LA BELETTE ENTRÉE DANS UN GRENIER (FABLES DE LA FONTAINE) - COMMENTAIRE
Publié le 15/05/2020
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LA BELETTE ENTRÉE DANS UN GRENIER (FABLES DE LA FONTAINE) - COMMENTAIRE
A Le pittoresque de la description
1 C'est pour sa silhouette caractéristique que La Fontaine a choisi la Belette comme héroïne de cette fable (dansÉsope, il s'agit d'un renard); la Belette a en effet une forme très allongée et très mince qui a frappé le fabuliste :c'est ici Damoiselle belette au corps long et fouet, ailleurs la dame au long museau (La Chauve-Souris et les deuxBelettes, II, 5), la dame au nez pointu (Le Chat, la Belette et le petit Lapin, VII, 16) ou encore Dame belette aulong corsage (Le Chat et le Rat, VIII, 22).
Ici, le corps allongé de l'animal convient particulièrement bien au récit età la moralité qui se dégage de la fable.
2 Tout l'humour des deux portraits successifs de la Belette tient
à leur contraste.
Pour suggérer d'abord la longueur et la minceur famélique de la belette, La Fontaine la dépeint endeux alexandrins (v.
1-2) qui paraissent interminables par rapport aux octosyllabes qui suivent (v.
3-6); et bienentendu c'est l'octosyllabe qui exprimera ensuite la rondeur de l'animal repu (v.
8-9).
A ce contraste métriques'ajoute un contraste des sonorités; le v.
2, avec son allitération en -r et -tr, suggère la difficulté de la pénétrationdans le grenier : la Belette se faufile par une fente si étroite qu'elle n'y passe qu'avec effort; alors que les sonoritésdu y.
2 expriment cet effort, celles du y.
9, avec les deux césures qui en font un vers très lent (la double césureest exceptionnelle dans l'octosyllabe) rendent admirablement la nonchalance et l'épanouissement de l'animal devenureplet.Cette rapide esquisse de la Belette vaut enfin par la justesse du portrait psychologique du petit prédateur.
Commetous les fauves, grands ou petits, la Belette n'a pas une vie facile (que l'on songe à celle du Loup dans Le Loup et leChien, I, 5); de plus elle relève de maladie; c'est donc pour elle une véritable aubaine que cette découverte d'ungrenier que l'on imagine bien rempli pour l'hiver : du grain sûrement, peut-être des fromages, en tout cas desjambons (le lard du v.
7).
Sa réaction est bien normale : c'est de se rattraper des mauvais jours passés, de profiterde l'occasion, et de s'en mettre plein la panse, comme dira le Rat au v.
17.
Dans cet univers animal des Fables oùrevient sans cesse (comme dans le Roman de Renart) le problème angoissant de la subsistance, l'attitude de laBelette est donc d'une grande justesse psychologique : se régaler d'abord et s'en donner à coeur joie; il seratoujours temps de penser ensuite au moyen de ressortir !
B La portée morale de la fable
La signification morale de cette fable pouvait apparaître double aux lecteurs de 1668.
D'un côté, en effet, la fable aune portée générale : elle nous donne une leçon (très conforme à l'esprit ésopique) de prévoyance et de prudence.Cette belette qui entre par un trou fort étroit et s,'en met plein la panse pendant une semaine, elle n'est pasprévoyante et pourrait bien avoir à s'en repentir : vienne le chat du logis, par où s'échappera-t-elle? Elle risque fortde payer de sa vie une gloutonnerie sans doute compréhensible et bien naturelle, mais qui n'en rate pas moinsirréfléchie, et une fois de plus nous pourrions assister à l'un de ces brusques retournements de situation dontfoisonnent les Fables.Mais d'un autre côté cette fable avait pour les contemporains de La Fontaine une signification politique très précise,qui apparaît très nettement à la fin du discours du Rat (v.
19-21); en effet Colbert avait réuni une Chambre dejustice (juridiction extraordinaire) pour examiner les comptes des « partisans », ces financiers qui avançaient autrésor public le produit escompté de tel impôt pour les années à venir et se remboursaient ensuite sur lescontribuables en faisant souvent d'énormes bénéfices.
Cette Chambre de justice avait siégé de 1661 à 1665, etaprès examen des comptes des gens de finance en remontant jusqu'à l'année 1635, elle en avait condamné ungrand nombre à d'énormes amendes : le chiffre global des restitutions au trésor public s'était élevé à cent dixmillions de livres, soit l'équivalent de plus d'une année de recettes fiscales, et l'opinion publique, très montée contreles partisans (comme en témoignent nombre de mazarinades pendant la Fronde) avait applaudi à ces mesures derigueur..
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