Jean Antoine Roucher : Les Mois : mars
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
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Jean Antoine Roucher (1745-1794)
Présentation du poète
Destiné à une carrière ecclésiastique, Jean Antoine Roucher quitte Montpellier pour venir suivre des cours à laSorbonne.
Il renonce vite à l'Eglise et se consacre à l'écriture, composant de nombreuses poésies fugitives.
Unepièce de circonstance, composée pour le mariage du Dauphin avec Marie-Antoinette d'Autriche, lui attire lasympathie de Turgot, qui le fait alors nommer receveur des gabelles à Montfort-l'Amaury.
Cet emploi lui laissesuffisamment de temps libre pour qu'il puisse se consacrer à ses travaux poétiques.Il compose alors son œuvre principale, Les Mois, poème en douze chants, parut en 1779.
Lu par fragments dans lessalons avant sa publication, ce poème a un immense succès.
Il s'agit d'une oeuvre inspirée par les recherches deCourt de Gébelin, auteur du monumental MondeRoucher est en effet l'ami des philosophes et en particulier de Jean-Jacques Rousseau.
Il est l'auteur d'unetraduction des Recherches sur la nature et les causes de la richesse des nations du philosophe et économisteécossais Adam Smith, livre qui peut être considéré comme le premier grand traité du capitalisme libéral.
Roucherlaisse inachevé un long poème consacré à Gustave Wasa, monarque suédois qui inspira aussi Alexis Piron.
D'abordfavorable à la Révolution, il en dénonce ensuite les excès.
Incarcéré deux fois et relâché sous la Terreur, il est denouveau arrêté en octobre 1793.
Il meurt sur l'échafaud le même jour qu'un autre poète, André Chénier (le 25 juillet1794, soit le 7 thermidor an II).
Les Mois : mars
Grossis par le torrent des neiges écoulées,Les fleuves vagabonds roulent dans les vallées ;Et les rochers de glace aux Alpes suspendus,Sous un ciel plus propice amollis et fondus,Se changent en vapeurs, et pèsent sur nos têtes.
La mer gronde ; les vents précurseurs des tempêtes
Courent d'un pôle à l'autre, et tourmentant les flots,
Entourent de la mort les pâles matelots.
Mais du joug de l'hiver la terre enfin se lasse :
La terre, trop longtemps captive sous la glace,
Lève ses tristes yeux vers le père des mois,
Et frissonnante encor remplit l'air de sa voix :
« Dispensateur du jour, brillant flambeau du monde ;
Des vapeurs, des brouillards perce la nuit immonde ;
Impose un long silence aux aquilons jaloux,
Et rends à mes soupirs le printemps mon époux.
»
C'est semble-t-il avec un sursaut de rage et de violence que l'hiver, au mois de mars, voit la fin de son règne.L'hiver se rebelle contre l'avènement des jours meilleurs.
Il insuffle aux éléments ses dernières forces, comme pourdire au monde qu'il reviendra bientôt et que sa tyrannie n'en sera que plus dure.
Parmi les éléments dont il disposepour créer la terreur, il privilégie l'eau.
Voyant les neiges fondre avec la venue d'un temps plus clément, il lance lesfleuves à la conquête des terres basses : « Les fleuves vagabonds roulent dans les vallées ».
Le verbe « rouler » exprime le mouvement déchaîné de l'eau, tout comme le verbe « courir » exprime celui des vents marins au vers 7.On sent la colère de l'hiver à travers les termes « gronde » et « tourmentant ».
L'auteur renforce encore cette impression de déluge grâce à l'utilisation fréquente des sonorités liquides des [r] et
: « torrent », « fleuve », « glace », « Alpes », « mer », « courent », « flots »...
Du vers 1 au vers 8, nous ne comptons que deux longues phrases entrecoupées de virgules et de points virgules.Leur rythme est saccadé.
Des propositions courtes comme « La mer gronde » (vers 6) alternent avec des propositions plus longues, donnant au lecteur une sensation inconfortable faite de tangage et de roulis, sensationque doivent éprouver les matelots qui apparaissent au vers 8 et que les vents « entourent de la mort ». L'allitération en [y] est mimétique du bruit et de la violence du vent : « fleuves », « vagabonds », « vallée », «.
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