John Millington Synge
Publié le 09/12/2021
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C’est à Lugné-Poe, directeur du Théâtre de l'Œuvre, que l'on doit la révélation en France de John Millington Synge. Après Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ; La Lépreuse de Henry Bataille ; Ubu roi de Jarry, et avant Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, Lugné-Poe monta en 1913 Le Baladin du monde occidental. Le "découvreur" de tant d'œuvres originales est bien oublié aujourd'hui, cela pourrait donner à réfléchir une fois de plus à la gloire éphémère des gens de théâtre. Au lendemain de la générale du Baladin, Guillaume Apollinaire écrivait dans Les Soirées de Paris : "Le Théâtre de l'Œuvre s'est honoré en donnant The Playboy of the Western World. A New York, cette pièce causait des émeutes parmi les Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces personnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises, et c'étaient les agents de police qui devaient intervenir pour faciliter la représentation d'une pièce qu'ils détestaient autant que le faisaient les autres spectateurs, leurs compatriotes. A Paris, ce fut l'indifférence, sauf de la part des poètes qui furent vivement frappés par ce rire nouveau et tragique ; c'est que les poètes ont toujours plus ou moins tué leur père, mais c'est une chose bien difficile, témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la générale, je me disais : Trop de pères, pas assez de fils." "Après que j'eus assassiné mon pauvre père et que je l'eus mangé", se serait écrié Baudelaire, en entrant dans un restaurant. Mais je doute fort que cette boutade ait pu inspirer Synge. Pas assez de fils, disait Guillaume Apollinaire. C'était en 1913, juste avant l'autre guerre. Un gamin de quinze ans vivait alors dans une arrière-boutique de banlieue, sur les hauteurs de Suresnes ; il ne rêvait que de théâtre et de poésie. C'est par un bien grand hasard qu'un numéro du journal Commedia lui tomba entre les mains, qu'il put lire Le Baladin dans l'adaptation de Maurice Bourgeois, et qu'il put découper et épingler les photos des acteurs de la création sur les murs de son arrière-boutique où il dormait dans un lit-cage à la lueur du gaz baissé tout bleu, baigné dans un clair-obscur peut-être semblable à celui dans lequel se passait l'action du Baladin.
C’est à Lugné-Poe, directeur du Théâtre de l'Œuvre, que l'on doit la révélation en France de John Millington Synge. Après Pelléas et Mélisande de Maeterlinck ; La Lépreuse de Henry Bataille ; Ubu roi de Jarry, et avant Le Cocu magnifique de Fernand Crommelynck, Lugné-Poe monta en 1913 Le Baladin du monde occidental. Le "découvreur" de tant d'œuvres originales est bien oublié aujourd'hui, cela pourrait donner à réfléchir une fois de plus à la gloire éphémère des gens de théâtre. Au lendemain de la générale du Baladin, Guillaume Apollinaire écrivait dans Les Soirées de Paris : "Le Théâtre de l'Œuvre s'est honoré en donnant The Playboy of the Western World. A New York, cette pièce causait des émeutes parmi les Irlandais qui ne voulaient point reconnaître dans ces personnages si singulièrement lyriques des âmes irlandaises, et c'étaient les agents de police qui devaient intervenir pour faciliter la représentation d'une pièce qu'ils détestaient autant que le faisaient les autres spectateurs, leurs compatriotes. A Paris, ce fut l'indifférence, sauf de la part des poètes qui furent vivement frappés par ce rire nouveau et tragique ; c'est que les poètes ont toujours plus ou moins tué leur père, mais c'est une chose bien difficile, témoin le Playboy, et voyant la salle le jour de la générale, je me disais : Trop de pères, pas assez de fils." "Après que j'eus assassiné mon pauvre père et que je l'eus mangé", se serait écrié Baudelaire, en entrant dans un restaurant. Mais je doute fort que cette boutade ait pu inspirer Synge. Pas assez de fils, disait Guillaume Apollinaire. C'était en 1913, juste avant l'autre guerre. Un gamin de quinze ans vivait alors dans une arrière-boutique de banlieue, sur les hauteurs de Suresnes ; il ne rêvait que de théâtre et de poésie. C'est par un bien grand hasard qu'un numéro du journal Commedia lui tomba entre les mains, qu'il put lire Le Baladin dans l'adaptation de Maurice Bourgeois, et qu'il put découper et épingler les photos des acteurs de la création sur les murs de son arrière-boutique où il dormait dans un lit-cage à la lueur du gaz baissé tout bleu, baigné dans un clair-obscur peut-être semblable à celui dans lequel se passait l'action du Baladin.
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