La Conscience de ce que nous sommes peut-elle faire obstacle à notre bonheur ?
Publié le 17/05/2020
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IntroductionDans ses Confessions, saint Augustin avoue avoir volé des poires « par insuffisance et mépris du sentiment de justice ».
La conscience de ses défauts est lucide,comme tout autre auteur se livrant à ce type d'exercice.
En même temps, l'autobiographie semble aussi procurer une grande satisfaction et répondre à un besoin.
Laconscience de ce que nous sommes fait-elle obstacle à notre bonheur ? Sommes-nous insatisfaits, voire malheureux, du fait que nous avons la conscience de noscaractéristiques, bonnes et surtout mauvaises ? Doit-on payer le prix de la lucidité vis-à-vis de nous-mêmes, par une déception ou un pessimisme fondamentaux ? Ilfaudrait alors presque regretter que la nature nous ait donné une conscience.
Mais un être non conscient peut-il à l'inverse s'estimer heureux ? Le bonheur représente-t-il quelque chose pour lui ? Nous verrons dans un premier temps les éléments inhérents à la conscience, susceptibles d'engendrer une insatisfaction permanente.
Puisnous examinerons les conséquences d'un défaut de conscience sur notre existence et notre personnalité, afin de déterminer si le qualificatif d'obstacle au bonheur nepeut pas être révisé.I.
La conscience malheureuseQu'elle soit réfléchie ou morale, la conscience possède en elle-même les éléments nous empêchant de jouir pleinement de l'existence.1.
La conscience individuelleLa conscience, au sens psychologique, nous donne la représentation mentale de nous-mêmes.
À la différence des simples choses naturelles, nous avons de notreexistence et de certaines de nos caractéristiques une saisie réfléchie.
Ce que Hegel appelle le mode du « pour soi ».Cela a pour conséquence que nos défauts, ou ce que nous jugeons être tels, nous sont en partie connus.
Cela nous donne aussi un sentiment de solitude oud'isolement.
Voir en effet que les choses de la nature n'existent pas comme nous revient à constater que nous en sommes distants d'une façon fondamentale etexistentielle.
Nous sommes donc à part du monde extérieur, et même hors de portée de la conscience des autres, du fait que la conscience est une pensée à la premièrepersonne seulement.
À cause de cela, il n'y a quasiment pas de « nous » possible.2.
La conscience humaineIl y a cependant des caractéristiques communes.
Nous avons par exemple conscience de notre condition mortelle.
Nous savons que nous allons mourir, sans savoir niquand ni comment, à l'image de condamnés à mort voyant tous les jours un de leur compagnon être égorgé, et attendant leur tour, pour reprendre la figure de Pascal.À cela s'ajoute la conscience de notre petitesse par rapport à l'infinité de ce qui existe.
Dans l'espace et dans le temps, nous ne sommes qu'un point infime dansl'immensité.
De sorte que l'on se voit sans but, sans raison d'être dans un monde qui n'est pas à notre mesure.
Pascal parle ainsi de « condition misérable » del'homme, dont la conscience lui donne cruellement tous les éléments défaillants : « Il veut être grand, il se voit petit ; il veut être heureux, il se voit misérable ; il veutêtre parfait, il se voit plein d'imperfections » (Pensées, 100).
Comment le bonheur peut-il se réaliser dans ces conditions ?3.
Le divertissementPascal prend l'exemple d'un roi qui devrait être heureux de la seule considération de sa fonction, du prestige et de la grandeur qui lui sont attachés.
Or il n'en est rien,il lui faut au contraire toute une cour de gens qui s'affairent à le divertir, c'est-à-dire à ne pas penser à lui.
Et c'est sans doute pour cela qu'il est avantageux d'être roi.Mais tout le monde ne l'est pas.
Et la solution de facilité du divertissement ne résout rien, car la conscience est toujours là.
Justement, il faut bien qu'il y aitconscience de son malheur, voire de ses causes, pour que l'on veuille y remédier.
Ne peut-on pas penser que cette faculté est aussi une aide, un point de départ aubonheur, et pas seulement un obstacle ?II.
L'inconscience inefficaceSans conscience, ou sans utiliser la conscience, le mal est encore plus grand, en ce qu'il nous empêche d'y remédier.1.
L'illusion de la vanitéSi la conscience de soi est un problème pour le bonheur, la solution la plus évidente en apparence est de la fausser, en s'attribuant par exemple à soi-même desqualités plus grandes qu'elles ne le sont en réalité.
Comme le problématise Descartes dans une lettre adressée à la princesse Élisabeth, vaut-il mieux être heureux etdans l'illusion sur soi, ou bien plus lucide quitte à en être moins joyeux ? Pour lui, cela ne fait aucun doute.
Nous ne pouvons retirer qu'un plaisir superficiel de cetype d'illusion.
Car l'être humain possède un esprit et une conscience.
S'il ne les utilise pas vraiment, il ne pourra qu'en ressentir de l'amertume.
D'autant que ce typed'illusion est toujours risqué.2.
Le souverain bienLe bonheur peut en effet être conçu comme le souverain bien, c'est-à-dire selon la définition d'Aristote dans l'Éthique à Nicomaque, le bien complet, se suffisant àlui-même et but ultime de nos actes.
Or ce dernier consiste dans l'exercice de la vertu, c'est-à-dire l'excellence de toutes nos facultés morales et intellectuelles.
Sansdévelopper notre esprit, sans utiliser les capacités morales, la recherche du savoir et de la vérité propres à l'être humain, il n'est pas de bonheur possible.
« On a doncraison de ne pas dire d'un cheval, ni d'un bœuf, ni d'aucun autre animal qu'il est heureux », car la vertu définie ainsi n'est pas accessible pour eux.
Ils n'ont ni raison,ni vertu, ni conscience.
Leur vie ne correspond donc pas à la définition du bonheur.
Cela va même jusqu'aux enfants pour Aristote, car ils ne pratiquent pas la vertucomme ils pourront le faire, devenus adultes.3.
L'inconscient psychiqueMême adulte, cela peut être la part inconsciente de notre personnalité plus que la conscience que nous en avons qui pose problème.
Ce que théorise Freud.
Toutenévrose en général provient d'une rupture d'équilibre entre le surmoi, le ça et le moi qui se traduit par un sentiment d'angoisse, de culpabilité et surtout uneinadéquation plus ou moins marquée entre les réactions du moi et les exigences de la réalité extérieure.
Le traitement psychanalytique consiste à substituer aurefoulement imparfait un examen par la conscience, ou un examen de conscience des désirs incriminés.
Le patient jugera alors si oui ou non le désir est coupable.Freud cite l'exemple tout simple d'une femme souffrant inconsciemment d'un désir refoulé envers le mari de son ex-sœur décédée.
Et de la culpabilité de se réjouir enquelque sorte de cette mort.
Alors qu'en réalité, ce genre de désir n'est pas grave et doit être traité de façon lucide.
Dans tous ces cas, l'inconscience sous toutes sesformes ne mène pas au bonheur, bien au contraire.
Il reste vrai que l'on a conscience de n'être justement pas parfait ni satisfait de soi en tout point.
Donc l'idéal debonheur est parasité par la conscience.
Comment résoudre ce dilemme ?III.
Le bonheur comme idéal de la conscienceCe n'est pas la conscience qui empêche le bonheur d'exister ; c'est au contraire la conscience, par sa structure même, qui nous le fait miroiter comme un idéal àatteindre.1.
La conscience est un projet d'êtreLa conscience n'est pas seulement une faculté psychologique particulière.
Elle est aussi une aptitude quasi métaphysique à considérer ce que nous sommes d'unefaçon détachée ou extérieure.
C'est l'analyse qu'en fait Sartre dans L'Être et le Néant.
Notre être est en soi un problème car, en nous le représentant à nous-mêmes,nous sommes bien en quelque sorte ailleurs qu'en lui.
Nous pouvons par exemple envisager le projet de changer telle ou telle caractéristique de notre personnalité.Nous pouvons nous considérer en général comme en perpétuel devenir.
Il est donc nécessaire que nous concevions notre être au futur, ou notre projet d'être, car notreêtre n'est jamais totalement ce qu'il est : nous y voyons du néant à combler, et nous envisageons un néant actuel en être futur.
Le bonheur comme idéal à atteindre,quel que soit son contenu particulier, est étroitement dépendant, pour être conçu, désiré, projeté, de ce type de structure.2.
La conscience moraleIl en va de même pour l'autre dimension de la conscience : celle qui tient lieu d'instance morale.
La conscience se présente ici sous la forme d'un devoir à accomplir,une règle à respecter, une vertu morale à atteindre.
Or avoir conscience de ce devoir, c'est d'abord, comme le remarque Hegel, avoir conscience que nous ne leréalisons pas, sans quoi il ne se manifesterait pas à nous comme devoir.
Si la morale existe donc en conscience, c'est qu'elle n'existe pas en réalité.
La consciencemorale est en quelque sorte l'attestation négative de la morale.
Et cela nous condamne à ressentir notre insuffisance vis-à-vis de cette exigence.
Nous ne sommes passatisfaits de nous-mêmes sur ce point.
Mais en même temps, il faut que cet horizon à atteindre subsiste, sans quoi nous n'aurions aucune exigence.
Donc laconscience se manifeste en quelque sorte sous la forme de ce qui ne peut jamais être atteint sans cesser d'être recherché.
Ce qui correspond parfaitement à ladéfinition du bonheur.ConclusionMieux vaut avoir conscience de ses défauts qu'un défaut de conscience.
Cette dernière n'est donc pas un obstacle au bonheur.
Elle est plutôt une des conditionsrequises pour qu'il y ait bonheur.
Sachant que le bonheur est davantage un concept, un désir qui résulte du fait que nous possédons une conscience, plutôt qu'uneexigence posée à part de la conscience et que celle-ci nous empêcherait de réaliser.
La question serait de savoir maintenant ce qui peut être considéré comme leprincipal obstacle : les circonstances extérieures ? nos choix personnels ?.
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