L'oeuvre n'est pas une série de réponses, elle est une série de questions, elle n'est pas des explications, elle est des demandes d'explication, des demandes d'éclaircissement... C'est bien cela une oeuvre: une série d'interrogations... Au bout du compte, il n'y a pas de réponse à donner... Ainsi, ce n'est pas la réponse qui éclaire, c'est la question. Commentez librement cette réflexion d'Eugène Ionesco sur la fonction de l'oeuvre littéraire, en vous servant d'exemples précis.
Publié le 09/12/2021
Extrait du document
» Il y en a moins à : « Comment Frédéric Moreau (personnage réel? imaginaire?) a-t-il vécu la révolution de 48? » et encore moins à : « Comment un individu vit-il une révolution? » Les articulations sont obscures, problématiques, et la fonction de l'oeuvre est de les dire; - parce qu'elles portent non sur des substances et sur des objets, mais sur des processus, sur des mouvements. On ne peut faire l'analyse moléculaire d'un personnage, d'une figure. On ne peut Ame saisir leurs fonctions. b) Les questions posées par l'oeuvre comportent toujours des éléments de réponse; si on ne tient pas compte de cet élément, on tombe dans le scepticisme : - éléments de réponse fournis par l'histoire écoulée (l'évolution de la société au xix1' siècle permet de mieux comprendre, après coup, les romans de Stendhal et de Balzac); - éléments de réponse fournis par la nouvelle pratique humaine, le nouvel espoir humain : « On ne meurt pas, puisqu'il y a les autres » (Aragon, la Semaine Sainte); - éléments de réponse par l'absurde : la réponse c'est qu'il n'y a pas de réponse (nouveau théâtre). Mais ces éléments de réponse ne sont fournis qu'en vue d'une discussion (est-ce définitif, ou ouvert, etc.?).
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Introduction
Question courante, mais encouragée par la lecture scolaire, alors qu'elle est ignorée de la lecture passive ou desimple consommation : « Qu'est-ce que ça veut dire? » Cette attente d'une réponse ne vise pas seulement lesobscurités superficielles d'un texte, mais quelque chose de plus complexe : en apparence, le texte raconte unehistoire ou décrit quelque chose, mais en fait il dit un rapport, un problème non directement ou explicitement évoqué(Après trois ans décrit un jardin; J'ai cueilli cette fleur , «raconte» une rêverie au bord de la mer, mais ces deuxpoèmes posent en fait la question du souvenir, celle de la place de l'homme dans l'univers et dans le temps).
Quelproblème donc, quel rapport? La réponse de l'œuvre, c'est le lecteur qui la cherche à partir des données de l'œuvre.Mais en même temps le lecteur se pose des questions et pose des questions à l'œuvre, à partir de sa propreexpérience, de ses propres difficultés : questions, par exemple, sur l'amour, la mort, le sens de l'histoire...
L'œuvreest-elle capable de lui apporter des réponses, c'est-à-dire de l'amener à ne plus poser de questions, à ne plus s'enposer? Est-ce sa fonction et son intérêt? Et si l'œuvre a répondu, est-elle encore utile, intéressante en tantqu'oeuvre? Est-ce que désormais tout l'intérêt n'est pas dans la réponse obtenue? Ionesco met en garde ici contrela disparition de l'œuvre au profit des réponses, derrière les réponses; contre la transformation des œuvres enmanuels de réponses, en modes d'emploi, contre l'absence de tout reste, de tout après.
Dès lors se profile une autrequestion : une œuvre qui se laisse réduire en réponses est-elle une œuvre? Pour tenter de comprendre, il faut voirce qui se passe dans le jeu des questions et des réponses, dans le jeu écriture/lecture.
Il faut aussi tenter de situerhistoriquement la question.
1) Le jeu des questions et des réponses : description, fonctionnement
a) L'œuvre pose des questions; l'œuvre répondC'est la thèse de la clarté, de la transparence de l'œuvre, qui veut faire quelque chose et qui y réussit, sans échecni trop-plein.
Le lecteur n'a plus qu'à se soumettre, consommer, faire son profit.
b) L'œuvre pose des questions et le lecteur répondChaque lecteur, fait, à la limite, l'usage qui lui convient de l'œuvre; l'œuvre peut disparaître ou n'être que prétexte :par exemple, le lecteur choisit parmi les questions que pose l'œuvre ce qui l'intéresse et néglige le reste.
Il n'y a plusd'objectivité de l'œuvre (exemple : ne retenir de la Comédie humaine que ce qu'elle dit sur l'alcoolisme populaire).
c) Le lecteur pose les questions et l'œuvre répondOn insiste alors, de manière positive, sur la lecture qui fait exister l'œuvre, qui en fait une potentialité, un réservoirde sens, une pratique en devenir, etc.
Cette thèse ne va cependant pas sans difficulté : le lecteur ne peut se poserdes questions que si l'œuvre l'y invite, les rend possibles, nécessaires.
Il est des œuvres qui ne poussent jamaisd'elles-mêmes à le faire.
Tout ne dépend donc pas du lecteur et on retrouve le problème de l'objectivité de l'œuvre.Mais il faut aller plus loin : une œuvre qui n'invite pas à se poser et à lui poser des questions peut aussi êtrequestionnée sur...
cette absence de questions! On retrouve ici le pouvoir et le droit des lecteurs.
d) En fait, l'œuvre, née d'une conscience individuelle, elle-même immergéedans un bain de questions collectives, est d'abord expression et interrogation : qui ne s'interroge pas (et bienentendu on peut ne pas savoir qu'on s'interroge, la question peut être obscure, enfouie, etc.) n'écrit pas ou n'écritpas au sens réel de ce terme.
Mais cette expression-interrogation n'existe que si elle est reprise par d'autresexpressions-interrogations : par exemple, un roman sur l'adolescence lu par des adolescents.
Ces questions peuventdu reste être perçues ou ne pas l'être : et une question qui n'est pas perçue est une question qui n'existe pas.Beaucoup dépend donc de la lecture, mais ce phénomène de la lecture résulte d'un accord historique lecteur/auteur.
Des lecteurs qui ne se posent pas certaines questions ne comprendront pas ou ne liront pas une œuvre quiinterroge.
2) Le problème ouverture/fermeture du texte
Un danger considérable : appliquer à l'art le principe selon lequel il ne s'agit plus de comprendre le monde mais de letransformer.
On aboutirait ainsi à l'idée d'une œuvre dans laquelle les problèmes sont résolus ou qui contribue à lesrésoudre.
Or « toute œuvre péremptoire est une œuvre mensongère » (Aragon, la Semaine Sainte).
Qu'est-ce àdire?a) Les questions posées par l'œuvre sont toujours en partie sans réponse pour le lecteur :— parce qu'elles portent non sur de l'éternel, mais sur du non résolu (la mort, la fuite du temps, le progrès, aimer etêtre aimé, savoir et être...), actuellement et pour longtemps;— parce qu'elles portent sur la manière individuelle dont est vécu l'universel.
Il y a une réponse (en tout cas deséléments de réponse) à la question : « Qu'est-ce que la révolution de 48? » Il y en a moins à : « Comment FrédéricMoreau (personnage réel? imaginaire?) a-t-il vécu la révolution de 48? » et encore moins à : « Comment un individuvit-il une révolution? » Les articulations sont obscures, problématiques, et la fonction de l'œuvre est de les dire;— parce qu'elles portent non sur des substances et sur des objets, mais sur des processus, sur des mouvements.On ne peut faire l'analyse moléculaire d'un personnage, d'une figure.
On ne peut Ame saisir leurs fonctions.
b) Les questions posées par l'œuvre comportent toujours des éléments de réponse; si on ne tient pas compte decet élément, on tombe dans le scepticisme :.
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