Fiche bac lecture linéaire gargantua chapitre 21
Publié le 06/05/2023
Extrait du document
«
Gargantua, chapitre 21, introduction
Gargantua, publié en 1534 par François Rabelais, est une œuvre qui marque
la transition entre la scolastique médiévale* (*enseignement philosophique
et religieux dispensé au Moyen-âge) et l’approche humaniste du monde.
(Voir
la fiche de lecture pour le bac Gargantua de Rabelais)
Cette transition est illustrée par l’éducation que suit Gargantua.
Placé d’abord sous l’autorité de Thubal Holopherne, un docteur en théologie,
l’esprit de Gargantua périclite.
Le précepteur sophiste applique en effet
la méthode scolastique, fondée sur l’apprentissage par cœur.
Grandgousier décide alors de confier l’éducation de Gargantua à Ponocrate,
un précepteur humaniste.
Ponos signifie travail et kratos signifie force,
pouvoir.
Problématique
Comment Rabelais fait-il la satire de l’éducation scolastique dans cet extrait ?
Annonce de plan linéaire
Ponocrate souhaite observer le résultat de l’éducation scolastique que
Gargantua a reçue.
L’extrait permet ainsi à Rabelais de faire la satire des
méthodes de l’enseignement médiéval (I) mais aussi la satire de l’Eglise
catholique, en voie de corruption (II).
Extrait
Il passait donc son temps ainsi : il s'éveillait habituellement entre huit et neuf
heures, qu'il fît jour ou non ; c'est ce qu'avaient décidé ses régents
théologiens, alléguant les paroles de David : C'est vanité que de vous lever
avant la lumière (Ps.
126) Alors il s’étirait, s’ébattait et se vautrait sur son lit
un certain temps pour mieux détendre ses esprits animaux ; il s'habillait en
fonction du temps, mais il portait volontiers une grande et longue robe de
grosse laine fourrée de renard ; après, il se peignait avec le peigne d'Almain,
c'est-à-dire des quatre doigts et du pouce, car ses précepteurs disaient que
toute autre façon de se peigner, laver et nettoyer était une perte de temps.
Puis il chiait, pissait, crachait, rotait, éternuait et se mouchait abondamment ;
puis, pour abattre la rosée et le mauvais air, il déjeunait : belles tripes frites,
belles carbonnades, beaux jambons, belles grillades et force tartines.
Ponocrates lui faisant remarquer qu'il ne devait pas se goinfrer ainsi au saut du
lit, sans avoir d’abord pris de l’exercice, Gargantua répondit : « Quoi ! n'ai-je
pas pris suffisamment de l’exercice ? Je me suis retourné six ou sept fois dans
mon lit avant de me lever.
N'est-ce pas assez ? C'est ce que faisait le pape
Alexandre, sur les conseils de son médecin juif, et il a vécu jusqu'à sa mort en
dépit des envieux.
Mes premiers maîtres m’y ont habitué, disant que bon
déjeuner donne bonne mémoire ; c’est pourquoi ils y buvaient les premiers.
Je
m'en trouve fort bien et n'en dîne que mieux.
Et Maître Tubal, qui fut le
premier de sa licence à Paris, me disait que « rien ne sert de de courir, il faut
partir à point : ainsi ce qui fait la parfaite santé de la nature humaine, n'est
pas de boire quand et quand comme les canards, mais bien de boire tôt matin,
d'où le proverbe : « Lever matin, n'est pas bonheur ; Boire matin, est le
meilleur.
» Après avoir bien déjeuné, il allait à l'église où on lui apportait dans
un grand panier un gros bréviaire bien emmitouflé, pesant tant en graisse
qu'en fermoirs et parchemin, à peu près onze quintaux.
Là il entendait vingtsix ou trente messes.
Pendant ce temps arrivait son diseur d'heures en titre,
encapuchonné comme une huppe, l’haleine désinfectée à force de sirop de
vignoble.
En sa compagnie il marmonnait des kyrielles de chapelets en les
épluchant si soigneusement qu’il n’en tombait jamais un seul grain par terre.
Au sortir de l'église, on lui amenait sur un chariot à boeufs un tas de
patenôtres de SaintClaude, aussi grosses que le moule d'un bonnet, et en se
promenant dans les cloîtres, les galeries ou le jardin, il en récitait plus que
seize ermites.
Puis il étudiait une malheureuse demi-heure, les yeux posés sur
son livre, mais, comme dit Térence, son âme était à la cuisine.
I – La satire de l’éducation scolastique (de « Il passait» jusqu’à «était
une perte de temps»)
Tout d’abord, Ponocrate observe que Gargantua ne respecte pas le rythme
de la nature, puisqu’ « il s’éveillait soudainement entre huit et neuf heures,
qu’il fût jour ou non ».
Ce réveil semble brutal comme le suggère l’adverbe « soudainement ».
Ce réveil, en marge des lois de la nature, est pourtant recommandé
autoritairement par les maîtres théologiens, comme le souligne le verbe
« ordonné ».
Pire encore, les anciens maîtres justifient ce rythme contre-nature en citant
les Psaumes de la Bible : « vanum est vobis ante lucem surgere » (il est vain
de vous le lever avant la lumière du jour).
Rabelais se moque des sophistes de l’époque, maîtres de rhétoriques, qui
excellent dans l’art de convaincre de tout et de son contraire.
Citer la bible leur
permet d’impressionner et illusionner les élèves.
Rabelais poursuit avec un portrait en action de Gargantua, à travers
l’énumération de verbes à l’imparfait, qui suggèrent un
comportement habituel : « il gambillait, gigotait et paillardait ».
L’allitération en [g] et [y] (« il gambillait, gigotait et paillardait ») suggère
un mouvement incontrôlé, opposé au calme de l’étude.
Le verbe « paillardait » désigne le fait de traîner dans le lit mais se rapproche
de l’adjectif « paillard » qui signifie « d’un érotisme gras et vulgaire ».
Cette satire est renforcée par la proximité étymologique entre le terme
« paillardait » et la « paille », qui contribue à l’animalisation de Gargantua.
La référence aux « esprits animaux » reprend une théorie médicinale
grecque, reprise au Moyen âge par Saint Thomas d’Aquin.
Cette référence
est parodique et satirique car la philosophie de Saint Thomas d’Aquin
est détournée pour expliquer la fainéantise et l’oisiveté de Gargantua, qui
transparaît dans le verbe « ébaudir ».
Le lit est l’espace préféré de Gargantua, mais il ne symbolise pas pour lui le
repos mais plutôt l’oisiveté et la disposition au péché.
Rabelais se livre ensuite à une satire de l’université scolastique.
La « grande
et longue robe de grosse frise, fourrée de renard » forme une
image parodique de la robe des professeurs d’université en vigueur depuis
le XIVème siècle.
Les « renards » qui composent la texture de la robe suggèrent la ruse et
la rhétorique trompeuse.
L’humour est omniprésent, comme dans le jeu de mot....
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