Jonathan Swift par André Maurois de l'Académie Française
Publié le 23/05/2020
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Ci-dessous un extrait traitant le sujet : Jonathan Swift par André Maurois de l'Académie Française Voici des plus grands écrivains de tous les temps, et peut-être le plus malheureux. Ce document contient 2157 mots soit 5 pages. Pour le télécharger en entier, envoyez-nous un de vos documents grâce à notre système gratuit d’échange de ressources numériques. Cette aide totalement rédigée en format pdf sera utile aux lycéens ou étudiants ayant un devoir à réaliser ou une leçon à approfondir en Culture générale.
SWIFT Jonathan. Ecrivain anglais. Né et mort à Dublin (1667-1745). A sa naissance, il était orphelin de père. Deux oncles, Godwin et Dryden William Swift, pourvurent à son entretien. Il étudia à l’école de Kilkenny, de 1673 à 1681, puis entra à l’Université de Dublin, Trinity College, où il resta sept ans. En 1688, il quitta l’Irlande et alla rejoindre sa mère, établie dans le comté de Leicester. Mrs. Swift étant pauvre, il entra par relations au service de Sir William Temple, qui l’employa comme secrétaire. Sir William Temple était un homme d’Etat important, membre du Parlement et diplomate très en vue. Retiré des affaires publiques depuis 1680, il vivait à Moor Park, dans le Surrey, consacrant ses loisirs à la rédaction de ses Mémoires et de différents essais [Miscellanea]. Swift vécut dix ans — avec deux interruptions — chez ce protecteur qui, tout en l’employant, lui laissait poursuivre ses études de théologie. Celles-ci s’achevèrent en 1692 par un doctorat. Swift fut nommé pasteur à Kilroot, diocèse de Connor, près de Belfast, en 1694. Il ne demeura là que quelques mois et regagna Moor Park pour y rester jusqu’à la mort de Sir William (1699). A Moor Park, il composa ses deux premières œuvres. Sir William ayant pris parti dans la querelle des Anciens et des Modernes, Swift le défendit en écrivant La Bataille des livres composée en 1697, qui circula d’abord en manuscrit et ne fut imprimée qu’en 1704. C’est cette même année 1704 que Swift publia Le Conte du Tonneau, écrit vraisemblablement entre 1696 et 1703. A Moor Park, il fut le précepteur d’Esther Johnson, fille légale d’un intendant et probablement fille naturelle de Sir William lui-même. Esther, c’est la mystérieuse Stella qui inspira à Swift une longue et profonde passion. En 1699 lorsque Sir William mourut, il laissait un petit legs à Swift, avec la mission de publier ses écrits. Celui qui avait été un secrétaire fidèle s’acquitta au mieux de sa tâche et adressa au roi les œuvres posthumes de son maître. En 1700, Swift arrive en Irlande. D’abord secrétaire et chapelain de Lord Berkeley, il obtient bientôt, grâce à celui-ci, le bénéfice de Laracor dans le comté de Meath et une prébende à la cathédrale de St. Patrick à Dublin. Après être resté quelques mois dans son vicariat de Meath, Swift, sur les conseils de Lord Berkeley, regagna Dublin. Jusque-là, il avait étudié l’histoire et observé les grands courants politiques de l’époque, sans prendre parti. En 1701, il publie son premier pamphlet politique, Discours sur les luttes et les dissensions entre nobles et gens du commun à Athènes et à Rome, où il prend nettement position pour les Whigs. En 1704 paraissent le Conte du Tonneau et La Bataille des livres. La politique l’attire de plus en plus. En 1705 et 1707 notamment, il fait de longs séjours à Londres et entre en rapports avec certains chefs politiques whigs et avec Addison, Steele, Congreve, Halifax. Mais, ayant pris la défense des droits du clergé irlandais, il se trouve amené à quitter les whigs pour les tories, peu avant l'arrivée au pouvoir de ces derniers (1710). En 1708, il avait publié l'Argument sur l'abolition du christianisme et le Projet pour l'avancement de la religion et la réforme des mœurs [Project for the advancement of Religion]. En 1709, les Papiers de Bickerstaff . En 1710, avec plusieurs autres petits écrits, la célèbre Méditation sur un balai. De 1711 à 1714, Swift fait des séjours à Londres de plus en plus longs. Il est pour le gouvernement tory un conseiller écouté, collabore à l'Examiner, publie la Proposition pour corriger, améliorer et fixer la langue anglaise, écrit le Journal à Stella et s’occupe activement de politique étrangère, notamment en préparant l’opinion à la paix avec la France : La Conduite des Alliés; Conseils aux membres du Club Octobre. C’est pour lui le temps de la célébrité. Il a mérité celle-ci — et que l’on suive ses conseils — par sa compétence; son esprit d’indépendance, son audace avec les puissants du jour ou du lendemain. En 1713, il est nommé doyen de la cathédrale de St. Patrick à Dublin. L’année suivante, qui est celle de la mort de la reine Anne, de la fuite de Bolingbroke et de la chute des tories, son exil est définitif. Il publie l'Esprit public des Whigs. A partir de cet instant, sa vie est surtout marquée par la publication de ses œuvres, quelques voyages en Angleterre, ses occupations de doyen et ses soucis intimes. Il publie à cette époque: Proposition pour l’usage universel des produits d’Irlande [ 1720]; Lettre de conseils à un jeune poète [1721]; Lettres du drapier (1724-1725); Cadenus et Vanessa; Voyages de Gulliver ; Vue sommaire sur l’Etat de l’Irlande , Journal d’une dame moderne et Modeste Proposition pour empêcher les enfants des pauvres en Irlande d’être à la charge de leurs parents ou de leur pays (1729); Sur la poésie [1733];Ouvrages poétiques [1736]; La Conversation polie (1738); Vers sur la mort du Doyen Swift, écrits par lui-même [Verses on the Death of Doctor Swift by himself, 1739]; Pensées libres sur l’état présent des affaires [1741]; Sermons [Sermons, 1744]. Après la mort de Swift, on publia le Sermon sur la difficulté de se connaître (1745), les Instructions aux domestiques (1745) et l'Histoire des quatre dernières années de la reine Anne [1758]. Au cours de ses voyages en Angleterre, il voyait ses amis Pope, Gay, Walpole. Le dernier de ses séjours eut lieu en 1727. Après cette date, Swift ne quitta plus l’Irlande. Swift, né de parents anglais, n’aima peut-être pas dès l’abord l’Irlande. Mais, le temps de l’exil étant venu, non seulement il se résigna, mais encore fit de son mieux pour ne pas décevoir ceux qui dépendaient de lui. Il avait besoin de travailler, d’agir, de commander. Le poste qu’il occupait à Dublin le mit à même de jouer un rôle important et il eut vite conquis l’estime, puis l'admiration des Irlandais. Non seulement il sut administrer St. Patrick avec intelligence et énergie, mais aussi — il avait des droits et des devoirs de magistrat sur toute une partie de la population qui logeait aux abords de la cathédrale — s’attirer la reconnaissance de beaucoup d’humbles familles. Avec celles-ci, il eut sous les yeux la misère irlandaise; il tenta de la comprendre, d’en trouver les causes, pour la soulager. La Proposition pour l’usage universel des produits d’Irlande et les Lettres du drapier sont de véritables actes politiques qui contribuèrent à donner aux Irlandais confiance en eux-mêmes, et ne furent pas sans influence sur le gouvernement anglais. On comprend alors qu’en 1726, revenant d’Angleterre, il ait reçu un accueil triomphal, qu'en 1735 toute l’Irlande ait célébré son anniversaire et qu’un de ses biographes écrive : « Quand il mourut, le 19 octobre 1745, tout Dublin se porta à sa maison, menant un deuil comme seuls les Irlandais pouvaient le faire. Dans la chambre du mort, on s’arracha les mèches de ses cheveux. Et tous se montraient si désireux d’emporter des reliques, à quelque prix mie ce fût, qu’en moins d’une heure sa vénérante tête fut dégarnie entièrement de sa chevelure argentée et qu’il ne lui restait plus un cheveu. » (Sheridan.) Swift et l’amour : à qui connaît 1e Journal à Stella et quelques lettres du Doyen à Stella et à Vanessa, il apparaît que le plus grand tourment de Swift (et le seul) fut d’ordre sentimental. Premier personnage du drame : Stella. En 1689, chez Sir William Temple, il avait été chargé d’apprendre à lire et à écrire à Esther Johnson. Quand Stella devient une jeune fille, Swift l’aime. Longue et constante correspondance. En 1702, Stella le rejoint en Irlande, où pendant tes voyages de l’écrivain en Angleterre, elle s’occupera de son intérieur, logeant, lorsqu'i1 est là, dans une autre maison. En 1700, elle fit pour la première fois un voyage à Londres où elle revit Swift. C’est après le retour de la jeune fille en Irlande qu’il écrivit les lettres qui composent 1e célèbre Journal à Stella. Ces lettres constituent à elles seules un des chefs-d’œuvre de la littérature amoureuse. En 1716, deux ans après son exil, Swift épouse secrètement Stella (le fait est contesté par quelques historiens). En janvier 1728, Stella meurt. Swift refuse jusqu’au dernier moment de reconnaître 1e lien qui l’attache à elle. Deuxième personnage : Vanessa. Son vrai nom est Esther Vanhomrigh. Swift fait sa connaissance à Londres en 1710. Il dirige ses études. Elle l’aime, lui fait une déclaration d’amour, à laquelle il répond par un poème (Cadenus et Vanessa) sans dire clairement qu’il accepte cet amour qui s’offre à lui. Vanessa, en 1714, devient orpheline et s’installe à Dublin. Intimité, échange de lettres. Celtes de Vanessa sont passionnées, celles de Swift seulement amicales, familières, plaisantes. Mais il n’y a guère de doute à avoir quand on a lu certains de ces textes : Swift et Vanessa étaient amants. En 1722, Vanessa apprit 1e mariage secret avec Stella (ou, du moins, si 1e mariage n’a pas eu lieu, tes liens amoureux de cette dernière, avec Swift). En juin 1723, elle mourut, après une rupture précédée par des scènes violentes. Morte de chagrin ? Presque tous ceux qui ont parlé de ce drame l’ont écrit. En 1738, Swift avait eu des symptômes de graves troubles mentaux. Ceux-ci cessèrent, puis s’aggravèrent. En 1742, ils devinrent terribles : Swift tomba dans une apathie à peu près totale et jusqu’à sa mort (octobre 1745) n’eut plus que de très brefs éclairs de lucidité. L'âge classique anglais — la première moitié du XVIIIe siècle — a de grands écrivains. Aucun ne fut plus grand que Swift. Il a donné à la polémique et à la satire la force du génie, il a témoigné dans quelques grandes querelles et quelques grands moments de la politique anglaise; il a parlé pour l’Irlande et il a parle pour lui-même, dans le Journal à Stella. Comment, au travers des œuvres, définir son génie ? Par la lucidité, d’abord. Une lucidité à base d’amertume, de sévérité pour soi-même et pour l’homme, d’ambition déçue aussi : il avait soif de puissance et aurait voulu recevoir plus qu'il n’a reçu. Cette lucidité, ce sens critique dont la racine se découvre dans le sursaut d’un esprit blessé, insatisfait, servent à la dénonciation des fausses valeurs : tout ce qui n’est pas honnête, rationnel, vrai, juste, dans la politique, la morale, la littérature, la religion, les rapports humains. 11 n’aime pas la logique — artificielle — ni la science — trompeuse — ; il refuse toute convention, frappe de la même main (que l’intérêt peut parfois conduire bien sûr) à sa droite et à sa gauche. Partial souvent mais rarement — sinon jamais — homme d’un parti, il garde avec les puissances la liberté d’un homme qui se veut mené par la seule raison. Sa sensibilité, son instinct, cette impitoyable raison ne les étouffe pas. Grâce à l’une et à l’autre, ses écrits dépassent en signification les simples écrits de combat. II reste humain. C est aussi que Swift n’oublie rien : pas plus le corps que lame. Réaliste, il l’est jusqu’à la scatologie. Apre, sobre, amer, passionné, pathétique; tout cela ensemble. Une œuvre corrige l’autre, le Journal à Stella humanise la géométrie sévère de Gulliver. Toujours, il a refusé l’illusion. Table rase mentale, comme Descartes, d’abord. Mais aussi après les plus grands élans, scepticisme et froide simplicité devant la mort des femmes qu’il a aimées. Swift, ou le besoin de la vérité à tout prix. Homme de religion et de foi, il est allé dans l’examen critique de l’homme et des raisons de vivre jusqu’à l’extrême limite, jusqu’au moment où un coup de pouce imperceptible suffirait pour balancer la foi même et faire tomber l’homme dans le scepticisme absolu, le pessimisme total. Dans sa vie, il semble avoir refusé les extrêmes, gardé le milieu entre le danger de la sincérité totale et la honte du conformisme. Son humour est à base de misanthropie, d’amertume, de fureur froide. La parodie est son moyen le plus fréquent, qu’il s’agisse de l’ironie railleuse des Instructions aux domestiques ou de la démonstration logique, imperturbable — implacable — de la Modeste Proposition. Une verve rageuse, un irrespect total, une moquerie universelle, la voix même de l’intelligence se dressant contre la sottise et la lâcheté, voilà le fond. L’humour est parfois dépassé, qui suppose le détachement. Et l’humanisme de Swift se découvre, dans les petites œuvres comme dans les grandes. Encore une fois, il s’agit d’un homme, plus sans doute que d’un auteur. Toujours contradictoire et sans système s’il n’est pas sans rigueur, c’est un grand vivant. Il ne révèle pas dans ses écrits une vérité unique — et sa vérité personnelle, intime, ne se définit pas par une seule formule. Peut-on dessiner de lui un portrait cohérent? Sans doute pas. Comme tous les grands vivants il reste, pour toujours, équivoque.
« Jonathan Swift. »
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