Jean ONIMUS, La communication littéraire -Culture et savoir, 1970.
Publié le 30/06/2020
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« « En face de la culture traditionnelle embarrassée de son passé et incapable de se renouveler, se développe dans une sorte de barbarie, de vide culturel, le rigoureux conditionnement des esprits et des curs que provoque l'éducation technique et scientifique. Cette formation, commencée dès le lycée (en concurrence triomphante avec les cours de littérature), retient ensuite, pendant les années cruciales, toute l'attention des adolescents. On ne saurait exagérer son influence, non seulement sur le fonctionnement et le conditionnement des intelligences, mais sur le comportement tout entier. L'intellect mis au service des lois de la nature se révèle bientôt aliénant; il absorbe peu à peu les énergies spirituelles et empêche les consciences de s'intérioriser. Quand on n'a l'occasion d'utiliser du matin au soir et pendant toute sa vie que « l'esprit de géométrie », on finit par perdre contact avec -soi-même et avec les autres, on tend à devenir un robot, entièrement voué au démontage et au montage de mécanismes abstraits. Aussi la formation scientifique et technique intensive n'est-elle pas moins déformante et sclérosante (mais dans un sens bien différent) que la culture traditionnelle. Ne s'intéressant qu'aux mécanismes, elle remplace la participation par la théorie : c'est pourquoi elle peut voisiner avec un vide culturel. La culture elle-même n'est, de son point de vue, qu'un objet d'analyse parmi les autres : elle la dévore sans s'en nourrir car rien ne résiste à sa boulimie, à sa formidable puissance d'absorption. Elle possède l'efficacité et la puissance : l'axe de recherche du monde actuel, le front de sa pro-gression est scientifique et technique ; ce qui relève de la culture apparaît, de ce point de vue, comme marginal, activité ludique, réservée aux loisirs, sans effet réel sur la qualité pratique de l'existence. La culture, c'est l'ensemble des idées vagues, des sentiments confus, des phrases redondantes, quelque chose, finalement, d'assez creux ou de simplement joli, alors que la science se situe dans le solide, le net, l'incontestable. Elle est au centre. Les religions, les philosophies, les arts et les lettres ne font pas le poids : ils divertissent ou servent d'alibi à l'ignorance et à l'impuissance, refuges commodes d'où l'on se permet de critiquer ce qu'on n'est pas capable d'atteindre. De telles perspectives, qui ne sont pas évidemment celles des vrais savants, mais qu'on rencontre trop souvent chez ceux qui n'ont qu'une pseudo-culture scientifique, sont catastrophiques pour l'avenir. Elles annoncent une métamorphose ou plutôt une mutilation de l'humanisme, lequel, laissant en friche ce qui concerne la vie concrète, affective et sensible, ne concernerait plus que l'interprétation correcte et objective des phénomènes, leur maîtrise et leur manipülation. Humanisme moins pratique que positiviste, uniquement occupé à développer la connaissance abstraite et refusant par principe tout autre mode d'approche du réel. Tel est actuellement le type de culture qui forme (ou déforme) la majorité des esprits ; son voisinage et son prestige agissent puissamment sur les lettres, les arts et les philosophies, développant, au détriment de la participation et de la communication concrète, une compréhension toute extérieure des choses et des êtres. Il en résulte une distance croissante et pour les adolescents une distorsion qu'on peut bien qualifier de tragique entre les conditionnements qu'imposent ces deux cultures. La culture traditionnelle, désormais sans prise authentique, apportait ce qui est indispensable pour accepter la vie, tout particulièrement la vie en société : elle fournissait des valeurs à admirer, des motifs de ferveur, des occasions de réflexion, de recueillement et de personnalisation. Il lui arrivait de donner des raisons de vivre. L'autre, en acclimatant les esprits aux objets abstraits, aux méthodes universelles, à la prose, les décentre, lés tourne vers l'extérieur, vers les choses, II est fatal que l'individu, pris au piège de la rationalité, séparé de la matrice où mûrissent les rêves, les enthousiasmes et les amours, se sente seul, accablé par le poids de l'absurdité globale. Pareille situation tend à provoquer, selon les cas, soit des révoltés plus ou moins désespérés,-soit des robots satisfaits. » Jean ONIMUS, La communication littéraire -Culture et savoir, 1970. ...»
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