KANT (Emmanuel)
Publié le 06/12/2021
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KANT (Emmanuel) _________________________________________________
Né à Koenigsberg en 1724, d'un modeste artisan sellier et d'une mère fort attachée au piétisme, il ne quitta jamais sa ville natale. Étudiant au lycée (1732) puis à l'université de cette ville (1740), il est à partir de 1746 précepteur dans diverses familles de la région. En 1755, grâce à une Dissertation sur les premiers principes de la connaissance métaphysique, il est professeur libre à l'université, et devient professeur titulaire en 1770 avec sa célèbre dissertation latine sur « La forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible «. Les publications de Kant avant 1770 sont nombreuses et ne concernent pas seulement la philosophie (il enseigna à peu près toutes les matières). Il évolue lentement du dogmatisme rationaliste de style leibnizien qui fut celui de ses maîtres vers une pensée, qui sachant retenir les leçons de l'empirisme et de la physique newtonienne, accorde un rôle essentiel à l'expérience. Dans cette évolution la Dissertation de 1770 marque une étape essentielle : pour la première fois, Kant conçoit le temps et l'espace comme des intuitions irréductibles aux concepts ; deux ans plus tard, il écrit à Marcus Herz qu'il songe « au plan d'un ouvrage qui pourrait avoir comme titre : les limites de la sensibilité et de la raison «. Mais la maturation chez Kant est toujours lente, c'est seulement en 1781 qu'il publie la Critique de la raison pure (seconde édition remaniée avec une nouvelle préface en 1787). Cette première présentation d'une philosophie nouvelle — la philosophie critique ou transcendantale — est suivie d'un exposé plus succinct (Prolégomènes à toute métaphysique future qui pourra se présenter comme science, 1783), puis de la Critique de la raison pratique ,1788, et de la Critique du jugement, 1790. On peut dire alors que les bases du système sont achevées ; Kant en poursuit l'élaboration : la publication en 1785 des Fondements de la métaphysique des moeurs est complétée par celle des Premiers principes métaphysiques de la doctrine du droit, 1797 ? ; La Religion dans les limites de la simple raison, 1793, qui lui avait valu quelques démêlés avec la censure est complétée par le Conflit des facultés, 1798. Sentant ses forces décliner, il abandonne l'enseignement en 1797 ; il s'efforce alors d'élaborer sa philosophie de la nature en montrant le rapport de la science physique aux Premiers principes métaphysiques de la science de la nature qu'il avait énoncés dès 1786. Sa mort survenue en 1804 ne lui permit pas d'achever ce projet.
1. La révolution copernicienne
On peut caractériser la philosophie kantienne par le projet de fonder la connaissance rationnelle, en assignant les limites de sa légitimité, et en émondant les productions de « l'entendement humain (qui a) divagué durant des siècles de diverses façons sur d'innombrables sujets «. Mais le projet critique ne trouve sa source et sa réalisation que dans la solution des problèmes fondamentaux agités par la philosophie de la connaissance> La conception traditionnelle de la vérité en fait l'adéquation de la pensée et des choses. L'idéalisme fonde cette adéquation dans le déploiement logique du savoir à partir de concepts sinon toujours innés, du moins reposant éternellement en l'entendement divin ; une connaissance a priori universelle et nécessaire est alors possible. L'empirisme (Hume) pose que toute connaissance vient de l'expérience ; mais si toute connaissance est a posteriori il n'y a ni universalité ni nécessité véritables et nous sommes acculés au scepticisme.
L'empirisme a en un certain sens raison et beaucoup de nos jugements consistent en synthèses a posteriori de deux concepts donnés dans l'expérience. Si l'idéalisme avait raison nos jugements seraient a priori ; ils ne peuvent l'être que s'ils sont analytiques, c'est-à-dire s'ils ne nous apprennent rien, affirmant d'un concept une détermination' qui y est déjà contenue. Les propositions de l'arithmétique sont synthétiques (lorsque j'écris 7 + 5 = 12, 12 n'est contenu ni dans 5 ni dans 7) ; il en est de même de celles de la géométrie et de celles de la physique. Il importe à Kant de montrer la nécessité de la connaissance ; pour que les jugements qui constituent l'arithmétique, la géométrie et une partie de la physique soient nécessaires, il faut qu'ils soient a priori. Comment des jugements synthétiques a priori sont-ils possibles ? Si notre appréhension du monde doit se régler sur la nature des objets, la connaissance a priori est impossible ; il faut donc que ce soit l'objet qui se règle sur la nature de notre pouvoir d'intuition : nous ne connaissons a priori des choses que ce que nous y mettons nous-mêmes. Kant compare sa solution à la révolution opérée par Copernic lorsque celui-ci pour expliquer les phénomènes astronomiques incompatibles avec la rotation du soleil autour de la terre, a supposé que la terre tournait autour du soleil.
2. Sensibilité et entendement
Si l'objectivité de notre connaissance dépend de notre faculté de connaître, toute théorie de la connaissance suppose l'étude des éléments qui composent celle-ci. Cette étude est nécessairement a priori et elle ne concerne les objets qu'en tant qu'ils dépendent de notre faculté : elle est donc étude des conditions a priori de la possibilité de notre connaissance, autrement dit elle est transcendantale (1). Il y d deux sources (qui partent peut-être d'une racine commune, mais inconnue) de notre connaissance : la sensibilité et
l'entendement. Si toute connaissance débute avec l'expérience, il ne s'ensuit pas qu'elle découle de l'expérience (c'est là l'erreur de l'empirisme).
La sensibilité est la manière dont nous sommes affectés par les objets dans l'intuition ; l'impression de l'objet sur la sensibilité est la sensation. La sensation est la matière de notre intuition sensible, elle est un donné. En tant que tel ce donné est pure diversité ; dans la mesure où l'objet se régie sur notre faculté de connaître, la diversité se ramène à une forme. La forme de notre intuition est intuition pure, et cette forme est le temps (sens interne) et l'espace (sens externe). Temps et espace en effet ne sont pas des concepts de l'entendement ; mon concept de main par exemple est identique lorsque je pense à ma main droite et à ma main gauche, et pourtant toutes deux ne sont pas superposables : ce paradoxe de la symétrie des objets dans l'espace montre bien qu'il y a dans celui-ci quelque chose d'irréductible au concept. Temps et espace ne sont pas non plus des intuitions particulières : un temps ou un espace donné ne sont conçus qu'en tant qu'ils sont pris dans l'espace et dans le temps.
Le temps et l'espace sont la forme de la sensibilité : tout objet en tant qu'il est pour nous une donnée, c'est-à-dire en tant que nous l'appréhendons, est nécessairement dans le temps (2) et dans l'espace ; il en est de même pour moi en tant que je me perçois comme sujet empirique. Il s'ensuit que je ne puis connaître les choses (y compris moi-même comme objet de représentation) telles qu'elles sont en elles-niêmes, mais seulement telles qu'elles m'apparaissent dans ma sensibilité, c'est-à-dire en tant que phénomènes. La forme de l'intuition donne l'unité à la diversité du sensible ; mais les phénomènes eux-mêmes sont divers : ils ne sont appréhendés que pour autant que je les saisis en les rapportant à une unité.
Cette unité provient de la pensée en un double sens :
1 — Penser c'est juger, c'est-à-dire unifier un concept sous un autre concept ; il y a donc autant de formes d'unité que de modes de jugement. Kant nomme ces formes d'unité des catégories (elles sont au nombre de douze, parmi elles il y a la relation de cause à effet).
2 — Mes représentations ne sont unifiées que dans la mesure où je les appelle miennes : c'est donc la synthèse pure de l'entendement, le je pense — aperception originaire, c'est-à-dire non empirique (3) — qui rend la connaissance possible. La reconnaissance de cette nécessité constitue pour Kant la déduction transcendantale des catégories ; elle implique que la connaissance suppose l'application (effectuée par l'imagination transcendantale) des catégories aux données sensibles. Par conséquent sans nos concepts de l'entendement nous ne connaissons rien (des intuitions sans concepts sont aveugles) et sans une matiere pour ces concepts nous ne connaissons rien non plus (des concepts sans intuition sont vides).
3. La raison et la dialectique transcendantale
La possibilité d'une connaissance repose sur une triple synthèse :
1 — synthèse de l'appréhension dans l'intuition ;
2 — synthèse de la reproduction dans l'image ;
3 — synthèse de la recognition dans le concept.
L'entendement, faculté des concepts est la fonction du jugement : il unit entre eux deux concepts. Le raisonnement suppose l'union de plusieurs jugements : la raison est à l'entendement ce qu'est l'entendement à la sensibilité. II y a trois formes de raisonnement : catégorique (syllogisme ordinaire), hypothétique (syllogisme ayant une prémisse hypothétique), disjonctif (syllogisme ayant. une prémisse disjonctive). L'unité dans le raisonnement est donnée par la subsomption du jugement (la conclusion) sous une règle générale (la majeure) (4) ; l'activité synthétique de la raison consiste donc à chercher la condition du jugement. Cette activité synthétique donne lieu à une illusion de la raison dont l'étude relève de la dialectique transcendantale en tant que logique transcendantale (5) de l'apparence.
En cherchant la condition de la conclusion, pour achever l'unité, la raison recherche nécessairement la condition de la condition et remonte jusqu'à l'inconditionné, c'est-à-dire jusqu'à un principe anhypothétique. Un tel principe est une Idée de la raison : à partir du raisonnement catégorique, il concerne l'unité absolue (inconditionnée) du sujet pensant, du raisonnement hypothétique l'unité absolue de la série des conditions du phénomène, du raisonnement disjonctif l'unité absolue de la condition de tous les objets de la pensée en général. Les Idées de la Raison concernent donc le sujet, le monde et Dieu. Comme principes synthétiques elles sont nécessaires et ont un usage transcendantal ; mais — et c'est là l'illusion — on essaie d'en faire un usage transcendant, c'est-à-dire qui va au-delà de l'expérience, afin de constituer une psychologie rationnelle (science de l'âme), une cosmologie rationnelle et une théologie rationnelle. Ce faisant on tombe dans des raisonnements fallacieux : paralogismes pour la psychologie (on utilise les concepts tantôt en un sens empirique, tantôt en un sens transcendant), antinomies pour la cosmologie (on démontre aussi bien que le monde a un commencement et qu'il n'en a pas, qu'il a des parties simples et qu'il n'en a pas, que l'homme est libre et qu'il ne l'est pas, que le monde a une cause et qu'il n'en a pas), preuves de l'existence de Dieu pour la théologie (6). La raison est naturellement aux prises avec elle-même : c'est parce que l'idée transcendantale a son usage légitime comme principe régulateur de l'activité synthétique de la raison et que nous tentons d'en faire un usage transcendant afin de l'utiliser à connaître un inconditionné, une chose en soi.
· Qu'est-ce qu'une chose en soi ?
Dans la sensibilité, la distinction du phénomène et de la chose en soi paraît être la distinction de deux réalités. La
sensibilité borne la connaissance dans la mesure où cette dernière ne peut la franchir pour atteindre la chose en soi.
Par le moyen des catégories, quand on fait abstraction des conditions sensibles, on ne connaît aucun objet déterminé : on n'exprime que la pensée d'un objet en général (7).
Comme forme de la pensée, les catégories dépassent la sensibilité et la font apparaître comme contingente (une autre forme est possible). Par là c'est l'entendement qui apparaît
comme limitant la sensibilité en appelant noumènes les
choses en soi, c'est-à-dire prises autrement que phénomènes : le noumène signifie un objet qui ne serait pas donné selon notre mode d'intuition, c'est un concept purement limitatif. La limitation réciproque de l'entendement et de la sensibilité exprimée par ce concept de noumène, fonde la possibilité même de l'expérience. On comprend alors qu'il existe de la nécessité dans le monde : il y a des lois de la nature parce
que les phénomènes sont institués d'après les lois de notre entendement. Mais l'expérience apparaît toujours inachevée et contingente ; tout ce qui est connu dans l'expérience est conditionné, et toute loi n'est elle-même qu'une loi empirique obtenue par induction. La chose en soi est alors l'Idée d'une loi inconditionnée constituant l'expérience en système. On pourrait peut-être comprendre par là :
1 — que dans la mesure où Kant a cru pouvoir démontrer que la constitution de l'expérience en système sous une loi inconditionnée était nécessaire pour la morale (8)—voire dans la Critique du jugement, pour la finalité—, il ait cru aussi nécessaire de postuler l'existence d'une âme libre et éternelle, d'un Dieu infiniment bon ; les postulats de la raison pratique
ne donnent pas pour autant la connaissance théorique des noumènes ;
2 — que la philosophie kantienne soit un idéalisme (transcendantal) parce qu'elle ramène l'Être au connaître, mais qu'elle
soit aussi un réalisme empirique, parce qu'elle pose que nous connaissons bien les phénomènes tels qu ils sont.
1.« J'appelle transcendantale toute connaissance qui, en général, s'occupe moins des objets que de nos concepts a priori des objets. Un système des concepts de ce genre s'appellerait philosophie trancendantale «.
2. s'ensuit qu'à proprement parler le temps ne s'écoule pas,
c'est l'existence de ce qui est qui s'écoule en lui.
3. Par là Kant veut dire que le «je pense « est comme activité synthétique une condition de possibilité de la connaissance (sujet transcendantal) mais qu'il ne correspond pas à une connaissance de ma nature laquelle serait necessairement sensible. Voir Descartes.
4. Voir Logique.
5. La logique peut être considérée comme un instrument de connaissance ou comme une norme ; dans ce cas elle établit des conditions a priori de la pensée d'un objet quelconque, c'est pourquoi Kant la nomme « transcendantale «.
6. Voir Dieu, ontologie.
7. Ne pas confondre avec l'objet transcendantal qui est simplement le point x auquel je rapporte toutes mes représentations, et qui correspond symétriquement au sujet transcendantal.
8. Voir bonheur, morale.
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