La création littéraire fait-elle référence au monde réel, peut-être être considérée comme une branche de la sociologie? Ou n'est-elle que fiction?
Publié le 21/12/2021
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Ce sujet fait écho à la problématique du roman réaliste : c'est en effet l'objectif poursuivi
par l'école réaliste, que de créer par des personnages emblématiques une reproduction
de la fresque sociale de l'époque vécue par les romanciers.
Ce sujet pose donc le
problème de la référentialité de la littérature :la création littéraire fait-elle référence au
monde réel, peut-être être considérée comme une branche de la sociologie? Ou n'est-elle
que fiction?
I.
La volonté de créer des personnages emblématiques de la société
- Le courant réaliste, dans la littérature du XIXe siècle, s'appuie sur quelques grands
personnages, emblèmes de leur époque, de leur société, et qui résument à eux seuls une
classe sociale.
La dynamique du récit elle-même repose en grande partie sur ces figures
très tranchées.
Dans Le père Goriot par exemple, Rastignac incarne le jeune provincial
parti à la conquête de Paris.
Son nom lui-même a des sonorités dures, il connote la
volonté.
Dans un autre registre, Lucien de Rubempré, dans Les illusions perdues, se
heurte à la réalité parisienne.
Sa volonté de conquérir la haute société gouverne la
dynamique des Illusions perdues et de la suite, Splendeurs et misères des courtisanes.
Emile Zola s'appuie sur ces mêmes ressorts : quelques personnages emblématiques
d'une société.
Gervaise, dans L'assommoir, résume par son destin tragique la misère de
la classe ouvrière.
Nana, dans le roman éponyme, est la courtisane dévoyée qui traverse
une existence faite d'une gloire illusoire, avant de mourir de la petite vérole.
- Balzac, dans sa Préface à la Comédie Humaine, explique (après-coup) la volonté qui a
sous-tendu son oeuvre : celle d'observer la société pour en tirer des lois générales.
Il
présente son oeuvre comme une investigation scientifique, plus qu'une création littéraire.
Il utilise notamment l'expression : « faire concurrence à l'Etat civil ».
Le groupe social
réel est la visée principale, derrière le personnage fictif.
- En-dehors de l'école réaliste, de nombreux romans concentrent en un seul personnage
les traits caractéristiques d'une époque ou d'une société : dans A rebours, Huysmans met
en scène un seul personnage (Des Esseintes) qui fait état, par ses réflexions et ses
occupations délétères, du sentiment de décadence artistique, morale, religieuse très fort
à la charnière du XIXe et du XXe s.
Tandis que les romans réalistes mettent en scène
autour des personnage principaux une série de « rôles secondaires » Huysmans
concentre toutes les réflexions sur un seul héros.
II.
Les limites du projet : la vocation d'abord poétique de la littérature
- C'est aussi le contexte et les personnages entourant le héros principal qui construisent
celui-ci et en font un emblème : Dans En lisant en écrivant, Julien Gracq aborde la
question des descriptions, qui sont très importantes dans les romans du XIXe.
Ainsi chez
Stendhal, Gracq compare l'abondance de personnages secondaires, ou la description d'un
milieu comme celui de l'hôtel de la Mole dans Le rouge et le noir aux bataillons d'une
armée, que l'écrivain -général doit faire avancer en même temps que ses personnages
principaux, qui sont en tête.
Ces bataillons sont capitaux pour construire l'atmosphère
propre au livre, ce que Gracq appelle (dans le cas de Stendhal) la Stendhalie.
Le
personnage à lui tout seul ne peut être représentatif, d'une part; et d'autre part,
l'abondance de descriptions et de personnages secondaires sert surtout une atmosphère
propre à l'écrivain, que Gracq apparente au style.
Il ne s'agit pas de « réalisme ».
- Le XXe siècle vit une crise du personnage dans la littérature; Nathalie Sarraute, dans
L'ère du soupçon , résume bien le problème : « [le personnage] était très richement
pourvu, comblé de biens de toute sorte, entouré de soins minutieux; rien ne lui
manquait, depuis les boucles d'argent de sa culotte jusqu'à la loupe veinée au bout de
son nez.
Il a, peu à peu, tout perdu : ses ancêtres, sa maison [...] bourrée de la cave au
grenier d'objets de toute espèce...
» etc (p.61) Sarraute aborde avec beaucoup d'ironie
le « personnage » du XIXe : tous les accessoires qu'il possède, et dont on pensait qu'ils.
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