Gustave Flaubert, Salammbô. Vous ferez de ce texte un commentaire composé ; vous pourrez par exemple étudier le caractère dramatique de la scène ainsi que son élargissement épique.
Publié le 15/05/2020
Extrait du document
«
Carthage emploie des mercenaires d'origine étrangère qui se sont révoltés contre elle; Spendius, anc ien esclave, est l'un des meneurs de la révolte.
En calculant la distance d'après le nombre de s es pas, il arriva juste à l'endroit où il avait remarqué une fissure oblique; et pendant trois heures, jusqu'aumatin, il travailla d'une façon continue, furieuse, respirant à peine par les interstices des dalles s upérieures, assailli d'angoiss es et vingt fois croyant mourir.Enfin, on entendit un craquement ; une pierre énorme, en ricochant sur les arcs inférieurs, roula jusqu'en bas, et, tout à c oup une cataracte, un fleuve entiertomba du ciel dans la plaine.
L'aqueduc, coupé par le milieu, se déversait.
C'était la mort pour Carthage, et la victoire pour les Barbares.
En un instant les Carthaginois réveillés apparurent sur les murailles, sur les mais ons, sur les temples.
Les Barbares se poussaient, criaient.
Ils dansaienten délire autour de la grande chute d'eau, et, dans l'extravagance de leur joie, venaient s'y mouiller la tête.
On aperçut au sommet de l'aqueduc un homme avec une tunique brune, déchirée.
Il se tenait penché tout au bord, les deux mains sur les hanches, et ilregardait en bas, sous lui, comme étonné de son œuvre.
Puis il se redressa.
Il parcourut l'horizon d'un air superbe qui semblait dire « Tout cela maintenant es t à moi I » Les applaudissements des Barbareséclatèrent ; les Carthaginois, comprenant enfin leur désas tre, hurlaient de désespoir.
Alors il se mit à courir sur la plate-forme d'un bout à l'autre, et commeun conducteur de char triomphant aux Jeux Olympiques, Spendius, éperdu d'orgueil, levait les bras.
Gustave Flaubert, Salammbô.
Vous ferez de ce texte un commentaire composé ; vous pourrez par exemple étudier le caractère dramatique de la scène ainsi que son élargiss ementépique.
« L'impassibilité » de Flaubert est le s ujet de toutes les histoires littéraires : ce n'est cependant pas une raison pour chercher à tout prix à en retrouver latrace ici.
Salammbô est une œuvre à part dans la production du Rouennais et doit ess entiellement être abordée en tenant compte de son appartenance auroman historique.
Observez bien la construction du texte : lignes de force, rythme, mouvements.
Si tout s'organise à partir du personnage de Spendius, il faut rendre c omptede la « stature » particulière de celui-ci : héros? homme!Conç u comme un délassement lyrique après le « pensum » de M adame Bovary, Salammbô renoue avec la tradition du roman historique fort en vogue àl'époque romantique.
Mais à la différence de V igny (Cinq Mars), Hugo (Notre-Dame de P aris), Flaubert, dans la lignée des C houans de Balzac, cherche moinsà décrire qu'à émouvoir.
C onstamment au cœur de son récit en dépit de son désir d'impartialité, le narrateur his se ainsi son roman au rang de l'épopée sansrenoncer à faire de ses héros des hommes auxquels les lecteurs puissent s'identifier.
« On entendit », « on aperçut » : cette oreille, ce regard traduis ent une perception générale; mais ils appartiennent en fait à un spectateur privilégié qui, touten maintenant son anonymat, nous livre l'épisode au travers de sa propre subjectivité.
Une subjectivité que trahissent une modalisation — « Il parcourutl'horizon d'un air superbe qui semblait dire...
» — et l'image finale transformant Spendius en « conducteur de char triomphant ».
Une subjectivité qui parvientégalement à saisir toutes les composantes du tableau, contemplant le héros de l'extérieur, transcrivant parfois s es pensées en style narrativisé (« ...
etvingt fois croyant mourir...
») focalisant ailleurs sur les masses carthaginoises ou barbaresques : en un mot ce que la poétique moderne nomme un narrateuromniscient et omnipotent.
Une subjectivité, enfin, qui donne à ces fragments épars une logique non causale mais temporelle : «...
et pendant trois heures...Enfin...
En un instant...
P uis...
Alors...
».
M ais l'ordre temporel n'est pas ici seul en caus e et le narrateur organise également l'espace de la s cène de manièreà faire ressortir les traits épiques du tableau.
Tel un peintre, en effet, le narrateur-spectateur dessine les grands axes autour desquels se distribuent les divers mouvements du pass age.
Mouvement vertical d'abord qui isole Spendius au « s ommet de l'aqueduc » et fait plonger son regard « en bas sous lui ».
A insi se manifeste une situation desupériorité qui transforme le personnage en héros.Mouvement horizontal aussi de l'esclave qui libère ses forces en une folle course sur la « plate-forme » égalant ainsi le héros, par image interposée, auxmodèles du monde antique.
Mouvement des foules enfin sans lesquelles il n'est pas d'épopée véritable — les armées grecques et troyennes de l'Iliade, les troupes franques et sarra-sines de la C hanson de Roland, etc.
— et que traduit ici la triple détermination « sur les murailles, sur les maisons , sur les temples » dont le rythme hachéparaît multiplier à l'infini le nombre des C arthaginois.
Çà et là, des touches viennent renforc er le dessein épique du narrateur : adjectifs à valeur superlative — il travailla d'une façon furieuse », « une pierreénorme » —, redoublements hyperboliques — « dans l'extravagance de leur joie / dansaient en délire » — et surtout la formule présentative qui fige enconcepts antithétiques une situation perçue comme exemplaire : « C 'était la mort pour Carthage, et la victoire pour les Barbares.
»
Exemplaire, c'est-à-dire, digne d'être imitée.
C ar telle est la fonction du héros.
Un héros d'autant plus exemplaire, précis ément, qu'il demeure profondémenthumain.
Oui, Spendius garde au plus fort de son ac tion épique les qualités et les faiblesses de l'homme.
Héros certes , mais comme nombre de héros de Flaubert,héros médiocre si l'on entend par là un pers onnage issu du rang.
D'où « l'étonnement » de Spendius devant son acte ! Rien, en effet, ne le prédisposait à unetelle entreprise ; encore moins à une telle réussite ! Ni inspiré par les dieux, ni protégé par une quelconque puis sance, il n'agit pas, comme Hercule de façonquasi miraculeuse, mais procède avec patience et minutie : « en calculant...
il arriva...
où il avait remarqué une fissure oblique ».
Doit-on dès lors s'étonner de son « orgueil » — et même de son orgueil démesuré ? De son air de défi ? Non, ce ne sont que des manifestations normalespour qui triomphe d'une adversité jusqu'alors irrémédiable et n'oublions pas que Spendius n'est qu'un esclave à la solde des Carthaginois.
Sans un dialogue, sans un conflit, Flaubert réussit à faire de c ette page une scène dramatique et mouvementée.
Scrutant le détail révélateur, rythmant lerécit selon des nécessités mimétiques, dessinant à l'arrière-plan foules et paysages, isolant sur le devant de la scène un personnage d'une héroïquehumanité, il parvient à créer une s orte de monologue intérieur sans pour autant renoncer aux prestiges de la narration traditionnelle.
Remarque: C'est la position du narrateur qui détermine le carac tère d'un texte sur le plan formel.
Dans le roman classique, le narrateur en sait généralementplus que son personnage et le montre : il organis e ainsi le récit en fonction des seules néces sités de sa narration.
On dit qu'il est omniscient et omnipotent.
A l'inverse, dans le roman contemporain (type nouveau roman) il arrive fréquemment que le narrateur colle à s on personnage au point de ne rien montrer oude ne rien dire qui ne soit vu ou su de celui-ci {cf.
La Modification) : c'est le narrateur à vision interne..
»
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