Igor Stravinski
Publié le 16/05/2020
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Igor Stravinski
Debussy avait marqué la possibilité d'un renouveau de la musique occidentale au-delà des sillons germaniques.
Semblableperspective avait été ouverte en Russie par Moussorgsky.
C'est sur leurs traces qu'à l'origine Stravinski semblaits'engager.
Toutefois, par affinité de nature, ce n'est pas à Moussorgsky, mais à un autre des "cinq" Russes du Nord,Rimski-Korsakov, qu'il se rattachait.
Rimski-Korsakov était le type de ces premiers musiciens russes, avides de jouer desressources formelles que leur apportait la musique occidentale pour y faire valoir leur sens si vif et tout frais de la mélodie,du rythme et de la couleur instrumentale.
Mais il en restait au jeu, c'est-à-dire qu'il pratiquait une sorte "d'art appliqué",sans avoir saisi, comme Moussorgsky, l'engagement profond que représentaient les données qu'il avait empruntées ànotre culture.
Lorsque Rimski écrit de son Caprice espagnol que "les cadences instrumentales, le rythme des instrumentsde percussion...
constituent le fond même de ce morceau et non sa parure", il énonce une esthétique à laquelle Stravinskipourrait souscrire.
Le problème de "l'Oeuvre à faire" ne s'est jamais posé pour lui qu'en termes formels et sensibles : ils'est agi de mettre en Oeuvre d'une certaine manière indiquée par ses fins artistiques un certain monde d'accords ou demélodies, de remplir certaines dispositions formelles.
Le monde féerique de l'Oiseau de feu est posé dans le rapport dedeux "tierces" et dans le motif mélodique qui en est issu et il s'agit de construire sur ces données une dense ailée, unedanse infernale, une berceuse, etc.
La foire de Petrouchka est donnée par les harmonies de l'accordéon et le jeu de celles-ci avec divers motifs de caractère populaire.
L'événement mystique et cosmique du Sacre du Printemps fait appel auxpossibilités d'accords déchirants et de rythmes heurtés.
Ces indications, bien entendu, sont loin de rendre compte desprouesses de savoir et d'imagination accomplies dans ces Oeuvres par leur auteur, elle ne visent qu'à caractériser sarelation à la musique.
L'Oeuvre d'art en effet implique toujours l'existence d'un "sujet" par rapport auquel elle apparaît comme "objet" et qui estl'auteur (en attendant que l'auditeur ou le spectateur ait pris sa place).
C'est ce rapport qui est chez Stravinski d'une autrenature qu'il n'était dans la tradition occidentale en ce sens que, dans l'esprit de notre musique, l'Oeuvre faite représenteune expression de l'auteur, ce qui fait qu'elle est vécue par lui, tandis que pour Stravinski elle n'en est qu'un produit(comme il arrive chez l'artisan d'art).
Stravinski entend donner à son "objet" une telle force de présence, qu'il parle par lui-même.
Il s'efface derrière lui.
Il est la main qui le fait apparaître, le goût qui le choisit, l'artifex qui en déploie les charmes,mais il n'est pas la personne qui le juge et fait sentir comment elle le juge par le sort qu'elle lui fait (aussi bien son objet nesubit-il pas de sort, il est seulement là, dans toute sa plénitude et toute sa portée).
Autrement dit, Stravinski ne s'engageà l'égard de son objet qu'esthétiquement, non pas éthiquement.
L'exemple du Choral de l'Histoire du Soldat éclairera cefait.
Rien n'est plus un "choral" que ce morceau et pourtant il n'est pas possible de penser qu'un être mû par l'impulsion des'exprimer dans un choral le concevrait de cette sorte.
C'est que le choral n'est pas au cOeur de Stravinski, mais au cOeurdu soldat et de la princesse en ce moment décisif de leur vie et ce que Stravinski nous donne, c'est la vision qu'il a duchoral qui est au cOeur de ses personnages et qu'il fait de telle sorte qu'on sente bien qu'il n'est pas le sien.
Donner en cemoment un vrai choral eut été dérisoire, parce que de pauvre imagination créatrice.
Aussi bien un autre musicien n'eût-ilpas fait un choral, parce qu'il n'aurait pas vu dans ce moment un moment esthétique mais un moment émotif dont il auraitassumé l'émotion pour en donner l'expression musicale.
Notre musique était un art, mais un art qui avait à être une langue expressive.
Avec Stravinski elle est "art" de part enpart.
Le message personnel absent du jeu de ses motifs, de ses accords et de ses rythmes est tout entier dans leurqualité esthétique qui dévoile avec une pertinence et une force extraordinaires la vision de l'auteur.
Aussi ces jeuxprennent-ils une saisissante plénitude de sens sitôt qu'ils sont placés dans la lumière de cette vision, c'est-à-dire devant lafin que l'auteur leur a assignée.
Et il suffit pour cela d'une image que l'on voit sur la scène, ou simplement que l'on pense,d'un geste, d'une allusion, en général d'un élément de référence quelconque qui est souvent dans la musique même, parexemple un rythme de polka, ou le rappel d'un motif du Barbier de Séville dans le Jeu de cartes.
C'est ce qui explique quetoutes ses Oeuvres à "sujet" aient été si immédiatement accessibles au public.
Dans ses Oeuvres de concerts,symphonies, concertos, sonates, un ethos impersonnel et pour ainsi dire consacré, attaché aux styles qu'il traite, soutientle labeur du musicien et l'éclaire comme d'une lumière réfléchie.
Ce n'est sans doute pas ce que dirait l'auteur de cesOeuvres qui sont celles de son âge mûr.
Devenu conscient de la nature particulière de son art, il en a fait un credo et serefuse à voir d'autre raison à la musique que l'ordre constructif.
L'ordre constructif est la condition nécessaire de lamusique, mais non sa raison et quand le travail formel est cultivé pour lui-même, il ne rend à l'auditeur que la mesured'invention de l'auteur.
Si la conscience de la musique à laquelle se rattache Stravinski ne l'a pas amené, commeGlazounov, à un pur et simple académisme, c'est dû à ses exceptionnelles ressources imaginatives et sensibles.
Le besoinde manifester par les jeux du rythme et de l'harmonie des faits expressifs toujours nouveaux l'a amené à explorer toutesles possibilités, toutes les dispositions imaginables du système musical tel qu'il nous est donné par la nature et par latradition.
C'est pourquoi il a eu tant de "manières" qui excluent en réalité la question de "style", à moins que l'on réduisecette notion à l'ordre du "faire" et que l'on désigne par là, dans un sens bien différent de celui que le mot avait pris dans latradition occidentale, un certain caractère constant de la musique de Stravinski qui est la marque incontestable de sapersonnalité.
Mais ces "manières", parce qu'elles s'exerçaient toujours dans les voies naturelles de notre art, avec uneintelligence et une probité du "métier" égales à celles des plus grands Maîtres, lui ont fait faire d'authentiques conquêtes.Il a proprement élargi le champ des possibles dans l'ordre traditionnel de la musique occidentale, tant dans le domainerythmique que dans le domaine harmonique.
Aussi ses Oeuvres, en dehors de leur attrait propre, laisseront-elles unesomme de ce qu'on pourrait appeler de la "matière musicale" qui est pour notre art un acquis impérissable et fécond..
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