Jean Paulhan
Publié le 09/12/2021
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Jean Paulhan
Jean Paulhan est né à Nîmes.
En 1907, il est professeur de Lettres à Madagascar, puis il devient chercheur d'or.
En 1912, il est nomméprofesseur de langue malgache à l'École des Langues orientales, à Paris.
Un an plus tard, il publie une étude sur la poésie malgache :Les Hain-Tenys Merinas.
Ce premier livre comprend une partie qui traite de ce qui sera désormais au centre de l'oeuvre de JeanPaulhan : les rapports entre la pensée et le langage, entre l'expression poétique et ce qu'on appelle l'inspiration, bref à l'importance dela rhétorique.
Que la réflexion de Jean Paulhan s'applique à la littérature ou à la vie même : guerre, justice, résistance, ce à quoi elle s'oppose c'estque l'on prenne, ou feigne de prendre, la paille pour le grain, comme il dit, que l'on confonde l'une avec l'autre par un subterfuge, ouune maladresse du langage.
C'est pourquoi toute son oeuvre est un patient effort, d'une rigueur exemplaire, pour tenter de libérerl'homme de la sujétion des mots.
Alors qu'on aurait pu croire qu'une telle recherche était l'une des plus abstraites qui soient, les événements, l'expérience ont prouvéque cette méthode pouvait trouver une application immédiate quand elle s'exerce sur les conflits qui déchirent les hommes ; elle jettesur les guerres et les révolutions une lueur étrange à force de clarté.
Ce n'est pas l'aspect le moins étonnant de cette pensée, en apparence la plus désintéressée des contingences, car il lui arrive, quandl'action l'entraîne dans la mêlée de s'adapter exactement aux problèmes que le hasard lui propose, avec infiniment plus de logique etde force que celle des sociologues, des juristes, des hommes politiques et des écrivains qui se flattent d'être "engagés".
Son bon sensfait scandale, tant il est vrai qu'il n'est pas aussi communément partagé qu'on veut bien le dire.
L'étonnement de Paulhan vient de là,lorsqu'il découvre à quel point ce qui lui semblait aller de soi est peu compris.
Cela va parfois jusqu'à lui donner quelque chose d'égaré,comme il arriverait à quelqu'un qui, disant le plus évident, ne verrait autour de lui que des visages souriants, gênés ou indulgents.
Pourtant, il a presque toujours raison contre tous, car sa logique est plus rigoureuse que la nôtre, dont nous nous contentons.
Quand illui arrive de polémiquer, il laisse son contradicteur sans réplique, lui fermant toute échappatoire.
D'où vient donc le malentendu au sujet de son oeuvre ? C'est que Paulhan n'use pas du langage ordinaire, que parlant de politique, parexemple, il se sert de l'image d'un théâtre en flammes afin de démontrer qu'en chacun de nous le fasciste, le communiste, ledémocrate, le monarchiste voisinent, se succèdent en un instant.
En le lisant on se demande pourquoi personne ne s'était avisé de direcela avant lui ; les faits le démontrent, mais qui se soucie des faits ? Paulhan excepté.
Ce qui le trouble le plus peut-être, c'est la diversité qu'il voit en l'homme ; paradoxalement, c'est ce que certains lui reprochent, d'êtreplus que quiconque divers.
Alors qu'il fait un effort, je dirai presque dramatique, pour être compris, on le prétend obscur ; et tandis qu'ilva au fond des problèmes qu'il traite, on l'accuse de demeurer à la surface.
Quoi d'étonnant si les questions de langage le passionnent?
Pourquoi les hommes ont-ils tant de difficulté à se comprendre ? C'est là ce qui l'obsède, toute son oeuvre en témoigne.
Il revient sanscesse là-dessus.
Il pense que cette clef du langage il la trouvera, il la forgera à force de patience, d'application, de ténacité.
Depuis son premier livre jusqu'à son dernier, sur Saint-John Perse, cette recherche de la pierre philosophale de la sémantique est aucoeur de l'oeuvre paulhanienne.
Si les hommes, pense-t-il, commençaient à s'entendre sur les mots, à leur donner un sens commun, àcomprendre exactement de quoi ils parlent, leurs divisions s'atténueraient, tendraient à disparaître.
Jean Paulhan raisonne d'une manière socratique, procédant par élimination, épuisant les hypothèses pour conduire le lecteur au termede la réflexion qui lui était proposée.
On l'accuse de brouiller sans cesse le jeu, ce qu'il fait en effet en refusant les règles imposées parla routine, que nous suivons par paresse ou par ce qu'il est convenu d'appeler conformisme ; on sait que celui-ci peut prendre lesaspects les plus inattendus.
La voix de Paulhan a un son discordant ; elle gêne ceux qui sont assis autour de la table et serrent dans leurs mains les vieilles cartes,sans s'être jamais demandé si elles ne sont pas biseautées.
Ce qu'on nomme en lui le goût du paradoxe consiste presque toujoursdans le rappel de vérités évidentes et subtiles à la fois, si parfaitement oubliées ou méconnues que leur énoncé prend une allure deprovocation.
Et c'en est une, à n'en pas douter.
Comment continuer à jouer avec une bonne conscience si quelqu'un est derrière vousqui dénonce à tout coup la sottise des conventions admises par chacun ? On lève la tête, gêné, un court instant, mais la passion,l'humeur reprenant leurs droits, l'unanimité se fait vite contre l'interrupteur.
Où irions-nous, grand Dieu, si nous devions sans cesseremettre en cause le bien-fondé de notre pensée !
Jean Paulhan a publié pendant des années, dans la Nouvelle Revue Française, le "Carnet du Spectateur".
Spectateur d'une étrangesorte.
Il lui suffit d'écrire une "Lettre à un jeune partisan" pour que les valeurs politiques les plus communément admises se vident deleur substance, qu'elles paraissent dérisoires.
Il n'est personne d'autre qui puisse ainsi, en quelques pages, mettre en évidence uneconfusion aussi parfaitement établie, universellement acceptée ; plus grave encore : dans laquelle chacun semble se complaire.
Quelhomme de bonne foi ne se sentirait troublé en lisant cette "lettre" ? Tout à coup, au-dessus des clans à la fois rivaux et complices, unevoix s'élève et montre le peu de sérieux de la dispute, de quel désordre du langage et des idées elle naît.
Nietzsche distingue plusieurs sortes de courages ; je ne suis pas loin de croire que Paulhan les a tous : celui devant les hommes etcelui "devant le papier".
Rien ne l'arrête, aucune pudeur, aucune concession, aucun tabou de quelque espèce qu'il soit.
A sa façon, quiparaît faussement insinuante et douce, et qui est en réalité obstinée, il s'avance vers la vérité, et quand il la tient rien ne peutl'empêcher de la dire.
C'est là, me semble-t-il, sa plus grande jouissance.
C'est pourquoi aussi son oeuvre est un objet de scandale.Elle exige de la patience, de l'attention, je dirai même une sorte de complicité ; c'est à ce prix qu'elle livre son secret et sa vertu à nulleautre comparable..
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