Gaudi
Publié le 16/05/2020
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Gaudi 1852-1926 La seule figure sans doute vraiment importante qu'ait produite l'architecture espagnole vers la fin du XIXe siècle est celle d'Antoni Gaudi.
Il y a chez Gaudi une passion baroque, jamais démentie.
Cependant, parmi quelques-unes de ses créations, il existe aussi des tracesd'attachement au roman et au gothique.
Je veux parler surtout de ses idées sur l'artisan.
Elles existaient bien déjà chez Ruskin ainsi que dans le mouvement de l'Art and Crafts.
Mais l'oeuvre de Gaudi s'oriente simultanément vers le passé et le futur.
Vers le futur par les recherches statiques et formelles ; vers le passé par sa lutte pour le perfectionnement d'un procédé constructif en pierre — technique déjàdépassée à l'époque — et pas seulement par un penchant romantique à l'égard de l'attitude de l'artisan.
A la faveur des progrès de l'histoire et de l'archéologie, les architectes du XIXe siècle avaient appris dans les académies le répertoire desstyles architectoniques.
On parcourait les formes en choisissant celles qui servaient le mieux à habiller un thème.
Jusqu'au XVIIIe siècle, l'issue naturelle avait été le style néo-classique, mais au XIXe on employait déjà quelques autres styles, anciens ou exotiques, sans quepersonne ne se posât le problème — pour nous trop évident — de la contradiction entre le procédé constructif et l'aspect que devaientprendre les formes internes et externes de ces édifices.
Il n'y avait pas — sauf quelques exceptions honorables — la préoccupationéthique de faire coïncider une manière de bâtir avec une organisation sociale du travail et des formes architecturales.
On bâtissait selon lesystème le plus économique et commode et c'était seulement après coup qu'on déguisait la construction avec le style que le client ou l'architecte trouvaient dans un répertoire qu'on croyait adapté à tous les thèmes.
Il faut dire que Gaudi ne s'est jamais prêté à un montage de ce genre.
Son oeuvre incarne le conflit des styles historiques et la recherche d'un style propre à l'époque, en harmonie avec ses croyances et ses techniques.
L'élément qui a sans doute freiné l'imagination débordante de Gaudi a été la connaissance et l'application de la Statique Graphique,science déjà utilisée couramment par les ingénieurs mais qui, aux yeux des architectes, était encore suspecte et dont on ne savait pastrès bien ce qu'on pouvait et ce qu'on devait faire.
On conserve beaucoup de croquis de l'architecte dans lesquels il étudie les murs de support et les colonnes obliques du Parc Güell.Pendant ses dernières années, le projet de la Sagrada Familia fut fait et refait mille fois par lui, en fonction d'une conception toujours progressivement plus avancée dans le domaine des forces et des tensions.
Dans la dernière version du monument, Gaudi avait décidé desupprimer une des deux toitures — la voûte en pierre et la couverture qui la protège — des églises traditionnelles, et de les fondre en uneseule toiture faite de pièces de fer et de pierre en petit appareil visible de l'extérieur. Rien du gothic revival dans cet ouvrage.
En partant des mêmes procédés constructifs, Gaudi voulait perfectionner la méthode d'équilibre dont le style gothique n'avait pas réussi à se rendre maître.
Par le moyen de la Statique, Gaudi s'était persuadé que les arcs paraboliques transmettaient mieux les poussées que les arcs en plein cintre ou en ogive appuyés sur des piliers agissantcomme de véritables pieds-droits.
En se rendant capable d'équilibrer la structure sans avoir recours à des arcs-boutants, des contreforts et des pinacles, il supprime ces trois éléments dans lesdernières versions du projet de la Sagrada Familia. Je pense qu'il est nécessaire de faire remarquer la profonde originalité qu'il y avait — au début du siècle — à utiliser l'arc parabolique,même en pierre, puisqu'en réalité tous les grands ingénieurs du XIXe siècle avaient employé des structures articulées en petites travées.Le premier à construire un arc parabolique continu, c'est-à-dire sans articulations, fut Freyssinet dans les hangars d'Orly, en 1916, mais il s'agissait déjà là de béton armé.
Gaudi était un architecte-né, je veux dire par là qu'il sentait profondément l'espace, base et essence de l'architecte.
Et l'espace dans sondouble jeu : interne et externe.
Il travaillait la matière un peu comme il était habitué à travailler le métal, en le pliant à sa volonté.
Etavec cette matière, il conformait un espace fantastique et expressionniste.
On le voit dans les cheminées de la maison Milà, qui sont devéritables sculptures abstraites.
Par contre, il échoua dans la sculpture figurative de la Sagrada Familia qu'il réalisa avec des moulages inexpressifs pris sur le vif.
Dans l'oeuvre de Gaudi il n'y a pas un seul plafond qui soit plan ; dans ses constructions les formes se persécutent les unes les autres, lamasse entière se trouve dynamisée de la base jusqu'au sommet des terrasses.
Rien n'échappe à sa surveillance : ni les matériaux, ni lacouleur, ni la texture, ni le plan, ni le symbole, ni le jeu du vide et du plein, ni l'alternance de la lumière et de l'ombre, bref, tous leséléments de ce qui constitue véritablement l'architecture.
Il s'agit de l'expression d'un pathos qui secoue la matière comme un courant électrique.
C'est à cause de cela, précisément, que son ouvrage est romantique : parce que, comme le Baroque chez Borromini, il s'efforced'exprimer une inquiétude, une tendance vers l'illimité, et cela du fait même qu'il s'agit d'une matière qui aspire à la transcendance en sespiritualisant.
Chez lui, comme chez les gothiques, les maniéristes ou Borromini, il y a un réveil de l'Ars mechanica, de l'art qui s'explicite à travers une technique, par opposition à l'Ars lilberalis, conception humaniste de l'art de la Renaissance. Contemporain du Cubisme, du Néo-plasticisme, du Constructivisme, Gaudi se présente surtout à nous, cependant, comme unexpressionniste avant la lettre.
Son ouvrage a quelque chose d'antirationnel, d'antiperspectif qui l'éloigne des conceptions classiquesorganisées autour d'une idée, d'une hiérarchie de masses et d'espaces que la perspective se charge d'unifier en fonction del'anthropocentrisme.
Son élan vers l'infini, vers l'expérience totale des arts, le placent, au contraire, dans une lignée irrationnelle,wagnérienne si l'on peut dire, et qui donnera plus tard ses fruits, notamment en Allemagne, ce qui est tout à fait naturel puisqu'il s'agira d'un héritage expressionniste.
Si, pour conclure, on voulait caractériser cette étrange figure, on pourrait dire qu'à partir de 1910 il se produit en lui un conflit : il laisse de côté toutes les commandes privées et n'admet d'autrerétribution que la seule indispensable pour subsister ; et il consacre alors tous ses efforts, pendant les seize dernières années de sa vie, à la Sagrada Familia. On peut supposer que sa puissance d'invention plastique aurait pu se développer plus librement dans l'architecture civile — où leproblème du symbole qui l'a tant obsédé n'existe presque pas — et que, de cette manière, il aurait été à même d'utiliser des procédésconstructifs plus en harmonie avec son temps.
Cependant, son tempérament, religieux jusqu'au fanatisme, le poussa vers l'autre solutionet il consacra sa vie à une oeuvre qu'il soupçonna de devoir rester inachevée pour toujours, parce qu'une seule existence humaine nepouvait suffire à l'accomplir.
Le symbolisme religieux, son effort en vue d'un dépassement du gothique, l'ont éloigné, dans une certaine mesure, de la problématiquede l'architecture moderne.
C'est à cause de cela que sa place dans l'histoire est si difficile à fixer.
Gaudi remplit toute une époque de l'architecture espagnole.
Mais son nom s'inscrit en outre, tout naturellement, parmi ceux desarchitectes passionnés qui cherchent inlassablement à s'exprimer à travers la matière et l'espace..
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