Jacques CHEVALLIER: Le droit administratif, droit de privilège ?
Publié le 22/01/2022
Extrait du document
«
Corrigé
L2 Droit administratif 2019
Sujet théorique :
Que pensez-vous de la citation suivante ?
« Le soupçon de privilège pèse depuis toujours sur le droit administratif : en tant que droit spécial, ne
permet-il pas à l'administration de bénéficier d'un régime de faveur et d'échapper au contrôle du juge
ordinaire ? Et des notions telles que « puissance publique », « prérogatives exorbitantes » ou « pouvoir
discrétionnaire » ne marquent-elles pas l'inégalité foncière de situation qu'il établit entre
l'administration et l'administré ? »
Jacques CHEVALLIER Le droit administratif, droit de privilège ? Pouvoirs n°46 - Droit administratif.
Bilan critique -
septembre 1988 - p.57-70
Comme le montre la citation commentée, l’existence d’un droit administratif, spécial, distinct du droit
civil intrigue et interroge.
C’est pourtant une constance de la pensée juridique française.
On en retrouve trace dès l’Ancien régime avec l’édit de St Germain qui érige le principe selon lequel
juger l’administration c’est encore administrer, principe qui sera repris et amplifié par la Révolution
française opposant aux juges judiciaires l’interdiction de connaître du contentieux né de l’action de
l’administration avant que l’arrêt Blanco ne consacre sous la troisième République la spécificité
nécessaire des règles applicables à l’Etat et aux personnes publiques dans leurs relations avec les
administrés.
Cette idée d’un droit administratif spécial est largement liée à la construction de l’Etat en France.
Elle accompagne la vision d’un Etat interventionniste que l’on qualifiera selon les époques de
corbertiste ou jacobin.
Or Cette conception n’est pas nécessairement partagée par les systèmes
juridiques étrangers.
Ainsi au Royaume Uni où le système de common law conduit dans une large
mesure à soumettre l’administration à la loi commune c’est-à-dire aux mêmes règles que celles
appliquées au particulier.
En conséquence, comme l’explique Jacques Chevallier l’originalité du droit administratif français
suscite traditionnellement le soupçon d’un droit destiné à servir les intérêts de l’Etat.
Ce soupçon tient
essentiellement à la place qu’occupe le Conseil d’Etat dans l’élaboration des règles de droit
applicables à l’administration.
Le droit administratif est en effet historiquement l’œuvre d’un juge
spécial né de l’administration et dont la jurisprudence se démarquant du droit privé s’est attachée à
fournir aux autorités administratives les moyens juridiques leur permettant de faire prévaloir leurs
orientations politiques autour des notions de puissance publique , de prérogatives ou de pouvoir
discrétionnaire..
S’il est indéniable que le droit administratif est historiquement un élément déterminant de la
construction de l’Etat en France, l’histoire nous enseigne aussi que le contenu du droit administratif a
évolué en fonction de la conception que l’Etat se fait de rôle et de ses missions dans la société.
Les
progrès de l’Etat Républicain ont ainsi conduit à penser différemment les relations juridiques entre
l’administration et les citoyens : la jurisprudence du Conseil d’Etat s’est attaché à partir de la
Troisième République à affirmer les droits des administrés face à l’administration et à leur offrir avec
l’institution notamment du recours pour excès de pouvoir de véritable garanties juridictionnelles.
Aujourd’hui la diversification des sources du droit, le recours à la Constitution ou aux Traités.
»
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