectures.
A.
M.
:
L'H.
: Il arrivait aussi que des
moines ou des moniales se suicident.
Pourquoi ?
Les suicides monastiques sont
rares, mais on est beaucoup mieux documentés à leur sujet que sur ceux des laïcs.
Gardons-nous de croire que la vie dans un
monastère y prédisposait.
Nous savons
que les moines avaient des tentations et
qu'ils étaient sujets à ce qu'ils appelaient
I'« acedia », c'est-à-dire une sorte de dégoût général, de sentiment dépressif, de
mélancolie qui, si l'on en croit certaines
sources, les saisissait après le déjeuner.
De
vieux moines ont attesté que cette humeur
A.
M.
:
A.
M.
: En France, on dit toujours « l'Église » comme s'il s'agissait d'un bloc mo-
nolithique et inaltérable de génération en
génération.
La doctrine affirme, c'est vrai,
que le suicide est pervers, mais de là à dire
que l'Église a inventé toutes sortes de pratiques funéraires étranges réservées....
»
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