Incendie
Publié le 10/12/2021
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2 avril 2002 AU-DELÀ des bains de sang qui sont devenus le lot quotidien du Proche- Orient, au-delà du tumulte et de l'embrasement des esprits, il faut sans cesse rappeler que toute sortie de cette lutte suicidaire de l'un contre l'autre devra obéir à des principes pour nous fondamentaux : il faut deux Etats, Israël et Palestine, dont la coexistence et les frontières doivent être garanties ; tout processus de paix devra repartir des acquis d'Oslo et de Camp David ; le droit international, sans cesse proclamé, devra être enfin appliqué. Mais avant d'émettre le jugement que tout le monde, en Europe, a sur les lèvres, et que beaucoup de responsables mondiaux, en demandant à l'ONU le retrait d'Israël de Ramallah, ont déjà prononcé, gardons-nous d'oublier que Sharon est, et reste, le choix d'Arafat. Yasser Arafat en effet, en septembre 2000, a choisi de refuser la paix qui lui était proposée par la gauche israélienne et garantie par le président Clinton ; il a alors refusé de s'engager sur une voie qui dessinait deux Etats, deux et non une confédération ou tout autre forme susceptible d'absorber Israël. Volens nolens, Yasser Arafat a finalement consenti à la situation créée par l'Intifada des Mosquées, une situation de harcèlement et d'insécurité qui ne pouvait que faciliter la victoire de la droite en Israël. Souvenons-nous de ce qui était alors l'hypothèse la plus communément admise : l'Intifada avait été déclenchée pour obtenir d'un Israël inévitablement las d'être assiégé un retrait unilatéral, sur le modèle du retrait israélien du Liban sud ; ainsi la libanisation du conflit provoquerait le repli total des territoires, ce que des années de résolutions onusiennes n'étaient pas parvenues à obtenir. Prenons acte, également, que Sharon, comme l'a rappelé George W. Bush, est confronté à une vague d'attentats aveugles et dévastateurs, dont la violence extrême, gagée sur le suicide de très jeunes gens, est non seulement épouvantable pour la population israélienne mais aussi de très mauvais augure pour le futur du peuple palestinien et la forme de son Etat : cette logique contraint, peut-être durablement, les Palestiniens partisans d'une voie modérée au silence. Tout cela, mis bout à bout, ne permet pourtant pas d'excuser le tout-répressif inutile, illusoire et contre-productif de Sharon. Le gouvernement israélien, en effet, sous l'impulsion du vieux général, s'est enfermé dans un piège politique redoutable. Facile à dire, diront les Israéliens, lorsque l'on n'est pas soi-même confronté à de telles horreurs. Mais qui ne voit qu'Arafat, cerné, a vécu, en ce week-end pascal, non une crucifixion, mais une résurrection, offerte par Sharon ? « My finest hours », dira Churchill de ses journées passées sous le Blitz, dans la Londres de la bataille d'Angleterre. Peut-être Arafat considérera-t-il un jour ces heures sombres de Ramallah comme le point culminant de sa carrière de guerrier : frêle, blême, isolé, mais inflexible face à son ennemi de toujours, aujourd'hui comme hier enclin aux crimes de guerre, comme semblent en témoigner les exécutions sommaires de membres de la police palestinienne. Oui, Arafat a gagné la bataille de l'opinion : le monde, l'ONU exigent le retrait israélien. Au point de faire oublier le jeu d'Arafat : à une question pertinente de la journaliste vedette de CNN, Christiane Amanpour - « Que comptez-vous faire pour enrayer le mécanisme des attentats en Israël » -, le leader palestinien, hors de lui, a raccroché ; à son conseiller Kaddami, dépêché au sommet de Beyrouth, il avait donné mandat de proclamer le succès des objectifs politiques de l'Intifada. incompétence américaine ? Pour autant, la violence de plus en plus marquée, sans perspective politique aucune, de Sharon est parvenue à refaire l'unité des Palestiniens sur la ligne la plus dure. Malgré tout ce que l'on sait de la très relative bonne foi d'Arafat à l'égard d'un processus de paix, la politique de Sharon doit d'abord cesser, avant que l'on puisse exiger quoi que ce soit de Yasser Arafat. Le résultat de celle-ci, qui devait garantir le calme par la répression, n'est- il pas pire que tout ce que les détracteurs de Sharon avaient pu imaginer ? La recherche d'une voie permettant de renouer le dialogue doit donc être entamée sans délai ; et, comme toute solution négociée, sans préalable. Mais la faute ne vient-elle pas aussi de l'imprudence et de l'incompétence américaine ? Dopés, et peut-être désormais dupés, par leur rapide - et heureux - succès en Afghanistan, les « durs » du gouvernement américain ont cru pouvoir se lancer dans une « phase deux » de la lutte antiterroriste, contre l'Irak, en dépit de tout bon sens. En agitant une menace vague et incertaine contre le dictateur de Bagdad, les Etats-Unis pouvaient espérer obtenir un premier consensus arabe, et concentrer alors leur énergie sur la définition - même partielle - d'une solution au conflit israélo-palestinien. C'est ce que tout le monde attendait, avec espoir. C'est ce qu'ils avaient, semble-t-il, commencé de faire. Las ! Au lieu de poursuivre dans cette voie, le gouvernement américain s'est mis à détailler un vaste plan militaire qui a inquiété jusqu'à l'état-major britannique, et surtout compromis quelques discrets alliés arabes ; il a surtout, en inspirant le discours idéologique de Sharon, affaibli la dynamique esquissée par le plan Abdallah, pourtant d'inspiration américaine. Comprenne qui pourra ! A ce stade, il faut donc d'urgence revenir à la logique qui a permis le plan saoudien ; et qui est peut-être le plan de la dernière chance pour sortir d'une escalade incontrôlée. Car si cet incendie-là n'est pas éteint à temps, nul ne peut dire où il s'arrêtera. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 3 avril 2002
2 avril 2002 AU-DELÀ des bains de sang qui sont devenus le lot quotidien du Proche- Orient, au-delà du tumulte et de l'embrasement des esprits, il faut sans cesse rappeler que toute sortie de cette lutte suicidaire de l'un contre l'autre devra obéir à des principes pour nous fondamentaux : il faut deux Etats, Israël et Palestine, dont la coexistence et les frontières doivent être garanties ; tout processus de paix devra repartir des acquis d'Oslo et de Camp David ; le droit international, sans cesse proclamé, devra être enfin appliqué. Mais avant d'émettre le jugement que tout le monde, en Europe, a sur les lèvres, et que beaucoup de responsables mondiaux, en demandant à l'ONU le retrait d'Israël de Ramallah, ont déjà prononcé, gardons-nous d'oublier que Sharon est, et reste, le choix d'Arafat. Yasser Arafat en effet, en septembre 2000, a choisi de refuser la paix qui lui était proposée par la gauche israélienne et garantie par le président Clinton ; il a alors refusé de s'engager sur une voie qui dessinait deux Etats, deux et non une confédération ou tout autre forme susceptible d'absorber Israël. Volens nolens, Yasser Arafat a finalement consenti à la situation créée par l'Intifada des Mosquées, une situation de harcèlement et d'insécurité qui ne pouvait que faciliter la victoire de la droite en Israël. Souvenons-nous de ce qui était alors l'hypothèse la plus communément admise : l'Intifada avait été déclenchée pour obtenir d'un Israël inévitablement las d'être assiégé un retrait unilatéral, sur le modèle du retrait israélien du Liban sud ; ainsi la libanisation du conflit provoquerait le repli total des territoires, ce que des années de résolutions onusiennes n'étaient pas parvenues à obtenir. Prenons acte, également, que Sharon, comme l'a rappelé George W. Bush, est confronté à une vague d'attentats aveugles et dévastateurs, dont la violence extrême, gagée sur le suicide de très jeunes gens, est non seulement épouvantable pour la population israélienne mais aussi de très mauvais augure pour le futur du peuple palestinien et la forme de son Etat : cette logique contraint, peut-être durablement, les Palestiniens partisans d'une voie modérée au silence. Tout cela, mis bout à bout, ne permet pourtant pas d'excuser le tout-répressif inutile, illusoire et contre-productif de Sharon. Le gouvernement israélien, en effet, sous l'impulsion du vieux général, s'est enfermé dans un piège politique redoutable. Facile à dire, diront les Israéliens, lorsque l'on n'est pas soi-même confronté à de telles horreurs. Mais qui ne voit qu'Arafat, cerné, a vécu, en ce week-end pascal, non une crucifixion, mais une résurrection, offerte par Sharon ? « My finest hours », dira Churchill de ses journées passées sous le Blitz, dans la Londres de la bataille d'Angleterre. Peut-être Arafat considérera-t-il un jour ces heures sombres de Ramallah comme le point culminant de sa carrière de guerrier : frêle, blême, isolé, mais inflexible face à son ennemi de toujours, aujourd'hui comme hier enclin aux crimes de guerre, comme semblent en témoigner les exécutions sommaires de membres de la police palestinienne. Oui, Arafat a gagné la bataille de l'opinion : le monde, l'ONU exigent le retrait israélien. Au point de faire oublier le jeu d'Arafat : à une question pertinente de la journaliste vedette de CNN, Christiane Amanpour - « Que comptez-vous faire pour enrayer le mécanisme des attentats en Israël » -, le leader palestinien, hors de lui, a raccroché ; à son conseiller Kaddami, dépêché au sommet de Beyrouth, il avait donné mandat de proclamer le succès des objectifs politiques de l'Intifada. incompétence américaine ? Pour autant, la violence de plus en plus marquée, sans perspective politique aucune, de Sharon est parvenue à refaire l'unité des Palestiniens sur la ligne la plus dure. Malgré tout ce que l'on sait de la très relative bonne foi d'Arafat à l'égard d'un processus de paix, la politique de Sharon doit d'abord cesser, avant que l'on puisse exiger quoi que ce soit de Yasser Arafat. Le résultat de celle-ci, qui devait garantir le calme par la répression, n'est- il pas pire que tout ce que les détracteurs de Sharon avaient pu imaginer ? La recherche d'une voie permettant de renouer le dialogue doit donc être entamée sans délai ; et, comme toute solution négociée, sans préalable. Mais la faute ne vient-elle pas aussi de l'imprudence et de l'incompétence américaine ? Dopés, et peut-être désormais dupés, par leur rapide - et heureux - succès en Afghanistan, les « durs » du gouvernement américain ont cru pouvoir se lancer dans une « phase deux » de la lutte antiterroriste, contre l'Irak, en dépit de tout bon sens. En agitant une menace vague et incertaine contre le dictateur de Bagdad, les Etats-Unis pouvaient espérer obtenir un premier consensus arabe, et concentrer alors leur énergie sur la définition - même partielle - d'une solution au conflit israélo-palestinien. C'est ce que tout le monde attendait, avec espoir. C'est ce qu'ils avaient, semble-t-il, commencé de faire. Las ! Au lieu de poursuivre dans cette voie, le gouvernement américain s'est mis à détailler un vaste plan militaire qui a inquiété jusqu'à l'état-major britannique, et surtout compromis quelques discrets alliés arabes ; il a surtout, en inspirant le discours idéologique de Sharon, affaibli la dynamique esquissée par le plan Abdallah, pourtant d'inspiration américaine. Comprenne qui pourra ! A ce stade, il faut donc d'urgence revenir à la logique qui a permis le plan saoudien ; et qui est peut-être le plan de la dernière chance pour sortir d'une escalade incontrôlée. Car si cet incendie-là n'est pas éteint à temps, nul ne peut dire où il s'arrêtera. JEAN-MARIE COLOMBANI Le Monde du 3 avril 2002
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