Journal (Le métier de vivre)Extraits des années 1936-1937Cesare Pavese10 avril (1936)C'est seulement ainsi que s'explique mon actuelle vie de suicidé.
Publié le 23/05/2020
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Journal (Le métier de vivre)
Cesare Pavese
Extraits des années 1936-1937
10 avril (1936)
C'est seulement ainsi que s'explique mon actuelle vie de suicidé.
Et je sais que je suis
pour toujours condamné à penser au suicide devant n'importe quel ennui ou douleur.
C'est cela qui me terrifie : mon principe est le suicide, jamais consommé, que je ne
consommerai jamais, mais qui caresse ma sensibilité.
24 avril (1936)
Il faut avoir éprouvé l'obsession de l'autodestruction.
Je ne parle pas du suicide ; les
gens comme nous, qui sont amoureux de la vie, de l'imprévu, du plaisir de “raconter”,
ne peuvent arriver au suicide que par imprudence.
Et puis le suicide apparaît
désormais comme l'un de ces héroïsmes mythiques, de ces fabuleuses affirmations
d'une dignité de l'homme devant le destin, qui intéressent plastiquement mais qui nous
laissent à nous-mêmes.
L'autodestructeur est un type à la fois plus désespéré et plus utilitaire.
L'autodestructeur s'efforce de découvrir en lui-même tous ses défauts, toutes ses
lâchetés, et de favoriser ces dispositions à l'anéantissement, en les recherchant, en s'en
enivrant, en en jouissant.
(…) Mais il vit dans un danger continuel ; le danger que le
surprenne une rage de construction, de systématisation, un impératif moral.
Alors, il
souffre sans rémission, et il pourrait même se tuer.
Il faut bien remarquer ceci : de nos jours, le suicide est un moyen de disparaître, il est
commis timidement, silencieusement, à plat ventre.
Ce n'est pas un acte agi, c'est un
acte subi.
6 novembre (1937)
Le plus grand tort de celui qui se suicide est non de se tuer mais d'y penser et de ne pas
le faire.
Rien n'est plus abject que l'état de désintégration morale auquel amène l'idée
— l'habitude de l'idée — du suicide.
Responsabilité, conscience, force, tout flotte à la
dérive sur cette mer morte, coule et revient futilement à la surface, jouet de n'importe
quel courant.
Le vrai raté n'est pas celui qui ne réussit pas dans les grandes choses — qui y a jamais
réussi ? — mais qui ne réussit pas dans les petites.
Ne pas arriver à se faire un home, ne
pas conserver un seul ami, ne pas satisfaire une femme : ne pas gagner sa vie comme
n'importe qui.
C'est là le raté le plus triste..
»
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