Jules RENARD Histoires naturelles : " Le cygne "
Publié le 15/05/2020
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Jules RENARD Histoires naturelles : " Le cygne "
Il glisse sur le bassin, comme un traîneau blanc, de nuage en nuage.
Car il n'a faim que des nuages floconneux qu'ilvoit naître, bouger et se perdre dans l'eau.
C'est l'un d'eux qu'il désire.
Il le vise du bec et il plonge tout à coup soncol vêtu de neige.
Puis, tel un bras de femme sort d'une manche, il le retire, il n'a rien.
Il regarde : les nuageseffarouchés ont disparu.
Il ne reste qu'un instant désabusé, car les nuages tardent peu à revenir, et, là-bas, oùmeurent les ondulations de l'eau, en voici un qui se reforme.
Doucement, sur son léger coussin de plumes, le cygnerame et s'approche.
Il s'épuise à pêcher de vains reflets, et peut-être qu'il mourra, victime de cette illusion, avantd'attraper un seul morceau de nuage.
Mais qu'est-ce que je dis? Chaque fois qu'il plonge, il fouille du bec la vasenourrissante et ramène un ver.
Il engraisse comme une oie.
• Le texte présente cet avantage de ne comporter aucun mot difficile ; le sens général est immédiatement compris.• Les Histoires naturelles ont été composées séparément et publiées par petits groupes à partir de 1896.
Le recueilcomplet comprendra 85 textes.• Suggestions :1.
Comparez ce texte avec d'autres poèmes qui prennent le cygne comme objet de lyrisme : Symphonie en blancmajeur, de Gautier, Le Cygne, de Baudelaire et celui de Sully Prud'homme, « Le vierge, le vivace et le belaujourd'hui...
» de Mallarmé.2.
Analysez et classez les sonorités du premier paragraphe ; étudiez le rythme des lignes 6 à 11.• Le Cygne » a été mis en musique par Ravel : écoutez l'interprétation qu'en donne le musicien.
Bonnard, Rabier etToulouse-Lautrec ont par ailleurs illustré les différentes éditions de l'oeuvre : confrontez les trois modes deprésentation (écriture, peinture, musique).
PLAN DÉTAILLÉ
Introduction :
• « Le Cygne », dixième poème en prose des Histoires Naturelles de Jules Renard (première édition en 1896), clôt lapremière section sur la basse-cour.• L'oeuvre fait référence à Buffon qui fut un maître d'observation pour le poète.
L'oiseau est ici en effet évoqué demanière très précise et vraie.• Pourtant, le texte nous invite à mettre à distance le charme poétique même de l'anecdote.
« Le cygne » s'offreainsi comme un exercice de style qui vient en contre-point d'une longue tradition et propose une vision parodique decet animal mythique.
• D'où les pistes d'étude suivantes :1.
Une anecdote poétisée2.
L'ironie du poète
I.
Une anecdote poétisée
1.
L'oiseau dans son élément• L'espace et le temps : un minimum de détails suffisent à poser les circonstances de l'anecdote.- Le cadre est celui d'un « bassin » (l.
1) au-dessus duquel passent des nuages, mais dont on ne voit que le reflet :« des nuages floconneux qu'il voit naître, bouger et se perdre dans l'eau » (l.
2-3).- L'anecdote s'organise de façon chronologique.
Relever les conjonctions temporelles : « tout à coup » (l.
4), « puis» (l.
5),« chaque fois » (l.
15) et les préfixes de répétition : « retire » (l.
5),« revenir » (l.
8), « se reforme » (l.
9).• L'oiseau à l'oeuvre : le nom de « cygne » n'est présent que dans le titre.
L'ensemble du texte en est la définition.- Les activités spécifiques de l'oiseau sont bien rendues : mouvement sur le bassin à coups de palmes (« rame », l.10), brusque plongée du cou dans l'eau après un temps d'observation de la surface.- Le rythme des phrases, longues ou très brèves, symbolise les mouvements de l'oiseau ; les plus longs paragraphessont ceux des gestes gracieux du cygne (l.
1-4 ; 10-13).
Noter l'effet produit par les blancs typographiques quimarquent les arrêts de l'oiseau.
2.
L'objet de la quête• Se nourrir de rêves : le cygne est en quête de nuages qui sont toute sa nourriture : « il n'a faim que des nuages »(l.
2) ; « c'est l'un d'eux qu'il désire » (l.
3).- L'anecdote présente une action répétée : le cygne trouble une fois l'eau puis recommence sa quête.
Mais cemouvement de l'oiseau, qui « rame et s'approche » (l.
10-11) avant qu'il ne « plonge tout à coup son col vêtu deneige » (l.
4), se perpétue indéfiniment dans le temps.
L'utilisation du présent de l'indicatif permet d'actualiser lascène mais se charge également de valeurs intemporelles : « il s'épuise à pêcher de vains reflets » (l.
11)..
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