Joseph Haydn
Publié le 16/05/2020
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Joseph Haydn
La gaieté, est-ce un sentiment noble ? Et ce Joseph Haydn qui, sa vie durant, l'a exprimée sans mesure, cettemarionnette en perruque à queue, en frac bleu clair à boutons d'argent, ce maître de chapelle à l'âme debureaucrate guilleret, peut-on honnêtement le placer au rang des grands musiciens ?
Pourquoi non ? La gaieté manque, paraît-il, de profondeur.
Mais quel besoin que la musique soit toujours profonde ?N'a-t-elle pas été d'abord créée pour le plaisir de l'oreille et des sens ? Ce sont les Romantiques et, après eux, tousles autres, qui ont compliqué le problème.
Ou qui plutôt ont transformé en problème ce qui ne servait qu'à charmeret à divertir.
Écoutons Haydn comme il convient qu'on l'entende.
Il est un maître, assurément, et des plus grands.
Iln'est pas toute la musique ; mais il en illustre l'aspect riant, le côté pimpant.
Et il porte le signe de l'éternellejeunesse.
C'est un Croate, assurent les érudits.
Ils ont trouvé cela parce qu'il faut toujours découvrir le détail piquant, le traitde nature propre à favoriser les débats à base d'appareil critique.
En fait l'influence slave n'apparaît que tardivementet de façon tout accessoire dans son Oeuvre.
Rohrau, village de la Basse-Autriche où il naît, est situé tout près dela frontière hongroise ; mais Vienne n'est pas loin, et c'est l'esprit viennois que, dès le temps de ses débuts,reflétera l'art du futur compositeur des Saisons.
Au cOeur de la monarchie bicéphale où tant d'afflux ethniques seheurtent et se neutralisent, Vienne joue un rôle providentiel : elle opère la synthèse des apports et fond le disparatedes caractères dans cette intense "douceur de vie" qu'exprime si éloquemment l'art de ses grands musiciens (venusl'un de l'Est, l'autre de Salzbourg, sans parler du Rhénan Beethoven).
Quand Joseph Haydn, fils de charron, prend lechemin de la grande ville, il est peut-être encore ignorant de son vrai destin, mais Vienne aura tôt fait de le luirévéler.
Pour un "Sepperl" qui n'a envie que de chanter, toute autorité sera bonne, qui le gouvernera selon soncOeur.
Et jamais apprenti ne sera plus dispos et docile, plus naïf et neuf devant une tradition dont il éprouverad'instinct l'ordre et les lois, mais que son esprit, rebelle à l'analyse, ne se souciera jamais de pénétrer parl'intelligence, même quand il en sera devenu le chantre et l'ambassadeur officiel.
Tel est en effet le prestige des lieux hantés par la grandeur de l'esprit ou par son charme qu'ils font, s'il leur plaît,dépositaires de leur plus beau secret ceux-là mêmes que l'humilité de leur condition ou leur naissance étrangèresemble moins que d'autres préparer à en exprimer le caractère.
A Versailles le Florentin Lully porte à son point deperfection le style aristocratique du Grand Siècle ; et c'est aussi une forme d'esprit aristocratique que traduira lamusique de Haydn, ce fils de petites gens apte à composer symphonies et concertos aussi naturellement quelaendler et contredanses.
Tout cela sans heurts, sans accrocs, par une insensible progression qui, d'un bout àl'autre de son intarissable production, lui conserve, à peu de chose près, même visage.
Le goût du risque, l'attraitde l'inconnu, ne sont point du tout le fait du bonhomme ; son plus vif plaisir sera dans l'invention des motifs, dans letendre soin de polir et d'orner la mélodie.
Plaisir de collectionneur, en somme.
"C'est l'air, dira-t-il un jour, qui fait lecharme de la musique, et c'est aussi ce qu'il est le plus difficile de produire.
La patience et l'étude suffisent pourassembler des sons agréables, mais l'invention d'une belle mélodie est le fait du génie."
Clairvoyant propos d'un homme qui connaît sa mesure, ses dons et ses pouvoirs.
Dans un siècle où la mélodie coulede source, Haydn réalisera ce prodige d'effacer ses rivaux, Mozart accepté (qui d'ailleurs n'est pas un rival, mais unfrère plus jeune).
Il n'en tirera d'ailleurs nul orgueil et quand, sexagénaire, il sera présenté à George III, roid'Angleterre, et que celui-ci, en guise de compliment, lui dira : "Docteur Haydn, vous avez beaucoup composé",c'est avec sincérité, et même quelque confusion, qu'il répondra : "Oui, Sire, un peu plus qu'il n'eût été sage."
La scène est charmante, et les biographes de Haydn mettent l'anecdote en bonne place, comme il convient.
Ilsn'ont d'ailleurs pas de quoi faire les renchéris, car, toute longue qu'elle soit de soixante-dix-huit années, la vie deHaydn n'en renferme que peu qui aient de la saveur et du trait.
Elle tient toute, cette existence, en trois parties et,en aucun de ces trois actes, rien de décisif, en somme, ne se produit.
Même de l'une à l'autre le passage estinsensible.
Esterhaz succède aux années d'insouciance et de disette comme le mariage à la vie de garçon, et, quantaux tournées en Angleterre et aux honneurs de la vieillesse, cela couronne trente années de bons et loyaux servicescomme la visite aux cousins de Paris et la pension de retraite récompensent une carrière de bureaucrate.
Où latragédie dans tout ceci trouverait-elle sa place ? Même le drame bourgeois est absent de cette destinée, et il n'y aproprement rien à tirer d'une vie conjugale fondée, si l'on peut dire, sur le malentendu et qui commence par un refusde porter les culottes plutôt comique.
L'histoire n'est pas sans analogie avec celle du mariage de Mozart qui, faute,lui aussi, de voir couronner sa flamme par celle qu'il aime, se rabat sur la sOeur de l'ingrate.
Mais et ici éclate ladifférence entre deux natures d'artiste celle qu'il a commencé de chérir par dépit, Wolfgang se persuadehéroïquement que la voilà devenue sa plus belle raison de vivre et, tant pour exorciser le mauvais destin que parindomptable besoin de confiance, c'est à elle qu'il dédie le chef-d'Oeuvre dont son cOeur est gros.
Joseph, lui, misen demeure par le perruquier Keller de prendre livraison de l'acariâtre Anna-Maria, se laisse marier par faiblesse et netire de l'épreuve nulle occasion de revanche sur soi-même.
Tout ce qui sépare l'égalité d'humeur de l'ombrageusefierté est dans ce parallèle.
Faut-il s'étonner après cela de constater même différence de réaction sur le plan de l'indépendance morale ? Auservice de l'archevêque de Salzbourg, Mozart ronge son frein jusqu'au jour de l'inévitable conflit.
Chez les Esterhazy,nul risque que pareil scandale ne menace.
La fringale de musique dont le noble prince est atteint exige de son maître.
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