J.-M.-G. LE CLÉZIO, La Guerre, 1970. Commentaire
Publié le 19/12/2021
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«
«C'était ainsi : gigantesques blocs de ciment debout sur la terre, appuyant leurs
milliers de tonnes, kilomètres de voies ferrées et de routes, forêts de pylônes et
de poteaux télégraphiques, lacs, cubes de verre, plages de .nickel, plaines de
tôle ondulée.
Jamais aucun paysage au monde n'avait été si vaste, si profond.
Il
n'y avait jamais eu de montagnes si hautes, ni de canyons1 plus vertigineux.
Jamais tant de fer et de pierres, tant de matières transparentes ou opaques.
Toute la violence de l'univers, toute sa force, tout son pouvoir sont venus là, ont
tracé leur dessin.
La jeune fille marchait à travers la ville, vers le soir, et elle
n'était pas tranquille.
Elle voyait les pyramides en train de défier le temps,
toutes les arches et toutes les fenêtres qui repoussaient la voûte du ciel.
La
beauté n'était pas douce, elle ne chantait pas avec une voix de femme.
La
beauté défiait le silence, elle avait bandé tous ses muscles pour tuer le vide.
La jeune fille regarda le ciel et les nuages bas, elle essaya de voir le soleil.
Mais
il avait disparu derrière les cubes des maisons, et il ne restait que la lumière.
Si
le soleil avait été là, peut-être que ça n'aurait pas été la même chose...
J.-M.-G.
LE CLÉZIO, La Guerre, 1970.
La ville est un monde démesuré.
La page commence par «gigantesques blocs de ciment»
qui donne le ton.
La grandeur s'étend suivant des lignes verticales et horizontales.
Ces
éléments choisis sont des pylônes, des poteaux, des pyramides.
Même les blocs de
ciment se dressent, «debout».
L'auteur établit une comparaison avec les montagnes les
plus hautes.
Il semble même que les habitations «repoussaient la voûte du ciel».
Le
thème de la profondeur se trouve aussi abordé avec les « canyons vertigineux».
L'adjectif montre que l'homme est perdu face à la démesure d'un tel monde.
Si les immeubles s'élèvent vers le ciel, la ville gagne aussi en étendue : «des kilomètres
de voies ferrées et de routes» couvrent la surface du sol.
Les plages, les plaines, avec les
allitérations en «p», suggèrent également un vaste espace.
La grandeur présente souvent une certaine unité.
La description accumule au contraire
les objets, comme s'il fallait absolument remplir ces espaces, comme s'il fallait «tuer le
vide».
La première phrase commence par une longue énumération.
En outre, Le Clézio
utilise des mots qui désignent la multitude : «milliers», «forêts de pylônes », et l'adverbe
de quantité « tant de » répété deux fois.
Après avoir sur quatre lignes dressé l'inventaire
des matériaux, l'écrivain emploie souvent le rythme binaire : « de montagnes, de
canyons », « tant de fer et de pierres », «toutes les arches et toutes les fenêtres».
L'écriture s'accorde à l'abondance de ce monde.
La multiplication des éléments
s'accompagne de pesanteur.
Et l'auteur insiste encore avec «leurs milliers de tonnes » ou
suggère l'idée du poids : les blocs de ciment, les pierres.
Même le verre qui, par sa
transparence, évoque une certaine légèreté, se trouve privé de cette caractéristique et
réduit à l'état de «cubes».
La ville se présente donc comme une masse qui pèse
lourdement sur l'homme.
La notion de grandeur n'est pas absolue.
Il faut un critère, une échelle.
Certes, l'auteur
introduit dans la cité un être humain.
Mais ce n'est pas assez pour faire sentir la
démesure.
C'est pourquoi la nature sert de point de comparaison.
Les constructions
dépassent les paysages les plus grandioses : les montagnes et les canyons.
Les formes
urbaines concurrencent les sites, se substituent même à eux : les pylônes deviennent
forêts, le nickel plages, et la tôle ondulée s'étend comme des plaines.
D'ailleurs, aux
adverbes de quantité succèdent les intensifs «si» qui expriment la qualité.
La nouvelle
Babel atteint même le ciel.
Il semble que la voûte recule devant la poussée de la cité, et
la répétition de «jamais » prouve que toute référence est vaine.
On comprend alors
mieux la répétition du verbe «défier».
Comme jadis les pyramides, les immeubles défient
le temps, le silence aussi.
L'orgueil des hommes trouve là sa mesure, ou plutôt sa
démesure.
Mais une telle ville menace nécessairement l'homme qui l'a créée, elle l'agresse de toute
part.
Le texte oppose, en effet, la dureté des matériaux — pierres, ciments, fer —, à la
douceur humaine.
Le personnage choisi, une jeune fille, symbolise traditionnellement la.
»
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