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James Boswell

Publié le 09/12/2021

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James Boswell 1740-1795 Le John Bull du XVIIIe siècle, Samuel Johnson, LI. D, a eu comme Sherlock Holmes son Dr Watson. Un Watson qui, au premier abord, est la naïveté en personne, pauvre hère, dont se moquent avec une condescendance en général bienveillante son héros, la société, et le lecteur. Inlassablement, James Boswell suit la piste des célébrités — que ce soit Lord X et Sir John Y, ou Paoli, Voltaire, Rousseau, enfin son idole Johnson — les suit, pour nous servir de sa propre expression, comme l'épagneul fidèle ; bouche bée, il note dans ses carnets les moindres bribes de conversation qui tombent des lèvres augustes ; sans dignité, sans honte aucune, il se voit rabrouer ou se fait caresser distraitement par la noblesse de la naissance ou par celle de l'intelligence.

« James Boswell1740-1795 Le John Bull du XVIIIe siècle, Samuel Johnson, LI.

D, a eu comme Sherlock Holmes son Dr Watson.

Un Watson qui, au premier abord, estla naïveté en personne, pauvre hère, dont se moquent avec une condescendance en général bienveillante son héros, la société, et lelecteur.

Inlassablement, James Boswell suit la piste des célébrités — que ce soit Lord X et Sir John Y, ou Paoli, Voltaire, Rousseau, enfinson idole Johnson — les suit, pour nous servir de sa propre expression, comme l'épagneul fidèle ; bouche bée, il note dans ses carnetsles moindres bribes de conversation qui tombent des lèvres augustes ; sans dignité, sans honte aucune, il se voit rabrouer ou se faitcaresser distraitement par la noblesse de la naissance ou par celle de l'intelligence. Mais, à le regarder de plus près, on commence à soupçonner que, tout comme le Dr Watson, Boswell a calculé sa dose de naïveté jusqu'àla dernière goutte.

Il a deux buts dans la vie : le premier (et certes, pour lui, le moins important), de se former le caractère par le contactavec les grands ; le second, de faire disserter ses héros, devant la société et devant la postérité, sur tous les sujets imaginables.

Lesnaïvetés qu'il place, lui, Boswell, dans la conversation, sont inventées exprès pour provoquer les ripostes des grands.

La joie qu'il éprouveà se voir traiter de haut en bas n'est guère celle d'un masochiste ; on pense plutôt à une marquise en train de créer son salon, sauf quedans le cas de Boswell ce n'est pas l'esprit, mais le Beati pauperes spiritu qui devient instrument de création.

(Voyez-le devant Rousseau,tout fier d'avoir réussi à pénétrer dans l'intimité du grand solitaire en se présentant comme un jeune homme passionné qui aurait besoinde conseils et qui ne se formalise pas devant les duretés du maître.) Sa fierté porte sur le but et ne se préoccupe pas des moyens : il ad'ailleurs le plaisir de pouvoir se moquer tout doucement du lecteur qui n'aurait pas compris son délicat amalgame de naïveté et desubtilité, et de lui montrer le revers de la médaille quand, dans Le Voyage aux îles Hébrides, où il part avec Johnson pour l'Écosse,l'épagneul fidèle est devenu "un chien qui s'est emparé d'une grosse tranche de viande et s'est sauvé avec". Dans ce XVIIIe siècle qui abonde en Hurons, en Persans, en voyageurs frais arrivés de Sirius, James Boswell, sans besoin d'inventer, setrouve dans la position privilégiée de l'observateur du dehors — car il est l'Écossais qui vient à Londres.

Là encore, une apparente naïvetécouvrira des attitudes plus complexes : il aura la fraîcheur de vision et les admirations enthousiastes d'un provincial devant le foyer des"lumières" ; et cependant, comme tout bon Écossais, il crierait au sacrilège devant ce mot provincial ; il prend un plaisir malin à être surpied d'égalité avec les autres nations de l'Europe et à voir dans les Anglais des êtres un peu bizarres et (chuchotons-le) un peu inférieurs.Là où le Dr Johnson n'est qu'un John Bull hautain et exclusif, Boswell se sent citoyen du monde ; là où le Dr Johnson décoche ses pluscruelles épigrammes contre l'Écosse, Boswell, et il le dit tout haut, avec une tranquille conscience de la supériorité de l'Écosse, s'en amuseet le traite en enfant. Le Persan est venu faire ses observations sur la société.

Mais nous sommes dans la seconde moitié du XVIIIe siècle ; les discussionssévissent sur Le Bon Sauvage (Johnson, nettement contre, démolit le détesté Monbodds) ; Le Fingal d'Ossian fait rage (là aussi Johnsonse déchaîne contre l'infortuné faux-monnayeur Macpherson) et paysages et ruines commencent à étendre leur frange romantique auxbords de la société.

Inutile de dire que l'impressionnable Boswell ressent ces influences.

Quel triomphe quand il réussit à enlever sonhéros, âgé de plus de soixante ans, pour faire le tour des îles Hébrides.

Couple saugrenu, ils vont à la découverte des sauvages del'Écosse ; à cheval, à pied, presque naufragés, couchant sur la paille ou reçus avec empressement dans les châteaux.

Mais pour quichercherait de beaux sites romantiques ou des paysages-états d'âme, le journal que publiera Boswell au retour ne fournirait pas grand-chose.

Lui-même admet à plusieurs reprises qu'il ne sait pas décrire les objets visibles, et vite, on voit qu'il ne s'intéresse qu'aux êtreshumains et surtout au grand art du XVIIIe siècle — l'art de la conversation.

D'où ce qu'il aurait considéré son maître-ouvrage : La Vie deJohnson.

Dans une école moderne de reportage, la place qu'occupe l'Émile dans tout cours pédagogique pourrait bien être tenue par cetteVie où on voit la recette infaillible pour extraire d'une célébrité ses vues sur la prière, sur les auteurs latins, sur l'adultère, ou sur lameilleure façon de fabriquer la bière. Mais le lecteur d'aujourd'hui se tourne plus volontiers vers l'oeuvre qui, selon les lettres de son père, devait faire sa honte — ses journauxintimes, dont une partie, Le London journal de 1762-1763 vient d'être mise à la portée du grand public.

Cette fois, c'est Boswell lui-mêmemis à nu ; le Boswell de jeunesse dans toute la fluidité d'un caractère aux multiples possibilités (qui d'ailleurs ne se figera jamais dansune attitude conventionnelle) ; un Boswell qui note ses enthousiasmes, ses ambitions, ses dépenses au jour le jour, qui nous raconte avecle plus grand naturel les détails les plus scabreux de ses rencontres avec des prostituées dans le Parc ou le drame palpitant de sesamours infortunées avec la belle veuve Louisa.

Ce qui fait le charme (et la garantie d'authenticité) de ce journal c'est peut-être le fait que,contrairement à la plupart des journaux intimes, il ne cherche pas à nous donner un portrait en pied, stylisé et consistant, bien moins àjustifier son auteur : il observe et accepte avec un peu d'étonnement, mais sans chercher à les dénaturer par des généralisations, dessubordinations ou des conclusions, toutes les contradictions, complexités, inconsistances de la vie.

Que Boswell éprouve une émotion viveet sincère en écoutant un sermon sur la chasteté et qu'en même temps il fasse des projets détaillés de séduction pour la journée même,c'est une bizarrerie qu'il constate, mais ne cherche guère à expliquer.

C'est l'homme de son siècle : il ne nous présente ni la synthèsegénéralisée et stylisée du XVIIe siècle, ni les tortures déchirantes et complaisantes qu'au XIXe siècle il aurait éprouvées à contempler sonpropre caractère.

Il a le goût de la vie, comme elle est, avec toutes ses contradictions et toutes ses imperfections. S'il y a un problème cependant auquel il revient souvent et qu'il voudrait résoudre, c'est celui du temps.

Car si tout journal intime impliqueun esprit qui voit volontiers le présent en fonction du passé et de l'avenir, chez Boswell, cette tendance est pleinement consciente, et ilvoudrait bien pouvoir se l'expliquer.

Pourquoi prenons-nous plus de plaisir à réfléchir sur les expériences agréables de notre passé quenous n'en avons éprouvé devant ces expériences elles-mêmes ? "Peut-être, répond-il, y a-t-il un tel arrière-goût de souffrances dans toutplaisir humain au moment où on l'éprouve, que ce plaisir a besoin d'être purifié par le temps ; pourtant je ne comprends pas pourquoi letemps ne dissout pas le plaisir et les souffrances suivant d'égales proportions." Il avoue ne pas comprendre et réagit en homme de sonsiècle ; pourquoi trop se creuser la tête sur les causes métaphysiques des phénomènes ; sachons plutôt tirer le parti le plus intelligent deces phénomènes tels qu'ils sont.

Sa recherche du temps perdu est loin des voies que suivra Proust, et cependant pour lui aussi, elleimplique une vocation consciemment adoptée et rigoureusement exercée, comme l'indique cette citation assez étonnante : "Je devrais nepas vivre au-delà de ce que je peux raconter, comme on devrait ne pas faire pousser plus de blé qu'on en pourra moissonner.

Les bonneschoses sont à jamais gâchées si on ne les conserve pas." Avec son don de prendre sur le vif le mouvement dramatique de la vie, de saisir et de rendre les moindres détails du geste et de laconversation, avec sa conviction que l'existence vaut la peine d'être captée telle qu'elle est, ce subtil naïf a confié à l'ambre de ses récitsla mouche que fut sa propre vie.. »

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