François de Malherbe : Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure
Publié le 15/05/2020
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François de Malherbe (1555-1628)
Présentation du poète
Après des études de droit poursuivies dans plusieurs universités européennes, Malherbe réussit à s'attirer les faveurs d'Henri IV grâce à quelques-unes deses compositions poétiques.
Il devient poète officiel de la cour et, à la mort du roi, reste le protégé de Marie de Médicis et de Louis XIII.
Le cardinal deRichelieu le fera même trésorier de France.
Mais Malherbe est surtout connu comme théoricien de la poésie : iL s'oppose de manière radicale à l'esthétiquede la Pléiade, condamnant l'inspiration italienne, le caractère précieux des oeuvres de Ronsard ainsi que son asservissement à des thèmes et à des formesissus de l'Antiquité.
Malherbe veut abandonner les thèmes trop personnels, comme la vie amoureuse du poète, et les remplacer par de hautes pensées quiintéressent l'humanité entière.
Ainsi, le lyrisme personnel doit faire place à un lyrisme impersonnel.
Malherbe bannit la fantaisie du fond mais aussi de laforme.
Cette dernière doit être parfaitement pure et d'une grande rigueur.
Il impose des règles sévères pour la construction de l'alexandrin, qui doitabsolument avoir une césure.
Un vers de Malherbe est ainsi « symétrique et carré de mélodie » (Baudelaire).
Pour ce qui est de la langue, Malherbe veut chasser les mots construits à partir du modèle grec ou italien.
Il réclame un vocabulaire strictement français.
Ce poète a donc largement contribué àimposer l'esthétique classique dans la littérature française.
Son oeuvre théorique comprend les Remarques sur Desportes et la Paraphrase du psaume CXLV.
Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure
Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure,
Superbes de matière, et d'ouvrages divers,
Où te plus digne roi qui soit en l'univers
Aux miracles de l'art fait céder la nature.
Beau parc, et beaux jardins, qui dans votre clôture,
Avez toujours des fleurs, et des ombrages verts,
Non sans quelque démon qui défend aux hivers
D'en effacer jamais l'agréable peinture.
Lieux qui donnez aux coeurs tant d'aimables désirs,
Bois, fontaines, canaux, si parmi vos plaisirs
Mon humeur est chagrine, et mon visage triste :
Ce n'est point qu'en effet vous n'ayez des appas,
Mais quoi que vous ayez, vous n'avez point
Caliste : Et moi je ne vois rien quand je ne la vois pas.
Malherbe célèbre ici la beauté des jardins et des constructions conçus par les artistes et artisans d'Henri IV lors du réaménagement du site deFontainebleau.
La sensibilité du poète devant la nature travaillée par la main de l'homme et face au souvenir de l'aimée absente n'est pas très vive.
Dans lesdeux cas, elle est mesurée et se plie par là à l'esthétique classique naissante.
La mesure est une règle qui sera sans cesse rappelée au fil des ans par Les théoriciens de l'art et, en particulier, par Quatremère de Quincy, grand penseurfrançais de l'esthétique et auteur, au tournant des Lumières, du Dictionnaire d'architecture pour L'Encyclopédie méthodique de Panckoucke.
Il y vante, comme Malherbe, les « Beaux et grands bâtiments d'éternelle structure », c'est-à-dire obéissant à des règles architecturales remontant à l'Antiquité.
L'architecture se doit d'éveiller des sentiments : ainsi la demeure du souverain, comme lui, sera « superbe », pleine d'un orgueil teinté de noblesse.
Elle éveillera Le respect dû à son rang.
Les « ouvrages divers », autrement dit les statues, les ornements de façade, contribuent pour Malherbe à la beauté du château.
Ces marques du goût baroque vont bientôt disparaître et céder la place à l'idéal de mesure et de sobriété du classicisme, idéal qui prendra corps dans lacolonnade du Louvre de Perrault et le château de Versailles.
La sensibilité des artistes à la nature se trouve ici, d'un point de vue historique, à son éveil.
Certes, on admire les « fleurs », les « ombrages verts » et les « bois », mais pas tels qu'ils sont à l'état sauvage.
On admire la nature aménagée, comme nous le montrent les expressions
suivantes : « aux miracles de l'art », « l'agréable peinture ».
En effet, le « démon », dont il est question dans le second quatrain, est le talent du jardinier.
Pour la conception des espaces verts, on demande à l'architecte d'émouvoir le promeneur, de modifier la nature pour qu'elle lui donne une sensation esthétiqueéquivalente à celle procurée par la peinture : « Lieux qui donnez aux cœurs tant d'admirables désirs ».
L'art des jardins verra son épanouissement au siècle suivant et entrera dans la poésie avec les oeuvres de Jacques Delille.
Mais il faudra attendre leromantisme pour que l'on soit subjugué par les paysages naturels.
Aux XVI' et XVII' siècles, on demande encore à la main du jardinier de suppléer celle duCréateur.
Dans les tercets, Malherbe nous rappelle que les jardins sont des lieux consacrés à l'amour.
C'est dans le parc du château que l'absence de sa bien-aiméese fait sentir.
Il applique d'abord au paysage des termes appartenant à la langue amoureuse : « désirs », « plaisirs », « appas », pour amener progressivement le nom de la femme, « Caliste », qu'il mettra en relief à la fin d'un vers : « Mais, quoi vous ayez, vous n'avez point Caliste ».
La jeune femme est absente et le travail du jardinier reste sans effet sur le poète.
La beauté du visage absent occupant ses pensées, il est aveugle à la beauté du parc.Ainsi, pour que le jardin soit complet, il y faut une femme.
Elle en serait la touche finale, la raison d'être.
Remarquons enfin que le texte glisse, de manière insensible mais certaine, de la virilité à la féminité.
Aux « grands bâtiments » construits dans de durs et nobles matériaux (« superbes de matière »), succèdent des éléments végétaux comme les « fleurs » et les « bois » puis des éléments Liquides: « fontaines », « canaux ».
Nous laisserons au lecteur le soin de deviner ce que représente le groupe ternaire « Bois, fontaine, canaux » placé entre les termes « désirs » et « plaisirs »..
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