la critique de la raison pure
Publié le 05/01/2022
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Ces questions, Kant les pose lui-même. Et les résout en introduisant la notion d'un intérêt pratique de notre raison, plus fondamental que l'intérêt théorique. L'intérêt pratique caractérise la raison humaine en tant qu'elle est raison d'un être fini et agissant, à qui il importe que les idées correspondent à la réalité et qui, dans l'action et par Faction, tente autant que faire se peut de réaliser les idées. L’intérêt pratique se porte sur l'existence ou sur l'existant que l'idée représente. Dans cette mesure, dès lors que l'on reconnaît les exigences de la praxis, le penser prend une nouvelle dimension. Puisque c'est l'homme qui pense, puisque l'homme est un être fini qui a affaire à l'infini d'une Loi qui l'oblige, le penser n'est pas séparable de l'agir (de l'agir moral, s'entend). Penser, ce n'est pas seulement concevoir un sens, c'est encore vouloir qu'il soit ou qu'il devienne réalité. Sous l'exigence de la Loi morale, sous la poussée de l'intérêt pratique, le penser n'est plus seulement une conception théorique d'un sens que l'on pourrait déconnecter de toute relation à l'objet, donc de toute prétention à la représentation. Il devient l'acte qui vise l'objet, qui veut que l'objet soit. L’objet est pensé comme une fin à réaliser. Le sens de ce penser et de cet agir est dans la réalisation de cette fin, dans l'existence de l'objet de la raison pratique. Il ne suffît plus de penser théoriquement, il faut aussi penser pratiquement, sinon le penser ne serait pour l'homme qu'un jeu dénué de sens. Seul l'ancrage dans le réel confère du sérieux à la pensée. Cependant il est indéniablement heureux que, sur le plan théorique, la simple possibilité logique des idées ait été établie, sinon le penser-vouloir de la raison pratique eût été impossible. Lisons une page de la Préface de la Critique de la raison pratique12 : "Ici s'explique enfin cette énigme de la Critique qui est de savoir comment on peut, dans la spéculation, dénier la réalité objective à l’usage suprasensible des catégories, et cependant leur reconnaître, cette réalité relativement aux objets de la raison pure pratique, car cela doit nécessairement paraître inconséquent, tant que l'on ne connaît cet usage pratique que de nom. Mais si maintenant, par une analyse complète de la raison pratique, l'on s'aperçoit que cette réalité n'implique ici nullement une détermination théorique des catégories (...) mais qu'on indique seulement par là qu'il leur appartient sous ce rapport partout un objet (...) l'inconséquence disparaît, puisque l'on fait de ces concepts un autre usage que celui que réclame la raison spéculative. (...) Voici en effet la raison pratique qui, par elle-même et sans s'être concertée avec la raison spéculative, confère de la réalité à un objet suprasensible de la catégorie de la causalité, c'est-à-dire à la liberté (...) et confirme comme un fait ce qui dans l'autre contexte ne pouvait être que pensé". Une volonté, ou plutôt une exigence pratique, l'exigence inconditionnée de l'obligation, le commandement de la Loi, habite le penser et confère à l'idée une représentativité dont le penser seulement théorique est incapable. "Au point de vue pratique, il subsiste (...) le concept d'un rapport auquel la loi morale (qui précisément détermine a priori ce rapport de l'entendement à la volonté) donne de la réalité objective. Dès lors, le concept de l'objet d'une volonté moralement déterminée 12 Kritik der praktischen Vernunft (désormais KpV), Ak. V, 56 ; Critique de la Raison pratique, trad. L. Ferry et H. Wismann (désormais CRprat) in Œuvres Philosophiques, tome II, La Pléiade, Paris, 1985 (désormais OP II), p. 612. 7 (le concept du Souverain Bien), et avec lui les conditions de sa possibilité, les idées de Dieu, de liberté et d'immortalité, sont dotés de réalité, quoique toujours seulement en relation avec l'exercice de la loi morale (et non à des fins spéculatives)"13. Autrement dit : si sur le plan théorique c'est la sensibilité qui fournit aux formes de la pensée la matière du phénomène, sur le plan pratique c'est la Loi morale qui remplit cette fonction et qui fournit au penser l'analogue d'une matière sans laquelle la forme du penser ne serait pas la forme d'un objet. L’objet nouménal requiert, comme l'objet phénoménal, qu'une matière hétérogène, irréductible, empirique ici, intelligible là, procure à la forme du penser cette consistance subtantielle sans laquelle il ne saurait être question d'un objet existant. C'est la Loi qui fournit ce "quelque chose de plus" sans lequel l'idée resterait un pur possible. Une note de la Préface de la 2e édition de la Critique de la Raison pure le dit expressément : "Pour connaître un objet, il faut pouvoir en prouver la possibilité (soit par le témoignage de l'expérience de sa réalité, soit a priori par la raison). Mais je puis penser ce que je veux, pourvu que je ne tombe pas en contradiction avec moi-même, c'est-àdire pourvu que mon concept soit une pensée possible, quoique je ne puisse pas répondre que, dans l'ensemble de toutes les possibilités un objet corresponde ou non à ce concept ; pour attribuer à un tel concept une valeur objective (une réelle possibilité, car la première n'était que logique), il faudrait quelque chose de plus. Mais ce quelque chose de plus, on n'a pas besoin de le chercher dans les sources théoriques de la connaissance, il peut également se trouver dans les sources pratiques"14. VI. La loi morale permet doublement au penser d'accéder au réel et de s'objectiver. Sur le plan de Faction proprement dite, la Loi doit informer l'ordre des phénomènes, mais cette objectivation-là se perd en quelque sorte en se réalisant. Bien qu'elle s'inscrive dans la Nature pour la soumettre à sa législation, la Loi pratique ne peut pas ne pas se conformer aux lois, qu'elle ne supprime pas, de la Nature. Aussi, sur le plan du phénomène, l'objet de la Raison pratique ne se réalise jamais, il ne reste qu'un idéal transcendant. Y a-t-il jamais eu une seule action pleinement, purement morale ? L’objet de la Raison pratique peut et doit cependant être pensé. Sa réalité ne pouvant être phénoménale, doit être nouménale. Nous pouvons et devons penser purement l'objet que la Loi commande à la liberté humaine de réaliser : nous pouvons penser cet objet dans sa nécessité pratique comme la fin de Faction et comme une fin que nous ne pouvons que penser puisque, présentement du moins, nous n'avons pas encore pu la réaliser. C'est ce que Kant appelle "postuler". Si l'objet se dit dans deux sens, dans la philosophie pratique cela signifie que le penser agissant, ou l'agir pensant, vise l'objet comme fin sous ses deux espèces : par Faction morale et par la postulation pratique. Sur les deux plans, il nous faut reconnaître et le penser et l'agir. Le penser de la Loi exige et met en œuvre sa propre réalisation, son objectivation, d'une part sur le plan des phénomènes, d'autre part sur le plan des noumènes. Que le penser soit et doive être penser de l'objet signifie donc que le penser est pratique et pas seulement théorique, que le penser oblige, qu'il commande, qu'il veut, qu'il veut l'objet, qu'il se veut objectivé. Du coup, l'objet, ici, ne peut plus simplement signifier "chose". L'objet est Pacte même du penser qui se veut et se réalise de lui-même. Rien d'étonnant donc si cet objet n'est autre que le sujet lui-même, le sujet de la volonté, et si son être est celui de la liberté. Rien d'étonnant si le réel lui- 13 KpV, Ak. V, 138 ; OP II (CRprat), p. 776. 14 KrV, B XXVI ; CRP, p. 22-23. 8 même, l’acte d'être, l’exister, qui n'est pas un prédicat, qui n'est pas compris dans le penser théorique et qui ne peut donc en être extrait par simple déduction, l’acte d'être qu'il faut bien penser comme extérieur au penser, rien d'étonnant si cet acte se révèle ici acte de la liberté et s'il n'est tel que pour ou dans une conscience morale, c'est-à-dire pour et dans une conscience qui a affaire au pur penser dans sa dimension pratique. Si la sensibilité est la voie de d’accès théorique au réel - et alors ce réel est de l'ordre du phénomène -, le pur penser de la Loi et de son obligation inconditionnée est la voie de l'accès pratique au réel - et alors ce réel est de l'ordre du noumène -. C'est sur une telle voie que se révèle le fait de la liberté qui est l'acte même de la réalisation et de l'objectivation du penser. C'est l'acte de la liberté obéissant à l’obligation de la Loi, c'est la volonté donc qui fournit au penser cette matière sans laquelle il ne dépasserait pas l’indétermination du sens transcendantal. C'est l’acte de la liberté qui permet au penser de sortir de lui-même alors même que la liberté ne peut se révéler qu'au penser, mais au penser qui conçoit la Loi et qui veut ce qu'elle lui donne à penser, pas au penser qui n'est capable que du sens transcendantal de la catégorie. Le penser pratique est donc renvoyé à la liberté elle-même, au fait, pas seulement à l'idée de la liberté : au fait du penser qui est en même temps un vouloir. Ce que la liberté pense et ce qu'elle veut, c'est la Loi, la réalisation de la Loi, donc l'objet de la raison pratique; mais c'est aussi ellemême en tant qu'elle pense et veut la Loi. La liberté pense et veut la liberté. Aussi se retrouve-t-elle dans l'objet de la raison pratique, qui est à la fois la Loi et la liberté réalisées en acte. Cependant, le jeu entre penser de la Loi et penser de la liberté demeure toujours. "Si la liberté et la loi pratique inconditionnée s'impliquent réciproquement l'une l'autre", "c'est la loi morale dont nous prenons immédiatement conscience (...) qui s'offre à nous Sabord et nous mène droit au concept de la liberté"15. Le penser ne se referme pas sur lui-même dans l'identité absolue de la liberté et de la Loi comprenant en elle l'objet de la raison pratique pleinement réalisé. Quoique la philosophie pratique introduise l'exigence, la nécessité inconditionnée de l'objet, elle ne va pas cependant jusqu'à l'extrême d'une auto-position absolue d'un sujet-objet se pensant et se réalisant lui-même. Le penser comme le vouloir restent de l'ordre de la visée. Pour conclure sur ce point, on pourrait dire que dans la Critique de la raison pratique, qu'on le prenne sur le plan de Faction et du phénomène ou sur le plan de la postulation et du noumène, le penser implique l'existence de l'objet en même temps que la représentation de son essence. La question de la représentation est celle du contenu signifiant de l'idée : elle conduit à concevoir les prédicats de cet objet total en lequel nature et liberté seraient réconciliées et qui constituerait une communauté d'âmes immortelles dont le bonheur serait proportionné à la vertu par Dieu. Mais cette tentative de représentation ne peut, pas plus ici que dans la philosophie théorique, aboutir à une figuration sensible, qui serait anthropomorphique, ou à une connaissance transcendante d'objets supra-sensibles : on ne peut jamais que penser le sens transcendantal des idées. En les pensant nous ne faisons que nous représenter "des prédicats tirés de notre propre nature", "et ces prédicats ne sont autres que l'entendement et la volonté, envisagés dans leur relation réciproque, tels qu'ils doivent être pensés au sein de la loi morale"16. C'est donc dans la question de l'existence qu'est pensé "ce quelque chose de plus" qui échappe au penser purement théorique. Il semble que nous pouvons dire que si la liberté, ici, pense l'existence de l'objet de la raison pratique, ce concept d'existence n'est rien d'autre que celui de l'obligation inconditionnée, du devoir absolu d'agir et de faire être ce que pense, ce que veut la Loi. 15 KpV, Ak. V, 29 ; OP II (CRprat), p. 642. 16 KpV, Ak. V, 137 ; OP II (CRprat), p. 775. 9 VII. Si nous nous demandons maintenant ce qui, au fond, est en question dans la tentative de définir le penser dans les deux premières Critiques, il semble que nous pouvons répondre: c'est le rapport à l'objet, à l'existence et même à l'existence nécessaire de l'objet, qui seul peut donner sens au penser, bien que, d'une part, cette existence ne puisse nous être donnée (si elle nous était donnée, elle le serait par l'intuition sensible et le penser serait un connaître), et que d'autre part l'existence ne puisse être théoriquement comprise par le penser. Bref, Kant reste tributaire d'une conception de l'idée comme représentation de l'objet, conception qu'il critique certes sur le plan théorique, mais qu'il reconduit néanmoins dans la doctrine des postulats de la raison pratique. Or, on peut se demander si la troisième Critique n'infléchit pas le cours de la méditation kantienne sur le penser. Si on peut dire que les deux premières Critiques exposent le problème du penser en quête d'objet - sur le plan théorique et sur le plan pratique, en mathématiques et en physique comme en métaphysique, dans Faction proprement dite comme dans la postulation théorico-pratique -, on doit aussi remarquer que la Critique de la faculté de juger inverse cet ordre et part de l'objet donné à penser. On peut donc se demander si la définition du penser ne s'en trouve pas modifiée plus ou moins profondément. Pour le dire brièvement et nettement : si le penser n'est plus préoccupé de l'existence de son objet, qu'a-t-il encore à penser ? Ou, pour le dire de manière moins négative : n'est-ce pas précisément le fait que l'existence n'est plus en question qui permet enfin d'apercevoir la dimension du sens, non pas le sens comme forme fantomatique de l'objet (tel le sens transcendantal de la catégorie), mais un sens libéré de l'objet ? Avant de tenter ne serait-ce qu'un esquisse de réponse, remarquons bien le caractère paradoxal de ce nouveau point de départ. En effet, c'est un objet tout à fait singulier et dont nous exprimons la singularité dans le jugement de goût en disant de lui qu'il est beau, c'est un objet qui libère le penser et lui ouvre la dimension non objective ou non objectale du sens. Le trop-plein de l'objet, ou plutôt de la représentation de l'objet, nous comble et suscite le plaisir esthétique. La représentation esthétique déborde de sens, excède la représentation et révèle ainsi que la représentation signifie tout autre chose que sa simple objectivité. Or c'est précisément lorsque le jugement est désintéressé, c'est-à-dire que l'existence de l'objet (l'existence et non pas simplement sa possession comme le croit une interprétation superficielle) n'a plus aucun intérêt pour nous, que la représentation manifeste un sens : ce sens, nous réprouvons dans le sentiment du plaisir esthétique et nous le pensons en Renonçant dans un jugement de valeur, dans un jugement de goût. Pour souligner encore le paradoxe, nous pouvons dire que l'objet, jusqu'ici, dans les deux premières Critiques, était toujours comme en défaut. L'objet de la science d'entendement ou de la conscience empirique n'est jamais qu'un phénomène, un objet relatif dépendant d'autres objets euxmêmes relatifs, incomplets, inachevés comme lui. L'objet de la raison théorique n'est qu'un objet virtuel, une représentation d'objet sans objet. L’objet de la raison pratique, bien que pratiquement nécessaire, n'est jamais qu'en cours de réalisation, l'achèvement de cette réalisation étant renvoyé à l'infini. L’objet de la connaissance comme l'objet de l’action sont essentiellement inachevés. Leur inachèvement retient toute l'attention du penser ; dans les deux cas, l'objet achevé se donne comme l'idéal du penser. Le penser serait satisfait si la représentation permettait d'atteindre directement l'objet lui-même, s'il pouvait enfin se retrouver dans la pure présence de l'objet. D'où des questions comme celles-ci : Peut-on représenter adéquatement l'objet ? Existe-t-il un objet correspondant à la représentation ? Comment passer, dans la théorie et dans la pratique, du 10 concept de l'objet à l'objet lui-même ? D'où aussi la différenciation critique des différents modes de réalisation et de connaissance de l'objet : mode mathématique par construction du concept dans l'intuition pure, mode moral par postulation, les deux modes aboutissant à un objet entièrement déterminé a priori ; et encore mode physique ou mode moral par action concrète s'appliquant tous deux à la réalité empirique. Mais toujours l'objet est en défaut : soit que, adéquat au concept comme en mathématiques ou dans la postulation pratique, il manque de réalité empirique ; soit que, empiriquement réel, il ne soit pas adéquat au concept. Le penser est comme fasciné par ce défaut d'être et se trouve ainsi occupé essentiellement de l'objet et de la question de son existence. VIII. Mais l'objet du jugement esthétique comble le sujet qui l'appréhende : un objet lui est donné, donné à penser. Ce qui est ainsi donné, c'est un objet en sa plénitude de sorte qu'il ne reste qu'à demeurer devant l'objet dans une heureuse et calme contemplation qui ne désire rien d'autre, rien de plus. Or, en cette contemplation, non seulement nous éprouvons un plaisir pur, un plaisir désintéressé, mais encore, en même temps, nous pensons. Plus précisément, dans le jugement de goût, le penser et le sentir se rapportent l'un à l'autre, comme dans le connaître, sauf que, et la différence est d'importance, dans le connaître l'entendement pensant impose la règle à une sensibilité soumise, alors qu'ici, dans le jugement de goût, la pensée et l'imagination jouent librement l'une avec l'autre, sans que l'une s'impose à l'autre, dans un rapport harmonieux et vivifiant, de telle sorte que leur jeu ne s'arrête pas, ne se fixe pas dans une figure déterminée. Certes l'objet, ou la belle représentation d'objet, offre bien un objet à la vue, par exemple cette tulipe-ci. Mais la contemplation esthétique est une rêverie de l'objet plutôt qu'une connaissance. Dans l'appréhension esthétique tout se passe comme si le mouvement même qui associe les éléments sensibles en un tableau revivait dans son résultat. Nous contemplons le dessin lui-même : à la fois acte de dessiner et résultat de cet acte. Nous voyons en quelque sorte à l'œuvre dans la belle représentation le jeu, fait d'antagonisme et de réconciliation, qui structure toute unité vivante, qui s'éprouve dans le sentiment vital et qui finit par s'exprimer, se signifier, se symboliser dans la représentation d'un objet. Le penser, par conséquent, retrouve dans le jugement esthétique l'élément sensible dans lequel il se figure ; mais cette figuration n'est plus, comme dans la schématisation du concept constitutive de l'objet connu, de l'ordre du travail, du sérieux de la règle qui exige soumission, mais de l'ordre du jeu et donc d'une libre production de représentations déconnectées de la pression et des contraintes de l'existence. L’imagination peut jouer comme le penser peut jouer : leur jeu réciproque et spontané produit une représentation qui certes demeure une représentation d'objet, mais une représentation sans prétention à la validité objective, une représentation pour laquelle l'objet n'est qu'un prétexte. La belle représentation représente plutôt l'acte même de représenter en sa spontanéité, et de représenter non pas l'objet mais ce que Kant appelle une "finalité sans fin" et que l'on pourrait appeler le sens. C'est bien un objet - cette tulipe-ci - qui suscite le jugement de goût et l'affirmation d'un sens. Mais ce sens exprime ou signifie plutôt le sujet que l'objet, et plus précisément le caractère contingent et imprévisible de l'accord du sentir et du penser.
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1 Gilbert Kirscher Penser lÕobjet, penser le sens Cahiers Eric Weil III, Interprtations de Kant, Presses Universitaires de Lille, coll.
UL 3, 1992, p.
203-227.
I.
La Critique de la facult de juger conclut sur la mme distinction que la Prface de la 2e dition de la Critique de la raison pure : la distinction du connatre et du penser.
Dans les deux cas, Kant tablit que si nous ne pouvons pas connatre l'tre supra-sensible, du moins pouvons-nous et mme devons-nous le penser.
Ce que signifie "connatre" est trs prcisment expos et dfini dans l'ensemble que forme la runion de l'Esthtique et de l'Analytique Transcendantales et Kant - est-il besoin de le rappeler ? - ne remet jamais cette exposition en question.
Le "connatre" est Ïuvre de l'entendement rapport la sensibilit.
Certes l'entendement pense ; ses concepts purs sont des formes pures du penser, des fonctions de l'unit, mais par elles-mmes ces formes, ces fonctions n'ont ni valeur ni usage objectifs, moins de recevoir du dehors, c'est--dire d'une facult htrogne, la sensibilit, une matire qu'elles puissent informer, en laquelle elles puissent s'objectiver.
Cette matire peut elle-mme, son tour, n'tre qu'une forme pure, la forme pure de l'intuition sensible.
Dans ce cas le penser devient un connatre.
La forme intellectuelle se reprsente, se prsentifie adquatement, sans reste, dans la matire pure sensible et cet acte intellectuel de construction du concept dans la forme pure de l'intuition est ipso facto une connaissance mathmatique, exacte de son sujet.
Mais la matire peut, de plus, tre fournie par l'intuition empirique : la connaissance est alors physique ; elle n'est plus exacte puisque l'objet n'est plus entirement dtermin a priori.
Sa dimension empirique rend l'objet irrductible la forme intellectuelle ; aussi sa connaissance ne sera-t-elle jamais acheve.
Dans les deux cas, mathmatique et physique, le penser devient un connatre pour autant que la sensibilit pure et/ou empirique lui fournit une matire htrogne que, de lui-mme, le penser ne peut produire.
Livr lui-mme, l'entendement ne peut penser qu' vide.
On peut mme se demander s'il pense.
En effet, qu'est-ce que penser vide ? Pense-t-on encore quand il n'y a rien penser ? quand on ne pense pas "quelque chose" ? Le penser ne requiert-il pas ncessairement un objet penser, que cet objet soit donn de l'extrieur au penser ou qu'il soit dtermin par le penser lui-mme ? La conception kantienne du connatre semble devoir rejeter l'ide d'un pur penser dans le champ de l'indtermination d'une forme en manque de matire, et par consquent, d'une forme qui ne peut ni penser ni tre pense en elle-mme, dans l'absolu, coupe de tout rapport une matire qu'elle pourrait informer.
Il semble que le connatre soit l'unique destin du penser et que le penser ne se conoive que comme un lment transcendantal, abstrait par l'analyse transcendantale du connatre concret.
Ne faut-il pas conclure qu'un penser qui ne s'intgre pas au procs du connatre ne pense rien, ne pense pas, n'a pas de contenu, n'a pas de sens ?.
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