« il fallait, dit un critique contemporain, édifier une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme »
Publié le 19/12/2021
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«
Introduction.
Quand on considère l'oeuvre du XVIIIe siècle dans son ensemble, elle apparaît comme
diverse, chaotique, voire contradictoire.
Il semble presque impossible de lui trouver une
unité, autrement dit de définir l'esprit du « siècle philosophique ».
N'y aurait-il pas
moyen, en se plaçant à la source créatrice de ses exigences intellectuelles, de voir cette
unité, cet esprit dans une volonté de reconstruire les valeurs humaines, sans jamais les
rattacher à quelque chose qui les dépasserait pour les justifier : alors .
que le XVIIe
siècle évoquait Dieu en politique, les dogmes en morale, et le surnaturel (ce que Pascal
appelait la Charité) en religion, au XVIIIe, « il fallait, dit un critique contemporain, édifier
une politique sans droit divin, une religion sans mystère, une morale sans dogme ».
Formule nette, pleine d'élan et de résolution, comme le XVIIIe siècle lui-même, et qu'il
faut replacer dans sa perspective historique de combat; formule qui rend assez bien
compte de l'oeuvre des philosophes, mais que néanmoins on ne saurait considérer
comme un bilan et qu'il nous est sans doute possible de compléter et de nuancer.
I.
Le refus des « transcendances ».
La formule est d'abord négative.
S'il fallait « édifier sans » ces principes supérieurs, c'est
que le siècle précédent avait « édifié avec » eux.
1.
Il est difficile pour un moderne d'imaginer ce que pouvait être l'univers des valeurs
pour un homme du XVIIe siècle.
Tout y dépendait de principes supérieurs et irrationnels
qui justifiaient toutes les difficultés et toutes les contradictions apparentes de ce monde-
ci : ce n'était point résignation à l'obscurantisme et refus d'expliquer, mais volonté
permanente de rendre compte d'apparences absurdes.
La méthode est exactement celle
de Pascal cherchant à nous étonner devant les « contrariétés » de l'homme, mélange de
misère et de grandeur, et faisant cesser notre étonnement quand il les rattache à un
double mystère : celui de l'être humain créé à l'image de Dieu et celui de la chute
originelle.
Par là, toutes les valeurs sont accrochées à des principes qui les dépassent : la
politique à Dieu, la morale à la religion, et la religion elle-même à ses mystères.
Bien
entendu, le mot a ici son plein sens théologique, et non pas affectif : il désigne les
principes transcendants, inexplicables, mais inébranlables, dont se déduit tout l'édifice
théologique.
2.
Ainsi, loin d'être un refus de l'explication, la pensée morale, politique ou religieuse au
XVIIe siècle veut toujours tout déduire de quelques principes fixes et Pascal soulignera
l'analogie de la pensée religieuse avec la pensée mathématique, où tout Se déduit de
quelques postulats inébranlables, mais eux-mêmes souvent inexplicables.
La pensée
procède toujours par distinction d'ordres ; Pascal en voit trois qui se dépassent et, dans
une certaine mesure, s'expliquent l'un l'autre : l'ordre des corps, l'ordre des esprits,
l'ordre de la Charité.
Toutes les manifestations physiques ou intellectuelles de la religion
ne sont pas par elles-mêmes religieuses; elles sont comme la figuration du seul ordre qui
soit vraiment religieux, l'ordre du surnaturel, l'ordre de la charité.
De même, en politique
ceux que Pascal appelle les demi-habiles ne voient que des combinaisons d'intérêts et de
forces, mais les esprits vraiment religieux, comme Bossuet, voient l'intervention
providentielle de Dieu « qui bouleverse le monde pour engendrer ses élus ».
Tel est le
sens du fameux « droit divin »; Bossuet se prononce nettement là-dessus dans son
Sermon sur les Devoirs des Rois : il ne s'agit pas de justifier l'arbitraire, puisque le Roi
est responsable et terriblement responsable devant Dieu, mais le Roi tient son pouvoir de
Dieu et toute révolte contre le Roi est impie, car elle est révolte contre le principe
transcendant qui fonde la politique.
Enfin, en matière morale, on verra, pour peu qu'on y
réfléchisse, combien toute « autonomie » morale est étrangère au XVIIe siècle : chez
tous les moralistes, même ceux qui ne parlent pas de la religion, un certain climat
chrétien règne en permanence, la morale n'est jamais humaine et laïque, un La
Rochefoucauld, un La Bruyère jugent leurs semblables au nom d'impératifs religieux, de.
»
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