Gustave Singier1909-1984Yvon Taillandier parle en ces termes de la peinture de Singier : " Pourquoi les peintures deSingier -- quels que soient leurs titres -- m'évoquent-elles toujours l'image double et,semble-t-il, contradictoire, d'une campagne paisible et d'un volcan ?
Publié le 22/05/2020
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Gustave Singier
1909-1984
Yvon Taillandier parle en ces termes de la peinture de Singier : “ Pourquoi les peintures de
Singier — quels que soient leurs titres — m'évoquent-elles toujours l'image double et,
semble-t-il, contradictoire, d'une campagne paisible et d'un volcan ? Certes, la partie
paisible de l'image, l'aspect calme, ordonné, je me l'explique.
Singier ne dit-il pas
lui-même : “ Je veux créer, dans mes tableaux, un espace vivable ? ” Et cette intention, il ne
fait aucun doute qu'il la réalise.
Quand, par exemple, entre 1941 et 1946, il pratique, avec
quelques autres, ce style qu'un peu partout en Europe on imitera et qui est une des
premières causes de sa célébrité, ce qu'il exprime alors, c'est déjà une volonté d'ordre et de
paix.
“ A ce moment-là ”, remarque-t-il, “ je subis l'influence du fauvisme et
particulièrement de Matisse, du cubisme et notamment de Braque et de Picasso, mais aussi
de Bonnard ”.
Or, Bonnard est un intimiste comme Braque.
Dans l'agressivité de Picasso,
ce que Singier retient est compatible avec l'idée d'ordre.
Quant à Matisse, il n'a jamais
caché son désir de susciter la joie.
Bref, la peinture de Singier, à cette époque, parle
incontestablement de bonheur et de paix.
Et plus tard aussi.
Quand, à partir de 1947, il
redécouvre, dit-il, à la fois la liberté et le réel, ce réel est, à vrai dire, féerique.
C'est un réel
où, par exemple, l'atmosphère est devenue si accueillante que, dans l'air, rien ne tombe,
tout semble porté, depuis les masses colorées qui évoquent des montagnes volantes,
jusqu'à des lignes qui flottent comme des fils de la Vierge.
Et, quand on demande à Singier
les influences qu'il a subies et les peintures qu'il aime, il énumère une série d'artistes dont
la majorité, par le style — sinon par les sujets — suggèrent l'idée d'une discipline
pacifique : les minutieux primitifs flamands, Jean van Eyck, Memling ; le monumental
Giotto, le précis Paolo Uccello, Clouet, Fouquet ; plus tard, Vermeer de Delft ; plus près de
nous, Seurat et Matisse qui ont, pour lui, une importance capitale, et aussi Fernand Léger,
ce portraitiste de la puissance sereine.
Certes, il reconnaît avoir subi l'influence de peintres
dynamiques, comme Rubens et Renoir ; mais ce sont là des avocats de la vitalité heureuse ;
leur tumulte, dans la paisible campagne dont je rêve à propos de Singier, est bien moins
perturbateur que le silence du volcan.
Cézanne a montré suffisamment de vertus
classiques pour trouver place dans cette région idyllique ; les dansantes figures des
fresques de Saint-Savin, pour lesquelles Singier professe la plus grande admiration, n'y
sont pas davantage déplacées, non plus que le maniérisme de l'École de Fontainebleau.
Enfin, quand j'ai recours à la biographie de Singier, j'y retrouve une orientation vers la vie
heureuse.
D'abord, cette enfance dont les toutes premières années s'écoulent dans le climat
net et calme et la douce lumière qu'évoquera, bien plus tard, en 1951 L’Intérieur flamand .
Il
est vrai que, dans ce tableau, l'on voit des points plus intenses qui jaillissent comme des
étincelles volcaniques ou crépitent comme des coups de feu.
Il est vrai aussi que Singier n'a
que cinq ans (il est né en 1909 à Warneton en Belgique) lorsque la première guerre
mondiale éclate et que, dès lors, commence pour lui la chaotique et terrible existence des
populations civiles à proximité du front.
Il m'a raconté ce qu'il a vu ou vécu.
La vie dans
les caves où son père lui apprend à lire — il ne suivra d'enseignement régulier (école
primaire, cours complémentaire, école Boulle) qu'à la fin des hostilités.
En attendant, ce
sont les bombardements, la fuite de village en village, la misère, le spectacle du sang, des
mutilations et de la mort.
Inutile de chercher plus loin les causes : ces atroces années de
guerre vécues par une âme enfantine, voilà le volcan.
Mais c'est aussi, par réaction et par
nécessité, une sagesse précoce qui s'élabore.
Dans le danger, il faut du calme.
C'est une.
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