« Je n'ose plus ni croire ni nier, [...] je n'ai plus d'opinion. Il faut tâcher d'examiner [...], nous raisonnerons après ». Vous expliquerez en quoi cette déclaration illustre l'esprit des Lumières ?
Publié le 08/12/2021
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Le peintre de talent (Nicolas Poussin en particulier) est celui qui parvient à restituer la chair même de son sujet, faisant ainsi oeuvre de naturaliste autant que de créateur ; par la précision de son regard, il participe et convie le spectateur au vaste mouvement d'examen du réel, et par l'attitude esthétique, permet un regard neuf sur la chose, plus juste parce que libéré des soucis et des désirs qui parasitent l'observation courante de l'objet. _ Le recours des Lumières aux formes artistiques se fait plus problématiques lorsqu'on se penche sur le récit : la fiction joue en effet un rôle paradoxal dans le processus d'acquisition du savoir. Le conte philosophique pratiqué par Voltaire, notamment Micromégas, remet en cause l'affirmation de son personnage principal, puisqu'il prétend apporter une connaissance de la vérité à son lecteur, tout en lui présentant des phénomènes fictifs. En ce sens, le verbe « examiner » ne peut ici se limiter à la simple observation du réel, puisque l'esprit de Lumières fait de l'illusion artistique un vecteur essentiel de l'accession à la raison. III : Le préjugé contre le préjugé _ La situation qui pousse Micromégas à adopter une attitude d'examen cache un lourd paradoxe, et se cristallise autour de l'idée de « nature » : la raison doit être toute-puissante, car entre toutes choses, elle est la voix de la nature. Pourtant, l'ironie de Voltaire consiste essentiellement à remarquer que personne ne lui obéit. Quel est donc le sens du travail préconisé par Micromégas, examiner puis raisonner, puisque cette démarche tente de faire apparaître ce qui devrait aller de soi ? Le système des causes et des effets ne s'offre pas au simple observateur, mais doit être explicité aux moyen de procédés qu'on pourrait qualifier de pédagogiques, et qui incluent volontiers le merveilleux, à titre de « vérités hypothétiques ». Dans l'oeuvre de Jonathan Swift, Les voyages de Gulliver présentent ainsi une suite de monde fantasmagoriques, mais dont les éléments obligent le lecteur à manipuler des notions de physique, de politique... La lutte des lumières contre les opinions trop admises ne refusent donc pas leur usage détourné, comme moyens de démonstration par l'absurde, ou de démonstration par la fable.
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La citation est extraite du conte voltairien intitulé Micromégas , et apparaît dans une première lecture comme le manifeste d'une démarche méthodique et structurée, contre l'adoption de l' « opinion » commune, jugée incapable de résister à l'examen attentif.Pourtant, l'entreprise des Lumières, par le recours au verbe « oser » employé négativement, apparaît ici comme paradoxale,puisqu'elle voit dans le positivisme un aveu primitif d'impuissance.
Elle se révèle ainsi être une entreprise de reconstruction des valeurshumaines, qui viendrait remplacer l'attitude de croyance qu'elle aurait d'abord mis à bas.
Il convient cependant de s'interroger sur lesdifférentes possibilités du terme d' « examen », pour se demander si l'activité logique pure peut, à elle seule, fonder l'avènement de laraison comme détermination du vrai et du faux, ou bien si la pensée des Lumières peut ou doit supporter ce que la citation semble àpriori exclure : un travail de l'affectif dans l'acquisition du savoir.
I : Lutter contre l'opinion commune Comment concilier la proposition « je n'ose plus ni croire ni nier » avec les violentes attaques de Voltaire contre l'Eglise (« Ecrasonsl'infâme ! »), et contre toute religion en général ? Le refus de Voltaire ne porte pas tant sur la vérité ou la fausseté de telle ou telledoctrine, mais plutôt sur l'attitude de croyance elle-même.
L'abandon de l'opinion, du jugement sans recherche d'une justification ou del'argument d'autorité, s'intègre dans un mouvement global, au sein duquel le réel s'explique en vertu de ses propres mouvements, etnon au moyen de spéculations sur une autorité ultramondaine._ Voltaire assume ainsi la plus grande partie de la dimension critique du travail des Lumières, et permet ainsi de définir celles-ci, aumoins de façon négative, comme un mouvement déterminé à systématiser les oppositions à l'Eglise et à l'absolutisme, existantes maisdiscrètes depuis le XVIIe siècle.
Ainsi, le Marquis de Sade reprend l'héritage spinoziste de la pensée libertine, et pousse jusqu'au boutde sa logique l'exigence de Micromégas, qu'il investit notamment d'une signification morale : Le mal lui-même ne peut être définitqu'après que l'expérience en aie été faite.
Le mouvement des lumières, avant de se regrouper autour d'affirmations philosophiques,doit être définit comme un vaste mouvement d'expérimentations d'ordre scientifique, esthétique, politique..._ Ainsi compris, le mouvement des Lumières tout entier gravite autour d'une oeuvre qui est en même temps sa condition depossibilité : l'Encyclopédie.
Le projet, essentiellement définit par la collaboration de Diderot et de D'Alembert, en est de regrouper latotalité des savoirs engrangés par l'être humain.
Cette entreprise est déclinée dans les divers oeuvres analogues, telles que leDictionnaire philosophique de Voltaire.
La composition catégorielle de cette forme littéraire répond bien à la primauté, voire à la supériorité de l'examen sur le pur système logique, puisque les articles qui les composent sont à priori purement descriptifs, paropposition à la forme de l'essai.
L'universalité de la Foi doit donc faire face à l'universalité de la connaissance rationnelle etindiscutable.
II : La naissance du rationalisme empiriste _ La pensée des Lumières oppose donc à l'opinion commune, qui trouve sa justification dans la puissance qu'elle exerce sur les esprits,une forme de discours qui n'a plus à argumenter, mais se contente de dresser des constats.
C'est bien au sein du mouvement que seconstruit l'empirisme (d'abord chez Hume), qui fait de la perception l'unique critère de définition du vrai et du faux.
Le rôle del'observation dans l'accession à la connaissance se trouve par la suite discutée par Kant, pour qui cette dernière ne peut apporterqu'une vérité propre à la personne de l'observateur, et échoue à faire du discours scientifique un discours universel.
En ce sens,l'attitude de Micromégas peut-elle servir de point de départ à un avènement global de la raison sur les sociétés humaines ?_ L'aspect esthétique du parti pris empiriste des lumières peut fournir un élément de réponse, en ce qu'il témoigne de la similitude desimpressions produites par tout phénomène dans l'esprit de chaque homme.
Les nombreux travaux de critique d'art de Diderot, à cetitre, révèle l'importance que prend au XVIIIe siècle en arts plastiques la valeur de « réalisme » d'une toile.
Le peintre de talent(Nicolas Poussin en particulier) est celui qui parvient à restituer la chair même de son sujet, faisant ainsi oeuvre de naturaliste autantque de créateur ; par la précision de son regard, il participe et convie le spectateur au vaste mouvement d'examen du réel, et parl'attitude esthétique, permet un regard neuf sur la chose, plus juste parce que libéré des soucis et des désirs qui parasitentl'observation courante de l'objet._ Le recours des Lumières aux formes artistiques se fait plus problématiques lorsqu'on se penche sur le récit : la fiction joue en effetun rôle paradoxal dans le processus d'acquisition du savoir.
Le conte philosophique pratiqué par Voltaire, notamment Micromégas , remet en cause l'affirmation de son personnage principal, puisqu'il prétend apporter une connaissance de la vérité à son lecteur, touten lui présentant des phénomènes fictifs.
En ce sens, le verbe « examiner » ne peut ici se limiter à la simple observation du réel,puisque l'esprit de Lumières fait de l'illusion artistique un vecteur essentiel de l'accession à la raison.
III : Le préjugé contre le préjugé _ La situation qui pousse Micromégas à adopter une attitude d'examen cache un lourd paradoxe, et se cristallise autour de l'idée de« nature » : la raison doit être toute-puissante, car entre toutes choses, elle est la voix de la nature.
Pourtant, l'ironie de Voltaireconsiste essentiellement à remarquer que personne ne lui obéit.
Quel est donc le sens du travail préconisé par Micromégas, examinerpuis raisonner, puisque cette démarche tente de faire apparaître ce qui devrait aller de soi ? Le système des causes et des effets nes'offre pas au simple observateur, mais doit être explicité aux moyen de procédés qu'on pourrait qualifier de pédagogiques, et quiincluent volontiers le merveilleux, à titre de « vérités hypothétiques ».
Dans l'œuvre de Jonathan Swift, Les voyages de Gulliver présentent ainsi une suite de monde fantasmagoriques, mais dont les éléments obligent le lecteur à manipuler des notions de physique,de politique...
La lutte des lumières contre les opinions trop admises ne refusent donc pas leur usage détourné, comme moyens dedémonstration par l'absurde, ou de démonstration par la fable._ Enfin, la figure de Rousseau pose une difficulté à quiconque tente de déterminer un comportement d'ensemble des Lumières vis-à-visde tout ce qui trouble le froid examen : les passions, la sensibilité, la rêverie.
Pour le précepteur de L'Emile ou de l'éducation , l'examen de la nature, en particulier chez l'enfant, ne doit pas être une soumission systématique de l'objet perçu à une analyse logique.
Aucontraire, la pleine spontanéité de celui qui renonce à croire comme à nier suppose qu'il s'abandonne au libre mouvement de larêverie.
Celle-ci, loin de s'opposer à la vérité du monde, ouvre l'observateur à une sphère d'existence au sein de laquelle toute choserépond à sa propre intimité.
De cette manière, si on élargit l'affirmation de Micromégas au delà du propos particulier de Voltaire, ils'avère que la répugnance à croire ou à nier possède bien une positivité : l'esprit des lumières est en soi un principe d'ouverture auréel ; il ne fuit jamais que l'attitude de négation elle-même..
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