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Publié le 17/05/2020
Extrait du document
«
……
Je survole donc des routes noires de l'interminable sirop qui n'en
finit plus de couler.
On évacue, dit-on, les populations.
Ce n'est
déjà plus vrai.
Elles s'évacuent d'elles-mêmes.
Il est une
contagion démente dans cet exode.
Car où vont-ils ces vagabonds
? Ils se mettent en marche sur le Sud, comme s'il était, là-bas, des
logements et des aliments, comme s'il était, là-bas, des tendresses
pour les accueillir.
Mais il n'est, dans le Sud, que des villes
pleines à craquer, où l'on couche dans les hangars et dont les
provisions s'épuisent.
Où les plus généreux se font peu à peu
agressifs à cause de l'absurde de cette invasion qui, peu à peu,
avec la lenteur d'un fleuve de boue, les engloutit.
Une seule
province ne peut ni loger ni nourrir la France ! Où vont-ils ? Il ne
savent pas ! Ils marchent vers des escales fantômes, car à peine
cette caravane aborde-t-elle une oasis, que déjà il n'est plus
d'oasis.
Chaque oasis craque à son tour, et à son tour se déverse
dans la caravane.
Et si la caravane aborde un vrai village qui fait
semblant de vivre encore, elle en épuise, dès le premier soir, toute
la substance.
Elle le nettoie comme les vers nettoient un os.
(…)
L'ennemi progresse plus vite que l'exode.
Des voitures blindées,
en certains points, doublent le fleuve qui, alors, s'empâte et reflue.
Il est des divisions allemandes qui pataugent dans cette bouillie,
et l'on rencontre ce paradoxe surprenant qu'en certains points
ceux-là mêmes qui tuaient ailleurs, donnent à boire.
Nous avons cantonné, au cours de la retraite, dans une dizaine de
villages successifs.
Nous avons trempé dans la tourbe lente qui
lentement traversait ces villages :
- Où allez-vous ?
- On ne sait pas.
Jamais ils ne savaient rien.
Personne ne savait rien.
Ils évacuaient.
Aucun refuge n'était plus disponible.
Aucune route n'était plus
praticable.
Ils évacuaient quand même.
On avait donné dans le
Nord un grand coup de pied dans la fourmilière, et les fourmis
s'en allaient.
Laborieusement.
Sans panique.
Sans espoir.
Sans
désespoir.
Comme par devoir.
…….
»
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