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Jules Michelet

Publié le 09/12/2021

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Jules Michelet, né à Paris le 22 août 1798 ; profession ? Allons-nous répondre : "historien" ? Non. Michelet n'écrit pas l'Histoire ni de l'histoire. Il s'en nourrit. Il se gorge du sang noir des morts. Il est celui qui écrit, en septembre 49 : "J'accomplis ici une tâche très rude, de revivre, refaire et souffrir la Révolution." Et il explique : "Je viens de traverser Septembre (entendons 1793, et non pas 1849). Massacré à l'Abbaye, je vais au Tribunal révolutionnaire, c'est-à-dire à la guillotine." Là-dessus, les gens d'esprit pourront ricaner. Insoucieux des "fautes de goût", Michelet poursuit sa route, pleure de détresse s'il mène Jeanne d'Arc au bûcher et sent son coeur éclater d'allégresse quand il monte à l'autel avec les Fédérés. Jules Michelet, c'est "l'Histoire" faite homme. L'aventure est étrange, qui veut y réfléchir ? Voici un petit pauvre. Grosse tête, corps chétif, teint blême. Un petit pauvre de Paris, un petit pauvre d'entre deux pavés. Dont les parents sont obligés de déménager tous les deux ans. Sinon tous les ans. De la rue de Tracy, 1798, à la rue Montmartre, puis à la rue du Jour et à la rue Française. De là, 1808, rue des Saints-Pères, au coin de la rue de Verneuil. Ensuite boulevard Saint-Martin, 1809 ; rue Notre-Dame-de-Nazareth, 1811 ; rue Carême-Prenant, 1812 ; rue de Périgueux, 1814... Déménagements aux allures de fuite. Les quatre meubles et la presse (le père était un chétif imprimeur guetté par la police) ­ les quatre meubles, pieds en l'air dans une voiture à bras poussée par toute la famille et filant, très vite, vers un nouveau galetas. Michelet, l'homme qui écrit ces mots effrayants : "A l'âge de quinze ans, j'avais entendu dire ce que c'était que le soleil. C'était tout." Voici un petit pauvre. Et l'Histoire vient en lui... Parbleu il était bon élève !...Mais de qui ?

« Jules Michelet Jules Michelet, né à Paris le 22 août 1798 ; profession ? Allons-nous répondre : "historien" ? Non.

Michelet n'écrit pas l'Histoire ni del'histoire.

Il s'en nourrit.

Il se gorge du sang noir des morts.

Il est celui qui écrit, en septembre 49 : "J'accomplis ici une tâche très rude,de revivre, refaire et souffrir la Révolution." Et il explique : "Je viens de traverser Septembre (entendons 1793, et non pas 1849).Massacré à l'Abbaye, je vais au Tribunal révolutionnaire, c'est-à-dire à la guillotine." Là-dessus, les gens d'esprit pourront ricaner.Insoucieux des "fautes de goût", Michelet poursuit sa route, pleure de détresse s'il mène Jeanne d'Arc au bûcher et sent son coeur éclaterd'allégresse quand il monte à l'autel avec les Fédérés.

Jules Michelet, c'est "l'Histoire" faite homme. L'aventure est étrange, qui veut y réfléchir ? Voici un petit pauvre.

Grosse tête, corps chétif, teint blême.

Un petit pauvre de Paris, un petitpauvre d'entre deux pavés.

Dont les parents sont obligés de déménager tous les deux ans.

Sinon tous les ans.

De la rue de Tracy, 1798,à la rue Montmartre, puis à la rue du Jour et à la rue Française.

De là, 1808, rue des Saints-Pères, au coin de la rue de Verneuil.

Ensuiteboulevard Saint-Martin, 1809 ; rue Notre-Dame-de-Nazareth, 1811 ; rue Carême-Prenant, 1812 ; rue de Périgueux, 1814...Déménagements aux allures de fuite.

Les quatre meubles et la presse (le père était un chétif imprimeur guetté par la police) les quatremeubles, pieds en l'air dans une voiture à bras poussée par toute la famille et filant, très vite, vers un nouveau galetas.

Michelet,l'homme qui écrit ces mots effrayants : "A l'âge de quinze ans, j'avais entendu dire ce que c'était que le soleil.

C'était tout." Voici un petit pauvre.

Et l'Histoire vient en lui...Parbleu il était bon élève !...Mais de qui ? Sans doute, on l'a mis à Charlemagne, minable boursier aux accoutrements ridicules.

Souffre-douleur, ce "Charbovary" avant la lettre, desgros et gras fils de bourgeois du Marais qui paissaient avec lui (mais en payant) les champs que des pédants cultivaient en racinesgrecques.

Mais nul qui leur apprît la moindre bribe d'histoire.

Et d'ailleurs, les historiens de ces temps préhistoriques, quelles vocationseussent-ils pu susciter ? Quand l'abbé Velly, Louis XVI régnant, peignait Childéric sous les traits d'un trop galant Maurice de Saxe quandAnquetil, sous Napoléon, retrouvait dans ce "monarque" luxurieux Louis XV le débauché et le flétrissait pour mieux exalter le vainqueur deBrumaire : l'un et l'autre reprenaient, sans plus, la tradition de Scipion Dupleix décrivant (1621) Clovis au baptême : "Il s'y présenta avecune contenance relevée, une démarche grave, un port majestueux, très richement vêtu, musqué, poudré, la perruque curieusementpeignée, gaufrée, ondoyante, crêpée et parfumée selon la coutume des anciens rois français..." Je reviens au départ : Vocation de Michelet, d'où sors-tu ?J'ai envie de répondre pour elle : "De l'air du temps." D'un temps qui fut, au regard de la grande époque romantique, ce que fut le LouisXIII au regard du Louis XIV.

Goût foncier des jardins anglais avec ruines, tombeaux, colonnes brisées en attendant les obélisques.

Appeldes clairs de lune baignant les saules courbés et de la Mort, mariée dans les cimetières aux roses de juin.

Mieux défini, l'attrait desmusées : les Monuments français de Lenoir, le Louvre enrichi des dépouilles de l'Europe.

Et encore, les prestiges de l'exotisme.

Bernardinde Saint-Pierre, le Volney des Ruines, le Chateaubriand des Natchez.

En bref, tout ce qui éveillait, excitait, fouettait une imaginationnaturellement puissante.

Les pédants l'eussent tué ou sali.

Ce fut par elle, qu'enclos dans sa misère, le fils de l'imprimeur ruiné s'évada. Michelet, un de ces heureux qui n'ont point eu de maîtres.Mais il eut un père.

"Un père qui fut son père."Dès sa naissance, ce père crut en lui.

Croyance absurde si l'on veut : ce fut elle cependant qui obligea le petit Michelet à faire sa destinéetelle que l'imaginait son cercle familial.

Et lorsqu'il fut devenu le grand Michelet ce fut elle encore qui marqua sa vie à tous les tournants. Vie partagée, divisée, contrastée.

Avec des tentations, comme toutes les vies.

De femmes ? Non.

Celles dont Michelet eut le goût nefurent jamais d'assez haute dignité pour jeter un trouble dans sa ligne de conduite.

De places ? Mais il eut, d'emblée, celles qu'il convoita: Collège de France, Archives Nationales, Institut.

Il fut, aux Tuileries, précepteur de princesses royales.

Et, aux Sciences Morales, confrèrede Guizot, de Cousin, de Thiers, de Tocqueville...

Mais précisément, ce statut d'honneurs bourgeois s'accordait médiocrement avec descomportements de plébéien.

Un jour vint, en 43, où des âmes bien intentionnées rien moins que la duchesse d'Orléans, assistée d'unpasteur luthérien entreprirent de le fixer en le mariant dans la bonne société protestante.

Dot confortable.

Respectabilité.

Maintien d'undéiste, parfois inquiétant, dans les cadres d'un christianisme assez souple.

Surtout rupture escomptée avec tant de vieux souvenirs : etpar exemple, ce matin glorieux de 1816 où, de sa propre main, le duc de Richelieu couronna le lauréat du Concours général.

Mais qui nesavait pas, sous ses lauriers s'il trouverait du pain, le soir, à la maison... Au confort matrimonial, Michelet tourna le dos.

Et en 49 épousa, à cinquante et un ans, une petite préceptrice de vingt-trois.

Qui, un quartde siècle durant, le parqua jalousement dans son intimité.

Elle l'eût affadi, rendu un peu niais s'il ne fût resté le fils du babouviste. L'homme de bonne race, qui écrivit le Peuple.Mais l'Histoire de Michelet n'est-elle pas pleine d'erreurs ?Je sais.

De bons cuistres nous assurent (longuement) que si Michelet présentait sa Jeanne d'Arc au diplôme, ils ne la recevraient point.Qu'ils en soient capables, croyons-les sur parole.

Mais, comme un des meilleurs médiévistes de notre temps me l'écrivait un jour : "Il n'ya toujours qu'une Jeanne d'Arc : la sienne." Michelet est si vivant qu'on le croit contemporain.

Aussi le traite-t-on comme s'il était né au temps des Inventaires, des États Numériques,des Bibliographies savantes, des Revues érudites et des cent mille monographies "exhaustives" qui écrasent les esprits sous leur poidsstérile.

Mais il avait vingt ans en 1818.

Et quand, en 1822, il décida "d'apprendre l'Histoire", en tête de la liste d'oeuvres à lire qu'il dressail inscrivit...

Walter Scott.

Certes, né en 1900, il serait impardonnable d'ignorer ce que savait alors le moindre agrégé.

Mais ce fils duXVIIIe siècle possédait, il possède toujours ce que personne avant lui, après lui, n'eut jamais à ce degré : l'intuition.

Ou, si l'on veut, cesens humain si profond et si large, qu'avec des documents insuffisants en nombre et en qualité, il éclaire d'un brusque jet de lumière tantd'hommes, d'actes et de mouvements de masses qu'en dépit de nos magasins de faits bien épluchés ce que nous nommons notre"science" nous ne parvenons ni à vraiment comprendre, ni à bien mettre en place.

De sorte que, Michelet, ce poète de Clio : Un peu d'histoire en éloigne.

Beaucoup d'histoire y ramène.. »

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