Hobbes: Le Léviathan, chapitre 13
Publié le 24/01/2021
Extrait du document
«
"Aussi longtemps que les hommes vivent sans un pouvoir commun qui les tienne tous en respect, ils
sont dans cette condition qui se nomme guerre, et cette guerre est guerre de chacun contre chacun.
Car la guerre ne consiste pas seulement dans la bataille et dans les combats effectifs, mais dans un
espace de temps où la volonté de s'affronter en des batailles est suffisamment avérée: on doit par
conséquent tenir compte, relativement à la nature de la guerre, de la notion de durée, comme on en
tient compte relativement à la nature du temps qu'il fait.
De même en effet que la nature du mauvais
temps ne réside pas dans une ou deux averses, mais dans une tendance qui va dans ce sens,
pendant un grand nombre de jours consécutifs, de même la nature de la guerre ne réside pas dans un
combat effectif, mais dans une disposition avérée, allant dans ce sens, aussi longtemps qu'il n'y a pas
assurance du contraire.
Tout autre temps se nomme Paix .
(...) Il peut sembler étrange à celui qui n'a pas bien pesé ces choses que la nature puisse ainsi
dissocier les hommes et les rendre enclins à s'attaquer et à se détruire les uns les autres: c'est
pourquoi peut-être, incrédule à l'égard de cette inférence tirée des passions, cet homme désirera la
voir confirmée par l'expérience.
Aussi, faisant un retour sur lui-même, alors que partant en voyage il
s'arme et cherche à être bien accompagné, qu'allant se coucher il verrouille ses portes, que dans sa
maison même il ferme ses coffres à clef, et tout cela sachant qu'il existe des lois et des fonctionnaires
publics armés pour venger tous les torts qui peuvent lui être faits: qu'il se demande quelle opinion il a
de ses compatriotes quand il voyage armé, de ses concitoyens quand il verrouille ses portes, de ses
enfants et de ses domestiques quand il ferme ses coffres à clef.
N'incrimine-t-il pas l'humanité par ses
actes autant que je le fais par mes paroles? Mais ni lui, ni moi n'incriminons la nature humaine en
cela.
Les désirs et les autres passions de l'homme ne sont pas en eux-mêmes des péchés.
Pas
davantage ne le sont les actions qui procèdent de ces passions tant que les hommes ne connaissent
pas de loi qui les interdise; et il ne peuvent connaître de loi tant qu'il n'en a pas été fait; or aucune loi
ne peut être faite tant que les hommes ne se sont pas entendus sur la personne qui doit la faire".
Hobbes: Le Léviathan , chapitre 13.
L'aliénation du travail mécanisé, la société de consommation, la dégradation des milieux
écologiques, l'égoïsme et la vanité liés aux valeurs de l'argent et du prestige social, l'exploitation de
l'homme par l'homme : tous ces thèmes inspirent souvent une certaine nostalgie de la nature, c'est-à-
dire le regret vague d'un état où l'homme vivait heureux, en harmonie tant avec la nature qu'avec ses
semblables.
Pourtant est-il bien sûr que l'état de nature soit aussi bénéfique pour l'homme ? Ne
sommes-nous pas ici victimes, après tant d'autres, comme Bougainville, qui voyait dans la Polynésie
la "Nouvelle Cythère", du mythe du bon sauvage ? Hobbes, quant à lui, affirme dans ce texte extrait
du Léviathan (1651) que l'état de nature est un état de guerre perpétuelle, et que seule l'autorité
politique établie à l'état social permet aux hommes de vivre ensemble, et même tout simplement de
survivre.
On voit que la réflexion politique, chez Hobbes, s'articule sur une certaine anthropologie :
c'est la conception que l'on se fait de la nature humaine qui commande finalement le type de
gouvernement que l'on veut promouvoir.
A un homme naturellement pacifique on sera tenté d'attribuer
un Etat libéral et respectueux des droits individuels, à un homme belliqueux on voudra imposer un
Etat tout-puissant - un Léviathan - qui assure la paix et l'ordre par la force et la crainte.
C'est dans le
cadre de cette alternative que nous devons étudier le texte de Hobbes qui nous est proposé ici..
»
↓↓↓ APERÇU DU DOCUMENT ↓↓↓
Liens utiles
- Corrigé commentaire Hobbes: Léviathan, chapitre XIII, Trad. François Tricaud, Sirey (© Dalloz), 1971, pp. 126-127.
- Analyse Hobbes, Léviathan, Chapitre 13, de l’homme
- Hobbes, Léviathan (extrait du chapitre 17 : conventionnalisme politique) Léviathan constitue l’oeuvre majeure du philosophe anglais Thomas Hobbes.
- Hobbes - Léviathan - chapitre 13 (commentaire): C'est pourquoi tout ce qui est conséquence d'un temps de guerre, où chacun est ennemi de chacun, est aussi conséquence du temps où les hommes vivent sans autre sécurité que celle que leur fournissent leur propre force et leur propre invention
- Pourquoi Hobbes a-t-il intitulé son ouvrage politique “Léviathan” ? :