Jean-Jacques Rousseau, Julie ou la Nouvelle Héloïse [1761], 6e partie, lettre VIII, GF Flammarion, 1967, p. 527-528.
Publié le 02/11/2022
Extrait du document
«
Explication texte de Rousseau
["Tant qu'on désire on peut se passer d'être heureux; on s'attend à le devenir: si le bonheur ne
vient point, l'espoir se prolonge, et le charme de l'illusion dure autant que la passion qui le
cause.
Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquiétude qu'il donne est une sorte de jouissance
qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être.][ Malheur à qui n'a plus rien à désirer ! il perd
pour ainsi dire tout ce qu'il possède.
On jouit moins de ce qu'on obtient que de ce qu'on espère
et l'on n'est heureux qu'avant d'être heureux.
En effet, l'homme, avide et borné, fait pour tout
vouloir et peu obtenir, a reçu du ciel une force consolante qui rapproche de lui tout ce qu'il
désire, qui le soumet à son imagination, qui le lui rend présent et sensible, qui le lui livre en
quelque sorte, et, pour lui rendre cette imaginaire propriété plus douce, le modifie au gré de sa
passion.
II Mais tout ce prestige disparaît devant l'objet même; rien n'embellit plus cet objet aux
yeux du possesseur; on ne se figure point ce qu'on voit; l'imagination ne pare plus rien de ce
qu'on possède, l'illusion cesse où commence la jouissance.
Le pays des chimères est en ce
monde le seul digne d'être habité, et tel est le néant des choses humaines, qu'hors l'Ètre
existant par lui-même il n'y a rien de beau que ce qui n'est pas"
.Jean-Jacques Rousseau,La Nouvelle Héloïse (1761), partie VI,Éd...
Flammarion
Introduction:
Dans ce texte extrait de son Roman La nouvelle Héloïse, Rousseau aborde les thèmes du désir
et du bonheur.
La thèse qu'il y développe est tout à fait surprenante : en effet, pour lui, et
contrairement à la définition que l'on en donne habituellement, le bonheur ne consiste pas dans
l'accomplissement du désir ni dans l'obtention de son objet, mais dans la jouissance procurée
par l'expérience du désir lui-même.
Pour défendre cette idée, Rousseau propose une
argumentation en trois temps qui radicalise au fur et à mesure sa définition du bonheur.
Dans
un premier temps.
il pose sa thèse : le désir et l'espoir qui l'accompagne nécessairement sont
présentés comme ce qui permet de pallier l'absence de bonheur réel.
Bien plus qu'un pis-aller,
le désir devient, dans un second temps où Rousseau précise son propos, un impératif, une
nécessité pour l'homme qui grâce à son imagination fait de son objet une « quasi » réalité.
Enfin, dans un troisième temps, puisque le désir de réussite engendrerait davantage de
bonheur que la réussite elle-même, la conclusion du texte souligne la déception provoquée par
l'obtention de l'objet du désir.
On est donc plus heureux dans l'illusion d'un bonheur à venir, et
donc dans l'épreuve du désir que dans sa réalisation.
Le problème que Rousseau s'est donc
posé est celui-ci : Où se situe le vrai bonheur : dans le désir ou dans la réalisation de celui-ci ?
Première partie
Dans cette première partie, qui amorce la réflexion de Rousseau, le désir est compris comme
ce qui pallie l'absence de bonheur.
« Tant qu'on désire on peut se passer d'être heureux ».
Cette phrase, qui introduit le texte de Rousseau est à la fois paradoxale et surprenante.
Le désir
y est présenté comme le substitut d'un bonheur qui n'est, pour l'heure, qu'une éventualité.
Deux
concepts s'y opposent : Le désir d'une part et le bonheur d'autre part.
Comment définir le
bonheur sinon comme un état de plénitude et d'accomplissement ? C'est du moins la
conception usuelle que nous avons.
L'individu heureux est ou bien celui qui a réussi à satisfaire
ses désirs, celui chez qui le rêve a rejoint la réalité ou bien celui qui est suffisamment sage pour
renoncer à des désirs non réalisables et qui atteint de ce fait une certaine forme d'ataraxie,
d'équilibre sans vouloir plus que ce qu'il peut obtenir.
Or est-ce là une définition satisfaisante du
bonheur ? Cet état d'équilibre, d'harmonie et de plénitude est-il envisageable et durable ?
Rousseau répond par la négative.
Il considère en effet qu'il y a un gouffre entre l'image que l'on
peut se faire d'une vie heureuse et sa réalité.
Mais si le bonheur comme état de plénitude est
un leurre, cela ne signifie pas pour autant qu'il faille y renoncer.
En effet la conception habituelle
que l'on en a est inadéquate.
Le bonheur est ailleurs, bien plus dans la quête que dans le
résultat.
C'est pourquoi le désir est d'emblée présenté comme un palliatif de ce bonheur dont le
contenu est si difficile à cerner : « on peut se passer d'être heureux » dès lors que Pon est
capable de désirer.
Le palliatif.
par définition, permet un réconfort temporaire.
Il provoque un
état qui s'approche du bonheur, il propose une réalité virtuelle plus douce qui remplace un
temps la réalité vraie.
« Ainsi cet état se suffit à lui-même, et l'inquiétude qu'il donne est une
sorte de jouissance qui supplée à la réalité, qui vaut mieux peut-être »
A l'instar du bonheur, Le désir ne dit pas la plénitude et la perfection mais ce qui tend vers cette
plénitude et cette perfection.
C'est pour cela que l'individu qui désire est un individu « inquiet ».
L'étymologie du désir est à ce sujet tout à fait éclairante : désir vient de desiderare qui a pour
racine le latin sidus, étoile.
Désirer signifie littéralement « avoir la nostalgie d'une étoile».
Ainsi
le désir se comprend essentiellement en fonction du manque, de la souffrance liée à ce manque
et aussi de la perspective d'un bien à venir susceptible de le combler.
Le désir tend done vers la
perfection et le bonheur serait la conséquence de sa réalisation.
L'inquiétude désigne ainsi la
tension qui pousse l'individu à atteindre ce bonheur.
On peut donc considérer que le désir est la
marque d'une perfectibilité propre à l'homme : ce demier ne cesse de chercher à améliorer sa
condition, il est de son essence même d'en vouloir toujours plus.
Il est vrai que le désir, une fois
satisfait, ne cesse de renaitre sous une forme ou sous une autre.
Si le propre de l'homme est sa perfectibilité, si l'homme est par définition un animal perfectible
et donc un animal de désir, c'est alors un non-sens que de vouloir faire du bonheur la fin, le but
de la vie humaine.
D'emblée Rousseau s'oppose à cette approche eudémoniste de la vie.
Ce
qui ne signifie pas que le bonheur n'est pas l'objectif de cette dernière.
Simplement Rousseau
décentre et renverse la définition classique du bonheur: le bonheur n'est pas dans l'obtention de
l'objet du désir, source d'insatisfaction comme nous le verrons par la suite, mais dans le désir
lui-même, dans l'épreuve du désir, dans « l'attente».
dans « l'espoir ».
Comme l'androgyne
dans le discours d'Aristophane (Le banquet, Platon), être incomplet, figure blessée à la
recherche de sa moitié perdue, l'homme est dans cette quête un eternel déçu, un eternel
frustré, un etemel insatisfait.
Or cette inquiétude s'accompagne, paradoxalement, de plaisir.
Celle-ci peut se comprendre comme une « souffrance heureuse »..
Qu'est-ce que « l'espoir »
sinon le fait d'un étre qui a conscience de sa misère et qui cherche à la dépasser dans la
perspective d'un avenir meilleur ? Car l'espoir est déjà une fin en soi : celui qui espère est dans
un élan de vie qui est le contraire même du renoncement.
Celui qui renonce est dans un état où
la volonté n'a plus sa place.
Il est clos sur lui-même.
Le renoncement se présente comme le
pendant de la conception classique du bonheur envisagée par Rousseau où celui-ci est
plénitude, achèvement.
« On peut done se passer d'être heureux », se passer de réaliser ses
désirs car précisément on est dans une autre forme de bonheur, un bonheur qui est émanation
de la « passion ».
littéralement de la souffrance liée à ce que l'on n'a pas.
Mais cette passion
humaine n'engendre pas la passivité, le renoncement mais bien plutôt l'action.
l'eternel
dépassement de soi.
le perfectionnement.
Or cette « souffrance heureuse » fruit de l'illusion est
aussi un état.
un « charme ».
Qu'est-ce que le charme ? L'envoutement, le sortilège, la griserie
indescriptible liée à un lieu, à un état, à une personne.
Le plaisir de l'ineffable, de l'évanescent,
de ce qui est là sans pouvoir être saisi.
Or qu'est-ce qui provoque ce « charme» puisque l'objet
du désir n'est pas atteint, puisque le bonheur envisagé n'est pas encore une réalité? Et bien
c'est une réalité à distance de la réalité, une surimpression, une projection d'une réalité qui est
un possible mais qui n'a pas encore d'effectivité.
L'« illusion » est alors un « comme si ».
un
simulacre du monde réel.
un théâtre d'ombres qui est l'ensemble des reflets et des images que
mon désir projette sur l'écran ou les parois d'un avenir possible.
Et il y a.
nous l'avons tous
vécu.
une excitation, un plaisir lié au manque et à la perspective de le voir comblé.
Or ce que propose Rousseau c'est de justement situer le bonheur non pas dans la réalisation
du projet mais dans le projet lui-même; L'homme est par définition un étre qui se projette, qui
anticipe le résultat avant qu'il soit effectif, autrement dit qui fait preuve d' « imagination ».
Imaginer consiste à créer une réalité à côté de la réalité.
un double fantomatique.
trompeur,
mystificateur mais de « valeur » néanmoins car....
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