Jean Giono, Le Hussard sur le toit, ch. 6 : Bien longtemps avant que le soleil se lève, une petite cloche se mit à sonner dans les collines...

« Introduction Toute une partie du roman de Jean Giono Le Hussard sur le toit se déroule sur les toits ou dans les greniers deManosque, où le héros, Angelo Pardi, jeune colonel de hussards piémontais, s'est réfugié, poursuivi par des habitantsqui l'accusent d'avoir empoisonné une fontaine, lors de l'épidémie de choléra de 1838.

Or, un toit est un lieud'observation privilégié : de là Angelo peut voir une partie de la ville à ses pieds, et plus loin la campagneenvironnante.

La scène qui est présentée dans cet extrait se passe précisément simultanément dans ces deux lieux.Le regard d'Angelo est à la fois celui d'un témoin objectif mais aussi un oeil critique qui permet au romancierd'exprimer son propre point de vue. I.

Le reportage. Angelo joue en quelque sorte le rôle d'un journaliste qui raconterait un événement qui se passe sous ses yeux.

Il vatenir compte à la fois de la chronologie, de la topographie et du déroulement de l'action, et il essaiera de fairepartager les impressions qu'il ressent. 1.

La chronologie. L'heure à laquelle commence le récit est d'ailleurs déterminée par l'insomnie ou le demi-sommeil d'Angelo, couchéinconfortablement sur des sacs sur un toit en pente : « Les premières lueurs du jour » lit-on dans le paragraphe quiprécède cet extrait, « lui apportèrent un grand soulagement ».

On peut suivre ensuite la chronologie desévénements :— à la fin de la nuit, « Bien longtemps avant que le soleil se lève...

», bruit de la cloche ;— à l'aube, «La lumière encore relativement limpide...

», description de la colline à l'ermitage ;— plusieurs notations temporelles : «Au bout d'un moment...

» ; « longtemps » ; « enfin » ; elles sont peu précisesmais correspondent à la notion du temps qui s'écoule chez Angelo ;— une simultanéité : « pendant que...

» [marche de la procession] « le soleil se leva d'un bond...

» ; nous avançonsdans la matinée ;— la fin du récit, imprécise également, « la cloche [...] continua à sonner puis elle se tut » ;— enfin, la dernière phrase annonce ce qui se passe pendant toute la journée qui suit (et que les pages suivantesdu roman décrivent).Il s'agit donc ici d'une séquence temporelle fermée sur elle-même, mais il y a dans l'esprit d'Angelo une mise enrapport de cette séquence avec l'ensemble du récit principal. 2.

Les deux théâtres de l'action. a) La colline et l'ermitage.Nous avons dans cette description un phénomène de focalisation interne : le paysage, la situation sont vus non pasà travers le regard du romancier omniscient et doué du don d'ubiquité, mais à travers celui du personnage ; noussommes guidés par lui.

Et ici ce regard procède à un « cadrage » — comme l'on dit en photographie ou au cinéma —de plus en plus serré ; la direction du regard est déterminée par le bruit, c'est la cloche qui attire l'attentiond'Angelo, il regarde « de ce côté-là » et découvre (fait découvrir au lecteur) les collines, paysage typique de larégion de Manosque, souvent décrit dans le roman, en particulier au début, où Angelo parcourt la campagne.

Puis lerétrécissement progressif du champ focal continue : des collines on passe à « une éminence couronnée de pins »,puis à l'ermitage.

Enfin le regard se déplace légèrement vers « le chemin qui y montait en serpentant à travers uneforêt d'amandiers gris » et qui assume la fonction de communication entre l'espace des collines et celui de la ville.De cet univers, de « la lumière encore relativement limpide » qui le baigne, se dégage une impression de calme,d'harmonie naturelle entre la couronne de pins et les amandiers gris.

Mais un détail attire l'attention : la comparaisonde l'ermitage avec un osselet ; comparaison facilement compréhensible si l'on se réfère à la blancheur et à lapetitesse de l'ermitage.

Cependant, la lecture du roman nous montre qu'il s'agit d'une image récurrente dans ladescription du paysage : là « les talus sont brûlés jusqu'à l'os » (p.

131) ; ailleurs «les remparts d'Avignon [sont]comme un thorax de boeuf blanchi par les fourmis » (p.

251) ; ailleurs encore [c'est] « un village couleur d'os » (p.1101).

Toutes ces métaphores ne sont pas sans faire penser à la mort et donc nous renvoyer à l'atmosphèremorbide de cet univers frappé de la terrible épidémie. b) La place et l'église.Quelques pages avant, Jean Giono précise au lecteur l'horizon qu'Angelo pouvait découvrir de son observatoire «laplace de l'église dans son plein et, en enfilade, deux rues qui y débouchaient » (p.

1561).

C'est ce que l'on retrouveici : l'église, la place, ses maisons et les rues.

On remarquera qu'il n'y a pas vraiment description, mais que l'égliseest représentée par ses ouvertures : le vitrail et les portes. 3.

La procession. a) Sa mise en place.Le premier « signe » de ce qui va se passer — et qu'on ne devine pas encore — est l'appel de la cloche de l'ermitage; il semble que ce soit en réponse à cet appel que commence l'agitation près de l'église (on notera la répétition duverbe « commencer »).

C'est par le vitrail qu'Angelo perçoit quelque chose de confus : « une sorte d'agitation quibougeait dans les profondeurs de l'église ».

Le vitrail représente pour lui la frontière entre son univers (les toits) et. »