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L'image remplacera-t-elle un jour l'écrit comme moyen de culture ?

Publié le 09/12/2021

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Pour satisfaire ces goûts et ces besoins, le producteur dispose de trois garanties : le système des vedettes, la limitation des sujets à certaines catégories déterminées, enfin la propagande et la critique. Ces réserves - qui éloignent définitivement le film du livre - bien établies, demandons-nous cependant si le cinéma, sans rien remplacer et surtout pas le livre, ne pourrait pas être un bon moyen de culture. La presse et la censure s'étant révélées, et s'affirmant de plus en plus, comme de faux remèdes, l'éducation du public, en particulier par les ciné-clubs, pourrait permettre d'accroître ce tiers du public qui voit dans le cinéma un art digne de soutenir la comparaison avec le livre. Alors, le cinéma prendrait une valeur documentaire et serait déjà un instrument de culture. Certes, actualités et documentaires jouent leur rôle en ce domaine. Mais le film peut avoir sa valeur d'information intrinsèque : historique (Pour qui sonne le glas), géographique (Riz amer), social (Le Voleur de bicyclettes). La valeur purement culturelle ne serait pas moindre. Il suffît en effet que la projection d'un film tiré d'un roman soit annoncée pour que la vente du livre augmente dans des proportions qu'aucune propagande ne pourrait provoquer. Certes, il ne suffît pas d'avoir vu Le Rouge et le Noir pour connaître Stendhal. Certes, quand on voit le geste, insignifiant à l'écran, de Julien saisissant la main de Madame de Rénal et que l'on songe à l'importance de cet instant dans le roman, on peut penser que le cinéma oublie tout de la peinture psychologique ; mais si le spectateur a ensuite, ou avant la projection, le désir de lire un ouvrage qu'il n'aurait jamais connu sans cela, alors on rend grâce au cinéma.

« Introduction Depuis qu'en 1895, les frères Lumière ont présenté leur appareil de projection, le « cinématographe » est devenu le« cinéma » et même le « ciné » ; à mesure que le terme se rétrécit, semblable à une peau de chagrin, le talisman,lui, s'étend, s'amplifie, devient un phénomène social ; il est donc l'objet de violentes critiques et sujetd'enthousiastes discussions et d'ardents panégyriques : « Passe-temps d'illettrés », disent les uns.

« Aucun autreart ne peut sauver l'expression d'un visage », affirme un autre.

D'où la question : l'image remplacera-t-elle un jourl'écrit comme moyen de culture ? Développement Oui, affirment ceux qui prétendent que « le cinéma donne l'éternité à l'éphémère ».

En fixant sur la pellicule uneinterprétation choisie d'une scène tournée des dizaines de fois, dans un éclairage, des circonstances attenduesaussi longtemps qu'il le faut, le cinéma sauve, par la fixation, l'instant idéal de ce qui est, dans la nature, passagercomme le chant d'un oiseau, éphémère comme le souvenir d'un artiste.Indiscutablement, nous regrettons de ne pas savoir comment la Champmeslé jouait la mort de Phèdre, et de ne pasposséder l'interprétation d'Alceste par Molière lui-même.

Mais, en exprimant ce regret, c'est à l'enregistrement quel'on songe, beaucoup plus qu'au film ; il ne convient pas d'attribuer au cinéma, art visuel par excellence, un méritequi ne lui est nullement propre et pour lequel il ne peut prétendre « remplacer le livre »! D'autre part, même unfervent de l'écran comme Henri Agel reconnaît le côté éphémère de l'image, tout comme il est impossible de nier lemanque de communion des salles obscures : l'image ne peut tout de même remplacer la présence physique etcertains iront même jusqu'à préférer la simple audition, sans image, ou même la lecture, à cette semi présence qui,en fin de compte, n'en est pas une.La pellicule s'use, les modes d'expression et l'interprétation évoluent, et plus encore les progrès techniques.

Vouloirdonner au cinéma l'avantage de fixer à tout jamais le « miracle d'un jour », c'est-à-dire l'impression momentanée etrenouvelée que nous éprouvons grâce à la lecture, c'est rendre un bien mauvais service au cinéma qui peutprésenter bien d'autres intérêts pour nous et nous proposer d'autres attraits.Pour remplacer le livre dans notre culture, il faudrait d'abord que le cinéma ne soit pas cet « opium pour refoulés etinsatisfaits » que font trop souvent de lui le public, les conditions du spectacle et les impératifs commerciaux.Le public est ainsi défini par les statistiques : 10 à 20 % vont au cinéma par besoin ou routine ; 60 à 70 % par désird'oubli, d'évasion, de détente, de distraction ou d'euphorie ; 10 à 15 % seulement par plaisir artistique et 5 % parplaisir cinématographique.

Ainsi, le rêve, ventilation de l'inconscient et ferment de toute imagination créatrice, a étérévélé à la foule, mais au lieu d'être pour elle une méditation et un stimulant, il en est devenu rapidement unevéritable drogue.

Cette fin va de la curiosité intense et parfois malsaine à l'exaltation de la conscience mythique.L'individu, par le cinéma, se libère de ses éléments préhistoriques ; à cela, s'ajoute la recherche de la « suffocationcollective » et le besoin d'ébranlements nerveux.

A ce degré, le cinéma n'est rien de plus qu'un opium permettantaux refoulés, aux insatisfaits de toute espèce, de s'abandonner à une seconde vie, à une existence d'emprunt, enmarge de la vie quotidienne.Les conditions du spectacle sont particulièrement propices à cette opiomanie : l'obscurité, le confort des fauteuilsfavorisent l'abandon de l'être à cette espèce de vertige ; l'obscurité permet d'être seul au milieu d'un public, et lespectateur s'identifie sans scrupule et impunément aux vedettes qu'il chérit.

L'écoulement ininterrompu des imagesajoute à cette tendance à la passivité ; le film court et vole vers sa fin, sans nous permettre la pause, la réflexion,le retour en arrière à quoi dispose la lecture.

Et ce voyage immobile dans le noir comble le spectateur moyen, d'unplaisir facile que dénoncent ceux qui, après Georges Duhamel, voient dans le cinéma un « passe-temps d'ilotes ».Enfin, les conditions industrielles et commerciales de la production sont encore plus favorables à cet avilissement.Sous le patronage d'un certain nombre de compagnies ou de l'État, selon les régimes politiques, le film est produitpar un homme pour qui le problème essentiel est de déterminer avec une rigueur mathématique les goûts et lesbesoins du public : ainsi, naissent les deux tiers des films.

Pour satisfaire ces goûts et ces besoins, le producteurdispose de trois garanties : le système des vedettes, la limitation des sujets à certaines catégories déterminées,enfin la propagande et la critique.Ces réserves — qui éloignent définitivement le film du livre — bien établies, demandons-nous cependant si le cinéma,sans rien remplacer et surtout pas le livre, ne pourrait pas être un bon moyen de culture.La presse et la censure s'étant révélées, et s'affirmant de plus en plus, comme de faux remèdes, l'éducation dupublic, en particulier par les ciné-clubs, pourrait permettre d'accroître ce tiers du public qui voit dans le cinéma unart digne de soutenir la comparaison avec le livre.

Alors, le cinéma prendrait une valeur documentaire et serait déjàun instrument de culture.

Certes, actualités et documentaires jouent leur rôle en ce domaine.

Mais le film peut avoirsa valeur d'information intrinsèque : historique (Pour qui sonne le glas), géographique (Riz amer), social (Le Voleurde bicyclettes).La valeur purement culturelle ne serait pas moindre.

Il suffît en effet que la projection d'un film tiré d'un roman soitannoncée pour que la vente du livre augmente dans des proportions qu'aucune propagande ne pourrait provoquer.Certes, il ne suffît pas d'avoir vu Le Rouge et le Noir pour connaître Stendhal.

Certes, quand on voit le geste,insignifiant à l'écran, de Julien saisissant la main de Madame de Rénal et que l'on songe à l'importance de cet instantdans le roman, on peut penser que le cinéma oublie tout de la peinture psychologique ; mais si le spectateur aensuite, ou avant la projection, le désir de lire un ouvrage qu'il n'aurait jamais connu sans cela, alors on rend grâceau cinéma.

Point de culture sans étude, point de culture sans effort de mémoire et volonté d'acquérir quelque choseet de s'enrichir ; mais le film peut faire naître ce désir de connaître, ce goût de lire, de s'instruire, et dans ce sens,avoir son rôle à jouer dans la culture des peuples qui prendront plaisir à guetter le chant d'un oiseau dans un maraisparce qu'ils l'auront entendu à l'écran.. »

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